En pleine saison de chasse à l’orignal, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs lance un appel aux chasseurs d’Abitibi-Témiscamingue : leur fournir deux dents de chaque animal abattu. Cette collecte permettra d’établir un portrait de la population d’orignaux et de son évolution dans le temps.

Le cément comme carte d’identité

Les dents renferment une information précieuse : l’âge de l’animal au moment de sa mort. Les dents des orignaux, qui poussent tout au long de leur vie, produisent du cément, un tissu calcifié qui recouvre leurs racines. La composition et la couleur du cément varient selon leur alimentation : au printemps, il se dépose sous la forme d’une couche épaisse et claire, tandis qu’en hiver, cette couche est plus fine et foncée. Comme pour les anneaux de croissance d’un tronc d’arbre, on peut ainsi compter les couches de cément sur une dent d’orignal pour en déterminer l’âge.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ LAVAL

Jean-Pierre Tremblay, professeur de biologie à l’Université Laval

Ce phénomène de dépôt de cément ne se limite pas aux orignaux, il concerne un très grand nombre d’espèces de mammifères – y compris les humains. En archéologie, il permet d’estimer l’âge des individus au moment de leur mort, afin de mieux comprendre les sociétés de l’époque et les épreuves (épidémies, guerres, famines…) qu’elles ont traversées. « On peut même faire des microforages, puis des analyses isotopiques et reconstruire le régime alimentaire » des peuples d’autrefois, précise Jean-Pierre Tremblay, professeur de biologie à l’Université Laval.

Des dents et des biologistes

Les orignaux sont recensés sporadiquement dans certaines régions du Québec depuis les années 1970, avec l’aide des chasseurs. En contrepartie, ceux-ci peuvent retrouver sur le site web du Ministère l’âge de l’orignal qu’ils ont abattu. Lorsqu’un nombre suffisant de dents est récolté, un portrait représentatif de la population peut être établi. « Sans ces dents, on n’aurait aucune idée de la structure d’âge : il pourrait y avoir un succès de chasse qui demeure élevé, mais des morts qui sont de plus en plus jeunes », explique Steeve D. Côté, professeur de biologie à l’Université Laval.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Orignal femelle dans un lac en altitude dans les monts Chic-Chocs, en Gaspésie

« Cet indice est utilisé en dynamique de population pour voir les tendances démographiques : si on a une population vieillissante, par exemple, ça veut dire que la pression de chasse est probablement très raisonnable ; si elle est trop vieillissante, […] on pourrait augmenter la pression de chasse », explique l’expert en écologie animale.

« Au contraire, si la structure d’âge est très jeune, ça nous indique que c’est une population qui est probablement exploitée à son maximum, voire trop exploitée », ajoute-t-il.

Pour une gestion durable de la faune

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs peut alors « évaluer si les modalités réglementaires sont adéquates ou si elles nécessitent des correctifs », souligne dans un courriel son porte-parole, Daniel Labonté. Ces modalités désignent par exemple les périodes de chasse ou les armes permises, qui peuvent varier d’une région à l’autre. « Avec des armes comme l’arc ou l’arbalète, le succès de chasse est moindre. Donc, si on met plus de journées de chasse avec ces armes [qu’]avec l’arme à feu, on diminue la pression de chasse », précise M. Tremblay. De tels ajustements permettent d’« assurer un prélèvement de gibier durable » et de « favoriser le maintien des populations animales au fil du temps », affirme M. Labonté.

PHOTO STEVE DESCHÊNES, RÉSERVE FAUNIQUE DE MATANE-SEPAQ

La pression de chasse augmente ou diminue selon les modalités réglementaires définies par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

« Dans les régions où il y a beaucoup de monde qui chasse [Gaspésie, Bas-Saint-Laurent, notamment], on pourrait améliorer nos suivis en utilisant des données d’observation et faire de la science participative », soutient Jean-Pierre Tremblay.

« L’autre donnée qui nous manque, c’est la récolte faite par les Premières Nations, ajoute-t-il. On pourrait développer des approches de cogestion de certains territoires, pour obtenir ces informations et les utiliser à bon escient pour la gestion des espèces. » De telles ententes existent pour le caribou, mais pas pour la plupart des autres espèces de gibier.

En chiffres

55 000 : nombre d’orignaux en 1994

125 000 : nombre d’orignaux en 2011

20 031 : nombre d’orignaux chassés en 2020 (y compris dans les réserves)

170 436 : nombre de permis de chasse à l’orignal vendus en 2020-2021 (résidents et non-résidents)

Source : ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs