(Montréal) De nombreux citoyens, certains à pied, d’autres en canot, convergent vers Québec pour réclamer la protection des forêts du sud du Québec qui devaient être protégées, mais qui ont été retirées par le gouvernement Legault de la liste des projets d’aires protégées au Québec.

La Grande Marche pour la protection des forêts a pris son envol le 6 septembre avec un premier groupe de marcheurs partis de Ripon, en Outaouais, et qui parcourront à pied un trajet de 565 kilomètres jusqu’à la Vieille Capitale.

« C’est comme une respiration », raconte Patrick Gravel, l’un des organisateurs rejoint alors que le groupe de Ripon se trouvait à Shawinigan plus tôt cette semaine. « Nous sommes dix, mais chaque fois qu’on arrive dans une communauté, d’autres marcheurs se greffent à nous. Une journée, nous sommes montés à 25. Une autre, une centaine de personnes nous suivaient. »

Ces marcheurs et d’autres venant d’un peu partout au Québec se rencontreront le 16 octobre à Québec pour réclamer de vive voix du gouvernement Legault qu’il remette sur les rails les 83 projets d’aires protégées sur lesquels le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) travaillait depuis une dizaine d’années. Ces projets ont été mis au rancart en raison d’un veto du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), qui souhaite maintenir la possibilité d’exploitation forestière de ces territoires.

Des aires protégées pour se donner bonne conscience

Dans le cadre de ses engagements internationaux en matière d’environnement, Québec s’était engagé à protéger 17 % de son territoire et ces forêts, de même que d’autres projets d’initiative autochtone ainsi que des demandes de protection de forêts urbaines et périurbaines, ont été abandonnés. Le gouvernement Legault a plutôt choisi de réaliser son engagement en ne protégeant que des forêts au nord du 49e parallèle, qui n’ont que peu ou pas d’intérêt pour les compagnies forestières.

Le mouvement citoyen a commencé à s’organiser après que la décision du gouvernement eut été connue en décembre dernier.

« C’est le moment de s’unir pour dire au gouvernement de protéger la biodiversité. Il faut protéger les vieilles forêts qui sont extrêmement importantes à l’ère où nous nous trouvons en ce moment, entre autres parce qu’elles stockent beaucoup de carbone, mais aussi parce que ce sont des habitats pour la faune et la flore qui sont de plus en plus menacées », fait valoir Colin Perrault, un des membres du Collectif pour la protection des forêts.

« C’est aussi pour que la population puisse savoir ce qu’est une forêt ancienne, explique M. Perrault. Ce sont des territoires que la population fréquente. On veut que les gens puissent avoir accès. Il n’y a pas grand monde qui vont aller prendre une marche au nord du 49e parallèle. »

Une décision ni scientifique ni environnementale

« Il y a des projets qui touchent l’ensemble des régions du Québec : on parle de la Côte-Nord, de la Gaspésie, Chaudière-Appalaches, Lanaudière, etc. Quand on passe dans ces régions, les gens sont heureux de nous voir. Ils nous disent : enfin un mouvement et pas seulement ma municipalité ou ma gang qui’trippe’sur ce territoire-là », poursuit-il.

« C’est comme si on était dans un canot volant transporté par la population qui soutient la cause », illustre Patrick Gravel, qui en est à sa troisième paire de souliers. Biologiste, M. Gravel explique que la décision du gouvernement, purement économique, ne tient pas la route sur le plan environnemental.

« L’ensemble des scientifiques avec qui je travaille — des chercheurs en foresterie, des biologistes, autant des gens dans le ministère des Forêts, que dans le ministère de l’Environnement, que dans les universités — personne ne comprend cette position du gouvernement », dit-il.

« Tout le monde est d’accord que c’est nécessaire d’avoir un réseau d’aires protégées qui touche aussi le sud du Québec parce que c’est là qu’il y a le plus de biodiversité. Et l’objectif de l’entente internationale, c’est de protéger la biodiversité. La protéger juste au Nord, ça ne fait aucun sens scientifiquement. »

Patrick Gravel a travaillé en étroite collaboration avec les hauts fonctionnaires de la Direction des aires protégées du ministère de l’Environnement jusqu’en décembre dernier. « On me disait : c’est sur la bonne voie pour les 83 aires protégées. Et là, tout à coup, c’est devenu le silence. Ça ne doit pas être facile pour les gens du ministère de l’Environnement parce qu’ils ont travaillé très fort là-dessus depuis 10-12 ans et là, tout à coup, c’est comme si leur travail était mis de côté », s’attriste-t-il, précisant que, du côté du ministère des Forêts, c’est le silence radio complet.

Enfants écoanxieux et Autochtones

Les organisateurs en ont aussi fait un projet pédagogique et vont à la rencontre des élèves dans les localités où ils cheminent. Ainsi, les enfants sont appelés à faire une recherche sur une espèce menacée et en faire un dessin sur le thème « Toi, mon espèce rare », explique Colin Perrault.

« Présentement, on marche avec des centaines de dessins de partout au Québec et on va remettre ça aux députés pour leur dire : écoutez les enfants qui nous dessinent des caribous, des parulines azurées, des plantes rares en voie de disparition », dit-il.

Mais les enfants n’ont pas besoin de beaucoup de sensibilisation, raconte Patrick Gravel. « On n’arrête pas de rencontrer sur notre chemin des jeunes qui font de l’éco-anxiété. Il y a plein d’enfants sur notre route — ça nous a serré le cœur à de nombreuses reprises — qui nous ont dit : on n’arrive pas à dormir la nuit en pensant à ce qui se passe pour notre avenir. Ça n’a pas de bon sens de ne pas donner une réponse à ces enfants-là et de ne pas se mettre en action. »

Une dizaine de projets d’aires protégées également écartés par Québec étaient proposés par des communautés autochtones, notamment en Haute-Mauricie et sur la Côte-Nord. « Le mouvement qu’on crée à la rencontre des enfants et des nations autochtones résonne assez fort pour que les gens qui sont élus en ce moment comprennent la volonté d’une population qui souhaite des aires protégées, la protection des boisés urbains et périurbains. La voix de l’industrie forestière semble peser lourd, mais on croit que la force du nombre peut parler. On est en train de parler de l’avenir de notre planète, de l’avenir de nos enfants, du mode de vie au cœur des Premières Nations », fait valoir Patrick Gravel.

La nature thérapeutique et rentable

Il souligne par ailleurs que le gouvernement semble avoir la mémoire courte. « Qui a été le thérapeute qui a offert le plus de services aux Québécois au niveau de la santé mentale dans les deux dernières années de pandémie ? La réponse va de soi : les gens sont allés dans la nature. Les gens sont sortis de la ville ou sont allés dans les boisés en ville. C’était nécessaire à notre santé mentale à tous. Partout où on passe, on a le même récit : on a eu de la difficulté à gérer l’abondance de gens dans le peu de lieux accessibles au public qu’on a au Québec. Il y a eu un manque flagrant d’accès à la nature dans les deux dernières années. »

Le biologiste note par ailleurs qu’une étude dans le secteur du mont Kaaikop dans les Laurentides a démontré que l’écotourisme est plus rentable que la coupe à long terme et offre une meilleure protection de l’environnement. De plus, les coupes massives dans les forêts de conifères du bassin versant de la rivière des Outaouais en Abitibi exposent la neige au soleil, ce qui accélère fortement la fonte au printemps, un phénomène qui a largement contribué aux inondations dans l’Outaouais, à Gatineau, à Fort-Coulonge, à Sainte-Marthe-sur-le-Lac ou dans l’Ouest de l’Île de Montréal.

Outre les forêts, 17 rivières se retrouvaient dans le réseau des aires protégées proposé par le ministère de l’Environnement. « Parmi celles-là se trouvent plusieurs de nos plus belles rivières canotables au Québec, dont la rivière du Moine, la rivière Magpie, la rivière Cascapédia, la rivière Noire, la rivière Coulonge, des circuits de canot-camping dans la réserve de La Vérendrye. »

Rassemblement et attentes

Des marches sont en cours ou prendront le départ prochainement depuis Frelisburgh en Estrie, Saint-Malachie dans Chaudière-Appalaches, Pessamit sur la Côte-Nord et Wendake. Un autre groupe doit partir en canot de Sherbrooke pour descendre la rivière Saint-François et ensuite le fleuve Saint-Laurent, alors que des Atikamekw doivent faire de même à partir de Shawinigan sur la rivière Saint-Maurice jusqu’au fleuve et ensuite vers Québec avec, notamment, des canots d’écorce.

Tous ces gens se réuniront le 16 octobre à Québec et entendent demander des rencontres avec les élus. Bien qu’ils s’attendent à ce que de nombreux députés d’opposition leur donnent leur appui, ils espèrent surtout des rencontres avec des membres du gouvernement, au premier chef le ministre de l’Environnement, Benoit Charette.