L’insecte est superbe, spectaculaire même, sans danger pour les humains. Mais cette beauté d’à peine 3 cm de long, qui ressemble à un papillon, cache plutôt un monstre. Le fulgore tacheté est dévastateur.

Larves et adultes s’en prennent à une foule de plantes dont ils sucent la sève, entraînant l’affaiblissement et souvent la mort du végétal. Vignes, pommiers, pruniers et cerisiers, sans compter plusieurs autres espèces de grande valeur comme le pin blanc, l’érable, le chêne, le peuplier et le saule, sont au nombre de ses victimes. En plus de s’en prendre au feuillage, les essaims de fulgores produisent un miellat visqueux qui tombe à la base des arbres, ce qui ajoute à leur fragilité, en plus d’attirer une multitude d’autres insectes, notamment des guêpes.

Si bien que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) vient de lancer une offensive publicitaire pour sensibiliser le monde agricole et horticole, en publiant une affiche d’identification de l’ennemi. Elle est également distribuée dans les centres de jardinage, de même que dans une vingtaine de haltes routières et d’aires de repos pour camionneurs. La dissémination de l’insecte s’effectue souvent grâce au transport routier, notamment parce que les œufs sont déposés sur des véhicules ou que des fulgores adultes s’y sont camouflés.

PHOTO FOURNIE PAR LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

Fiche d’identification du fulgore tacheté publié par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec

Le gouvernement espère intercepter l’insecte avant qu’il ne fasse son entrée dans la province. S’il n’a pas encore été observé officiellement au Canada, certains entomologistes estiment qu’il y est probablement déjà présent. D’autant qu’on le retrouve dans l’État de New York, près de la région de Niagara, en Ontario, et dans le sud du Maine. L’an dernier au Québec, on a d’ailleurs découvert deux spécimens morts sur un camion en provenance de la Pennsylvanie, là où en 2014, le fulgore tacheté a été signalé pour la première fois sur le continent. En provenance d’Asie, il est arrivé dans un stock de pierres décoratives.

Maintenant signalé dans une quinzaine d’États américains, le fulgore cause déjà des dommages dans huit d’entre eux. Il y a une dizaine de jours, le New York Times rapportait qu’un vignoble de la Pennsylvanie avait dépensé des centaines de milliers de dollars au cours des quatre dernières années pour remplacer des milliers de mètres carrés de vignes détruites et contrer l’insecte avec des pesticides. L’État, qui estime que le fulgore pourrait causer des dommages évalués à 325 millions par année et contribuer à la perte de 2800 emplois, mène une lutte sans merci. L’actuelle campagne d’éradication porte le nom d’« Écrasez-les », de toutes les façons possibles, fait-on valoir.

Pourquoi pas en cuisine ?

Au MAPAQ, on indique que pour l’instant, la priorité est d’informer le public, afin que l’on signale toute présence suspecte au Ministère ou à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. « Depuis 2020, les experts du Ministère effectuent un inventaire constant des connaissances disponibles sur la biologie du fulgore tacheté et des moyens de lutte disponibles », a précisé une porte-parole par courriel.

C’est d’ailleurs l’activité accrue de l’insecte à la fin de l’été et au début de l’automne qui justifie la campagne d’information actuelle du gouvernement. Le fulgore devient alors vorace en vue de la ponte, et les masses d’œufs sont observables à partir de septembre. La plante qu’il affectionne pour déposer sa future progéniture est l’ailante glanduleux, une espèce envahissante présente au Québec dont le feuillage rappelle celui du vinaigrier.

Le Ministère affirme par ailleurs qu’il est très difficile de prévoir les dommages qui pourraient être causés par le fulgore. Certaines productions semblent plus vulnérables que d’autres. En 2018, les ventes de vins québécois atteignaient les 18 millions. Quant aux producteurs de pommes, ils ont déclaré des recettes de 60 millions en 2019.

Louis Denault, président du Conseil des vins du Québec, refuse de s’inquiéter à l’avance. Philosophe, il indique que l’insecte s’ajoutera tout simplement à la longue liste de prédateurs que les vignerons doivent déjà combattre.

L’entomologiste Étienne Normandin, de l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal, estime quant à lui que le fulgore est peut-être déjà en train de s’établir au Québec sans qu’on le sache. Il souligne qu’en Pennsylvanie, on organise des chasses pour éliminer l’insecte, même à la main. « J’évalue cette espèce comme un bon candidat pour l’entomophagie. Mettre des espèces invasives dans l’assiette commence à devenir une mode en restauration engagée. Alors pourquoi pas les fulgores ? »