Le gouvernement du Québec a autorisé des travaux dans l’habitat essentiel d’une espèce en péril malgré un avis défavorable du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), a appris La Presse. Une décision qui pourrait à nouveau forcer Ottawa à intervenir pour protéger la rainette faux-grillon dont le déclin s’accélère dans la province.

Le projet en question, le prolongement du boulevard Béliveau à Longueuil, a reçu l’aval du ministère québécois de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). Les travaux commandés par la Ville de Longueuil ont débuté depuis peu.

Le Devoir a rapporté récemment que Longueuil n’a eu qu’à déposer des déclarations de conformité à la loi, sans y mentionner la présence de cette espèce menacée. Le MELCC n’aurait exigé aucune modification au projet.

Le bureau du ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, indique cependant que « le projet a été approuvé selon le processus du MELCC et en conformité avec nos lois et règlements ».

Dans un avis faunique obtenu par La Presse, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) indique néanmoins que « le site des travaux est désigné comme habitat essentiel de la rainette faux-grillon de l’Ouest en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) ». Selon le biologiste Étienne Drouin, qui a préparé l’avis, « le projet fragiliserait donc le rétablissement et la conservation de l’espèce ».

Le MFFP signale que « le projet présente des impacts potentiels importants pouvant soit entraîner des pertes permanentes d’habitat ou encore présentant des risques de mortalité élevés pouvant avoir des conséquences significatives sur le maintien de la population ». Des inquiétudes sont aussi soulevées quant à d’éventuelles « modifications de l’hydrologie de surface », qui pourraient être néfastes pour l’espèce.

La Société pour la nature et les parcs (SNAP) a réclamé jeudi « une enquête publique pour comprendre comment un tel projet a pu aller de l’avant malgré le fait que toutes les autorités responsables avaient connaissance de la présence d’étangs de reproduction de la rainette faux-grillon ».

De son côté, le chef des Affaires publiques de Longueuil, Hans Brouillette, a indiqué que la ville avait répondu à toutes les demandes du MELCC dans le dossier.

La rainette faux-grillon, une minuscule mesurant moins de 4 cm, est une espèce menacée, en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). Un récent rapport du MFFP a d’ailleurs confirmé que son déclin se poursuivait au Québec et « qu’en l’absence de mesures de protection renforcées, le déclin des populations de cette espèce risque de continuer ».

Un nouveau décret d’urgence ?

Ces nouvelles informations pourraient encore forcer le gouvernement fédéral à intervenir au Québec. En entrevue jeudi avec La Presse, le candidat libéral Steven Guilbeault a confirmé que le ministère fédéral de l’Environnement évaluait le dossier. « Nous sommes déjà intervenus avec un décret d’urgence en 2016. Alors si le passé est garant de l’avenir… » M. Guilbeault a ajouté qu’un gouvernement libéral s’engageait à protéger les espèces en péril partout au Canada en utilisant les mécanismes prévus à la LEP.

Plusieurs sources ont indiqué à La Presse qu’Ottawa envisageait sérieusement d’intervenir à Longueuil en vertu de la LEP, mais que la décision était retardée en raison de la période électorale.

Rappelons que le fédéral a adopté un décret d’urgence en 2016 afin de protéger l’habitat de l’espèce menacée par un projet immobilier à La Prairie. La décision avait provoqué de vives controverses, Québec accusant alors Ottawa d’intervenir des champs de compétence provinciale.

« Nous sommes très surpris des propos de M. Guilbeault », a indiqué par courriel l’attachée de presse du ministre Charrette. « En effet, il faut préciser que son propre gouvernement a pourtant qualifié de particulièrement intéressante la mesure d’atténuation mise en place par la ville de Longueuil dans le cadre de ce projet », affirme Rosalie Tremblay-Cloutier.

La Cour fédérale a conclu à deux reprises que l’intervention d’Ottawa n’empiétait pas sur les champs de compétence des provinces.

La pertinence du projet remise en cause

Dans son avis, le MFFP se questionne sur la pertinence du projet, soulignant que « les justifications en lien avec la circulation et la fonctionnalité des infrastructures municipales ne sont pas présentées dans la demande et devraient être étoffées. Ces justifications pourraient notamment mener à une reconsidération d’une partie du projet ».

Le MFFP ajoute que « dans le cas où l’ensemble du projet est jugé nécessaire, afin de limiter les impacts, les terrains et bâtiments résidentiels prévus de part et d’autre du boulevard ne devraient pas être développés, le milieu naturel (habitat de la rainette faux-grillon de l’Ouest) devrait être conservé autant que possible. Ceci permettrait à la fois d’éviter la destruction de l’habitat, mais également de conserver des étangs et des bandes tampons nécessaires pour maintenir la connectivité et les caractéristiques de l’habitat ».

Cette option a été écartée par la Ville de Longueuil, qui confirme qu’un développement domiciliaire est prévu. « Pour nous, ce n’était pas une option de tout protéger. Ce n’est pas viable. On va faire les deux : développer et protéger. On va faire la preuve que c’est faisable », affirme le porte-parole de Longueuil.

La Ville signale qu’un corridor de biodiversité est prévu pour permettre le déplacement des populations.