L’entretien des petits cours d’eau en milieu agricole est un éternel recommencement qui coûte cher et qui ne règle pas les enjeux écologiques liés à l’érosion des terres. Dans la MRC de Brome-Missisquoi, on délègue de plus en plus la tâche à la nature.

(Farnham et Sainte-Sabine) L’observateur non averti y verra un simple fossé au bout d’un champ de maïs, mais la canalisation est beaucoup plus sophistiquée.

Des poissons barbotent dans un petit marais, une « zone de filtration » où s’accumule l’eau et pousse de la végétation aquatique, tandis que des cornouillers, sureaux, spirées et symphorines poussent sur les côtés, pour stabiliser la bande riveraine.

Un peu plus loin, un « chenal à deux niveaux » a été aménagé, avec une partie étroite un peu plus profonde, où s’écoule le débit habituel, et une partie plus large, qui fait office de petite plaine inondable, pour recevoir les hausses soudaines de débit, lorsqu’il pleut, et empêcher l’érosion.

Ce type d’aménagement se multiplie depuis quelques années dans la municipalité régionale de comté (MRC) de Brome-Missisquoi, en Estrie, en lieu et place des méthodes traditionnelles d’entretien des cours d’eau agricoles, qui consistent à vider régulièrement l’accumulation de sédiments à l’excavatrice.

« On essaie de se rapprocher des dynamiques naturelles », en ralentissant le débit de l’eau, en permettant aux sédiments de décanter et en filtrant les nutriments qu’elle transporte, explique Simon Lajeunesse, qui était jusqu’à tout récemment coordonnateur régional des cours d’eau à la MRC de Brome-Missisquoi.

Ce fossé dans lequel les drains évacuent l’eau des champs est en réalité une branche du cours d’eau Poulin, à Farnham.

Comme beaucoup d’autres petits cours d’eau dans les milieux agricoles nord-américains, qui autrefois serpentaient dans les champs, s’élargissaient pour former des bassins, il a été façonné par l’homme lorsque l’agriculture s’est industrialisée, dans les années 1950 à 1980.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Simon Lajeunesse était jusqu’à récemment coordonateur à la gestion de l’eau à la MRC de Brome-Missisquoi.

Aujourd’hui, on a un réseau de cours d’eau qui est fait pour le drainage agricole, qui est très artificialisé. Ça donne des cours d’eau rectilignes et anormalement profonds.

Simon Lajeunesse, de la MRC de Brome-Missisquoi

Ces autoroutes à sédiments et à nutriments contribuent à une multitude de problèmes en aval, explique le président de l’organisme de bassin versant (OBV) de la baie Missisquoi, Pierre Leduc : envasement des frayères, eutrophisation des cours d’eau, impact sur les sources d’eau potable et cyanobactéries, aussi appelées algues bleues, qui carburent au phosphore provenant en grande partie de l’activité agricole.

Le Québec envoie d’ailleurs chaque année 72,4 tonnes de phosphore dans le lac Champlain, souligne-t-il.

Garder la terre dans les champs

La MRC de Brome-Missisquoi a réalisé son premier réaménagement du genre en 2013, mais la cadence s’est accélérée en 2017 avec l’implication de l’OBV de la baie Missisquoi et l’arrivée d’un agronome travaillant à temps plein sur le programme.

Une dizaine de réaménagements totalisant 7,4 km ont été réalisés et d’autres sont en chantier, dont un vaste projet à Sainte-Sabine, à quelques kilomètres de Farnham.

Six propriétaires ont accepté cette nouvelle méthode d’entretien pour la branche du cours d’eau Morpions, dans laquelle est évacuée l’eau de leurs champs.

Olivier Perret, qui cultive maïs, blé, soja et foin sur quelque 168 hectares, observait d’ailleurs la progression des travaux, son chien Boubou assis derrière lui sur son véhicule tout terrain, lors du passage de La Presse.

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L’agriculteur Olivier Perret et son chien Boubou

Les temps changent, on n’est plus à l’époque où il n’y avait que le rendement qui comptait. L’avenir est là-dedans : conserver nos sols pour produire à long terme.

Olivier Perret, agriculteur

Son intérêt ? « Qu’on garde notre matière organique chez nous et que les cours d’eau soient le plus propres possible », dit l’agriculteur qui a acheté sa première terre agricole dans la région en 1984.

« Le gros défi, c’est de gérer les cours d’eau », dit Simon Lajeunesse, expliquant que 80 % de la charge annuelle en polluants passe en 20 jours dans ces cours d’eau « très réactifs » aux pluies intenses, en raison du drainage.

Le problème est le même que pour la surcharge des égouts pluviaux en ville, illustre-t-il, ajoutant qu’il promet de s’accentuer avec les changements climatiques.

Dernier rempart

En plus des bénéfices écologiques, cette technique de réaménagement des petits cours d’eau agricoles permet de réduire la fréquence des entretiens, qui incombent aux MRC.

Et avec l’aide financière du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), il n’en coûte pas plus cher de procéder ainsi.

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Le réaménagement de 4,5 km de la branche 46 du cours d’eau Morpions, à Sainte-Sabine, à la mi-août

À ce type de réaménagement, qui constitue le dernier rempart contre les problèmes liés à l’érosion des terres agricoles, s’ajoute une panoplie d’autres solutions naturelles, précise Simon Lajeunesse.

« Le plus payant, c’est toujours [d’intervenir] dans les champs », dit-il, par exemple en ne labourant pas à l’automne pour éviter le lessivage au printemps.

Entre le champ et le cours d’eau, les bandes riveraines sont aussi névralgiques, d’où l’intérêt d’y planter des arbustes ou même des arbres, qui font office de barrière physique pour freiner l’érosion et dont les racines filtrent les nutriments, les empêchant de se rendre au cours d’eau.

De plus, ces arbres font de l’ombre et abaissent la température de l’eau, ajoute Pierre Leduc, soulignant que la température de l’eau de la baie Missisquoi a augmenté de 5 °C depuis 1968, notamment en raison de l’apport en eau chaude de ses affluents.