Annoncée en grande pompe en décembre dernier par le gouvernement Legault, la cible de 17 % d’aires protégées n’a finalement pas été atteinte, a discrètement reconnu Québec, récemment, ce qui suscite la colère de l’opposition et de groupes environnementaux.

Une mise à jour datée du 31 mars du Registre des aires protégées, un document officiel dont la Loi sur la conservation du patrimoine naturel prévoit la tenue, indique que la superficie du territoire continental québécois bénéficiant d’une protection se chiffre plutôt à 16,7 %.

Le 0,3 % manquant représente 4515 km2, soit trois fois la superficie du parc national du Mont-Tremblant, calcule la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), qui a découvert la mise à jour sur le site internet du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC).

La situation est « embarrassante » pour le gouvernement québécois, qui s’était engagé à protéger 17 % de son territoire avant la fin de 2020, en vertu de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, estime la SNAP Québec.

L’organisation réclame l’intervention du premier ministre François Legault pour « faire en sorte que cette petite différence-là soit réglée rapidement », a indiqué à La Presse son directeur général, Alain Branchaud.

« L’intention » de protéger

C’est en incluant « l’intention » de protéger l’île d’Anticosti que le gouvernement était parvenu à dire « avec fierté », en décembre, que la superficie du territoire continental québécois bénéficiant d’une protection passait à 17,03 %.

Or, Anticosti ne peut être inscrite au Registre des aires protégées, parce que Québec ignore encore de quel type de protection l’île bénéficiera, a expliqué le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, dans un entretien avec La Presse, dimanche.

Le gouvernement Legault souhaite en faire une « aire protégée d’utilisation durable », un nouveau type d’aire protégée introduit dans la réforme de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, adoptée en début d’année.

Les paramètres de ce nouveau type d’aire protégée, où seraient permises des activités qui ne le sont pas ailleurs, « seront en parfait respect » des règles de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui seront déterminées lors de son congrès de septembre, assure le ministre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

« Les 17 %, on les a atteints », maintient-il, affirmant que d’autres gouvernements, dont celui du Canada, comptabilisent les aires protégées dès l’engagement annoncé, bien que le Québec le fasse historiquement lors de l’inscription au registre.

Une solution connue

Les partis de l’opposition et différents groupes environnementaux consultés par La Presse ont unanimement réclamé que Québec corrige le tir en concrétisant immédiatement les 83 projets d’aires protégées dans le sud du Québec écartés lors de l’annonce de décembre.

« On s’est fait enfirouâper encore une fois par le gouvernement », a tonné la députée de Verdun et porte-parole libérale en matière d’environnement, Isabelle Melançon, estimant que la différence de 0,3 % est importante, « parce que ça représente d’immenses territoires ».

« On respecte ou ne respecte pas la norme internationale, mais qu’on ne me fasse pas accroire qu’on la respecte alors que c’est faux », s’est indignée la députée, qui avait aussi questionné le ministre Charette sur la mise à jour du Registre des aires protégées lors de l’étude des crédits budgétaires de son ministère, à la fin d’avril.

« Le gouvernement nous prend vraiment pour des caves », a renchéri la députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien, porte-parole solidaire en matière de forêts, de faune et de parcs.

Elle exhorte à nouveau Québec à décréter un moratoire sur les coupes forestières dans les 83 territoires où des aires protégées sont projetées, notamment celle de la rivière Péribonka, au Lac-Saint-Jean, où des coupes doivent commencer incessamment.

Le Parti québécois réclame lui aussi la concrétisation de l’aire protégée de la rivière Péribonka.

« Ce serait une belle occasion de corriger une erreur et d’envoyer le signal que ce n’est pas l’industrie forestière ou les sous-ministres au ministère des Forêts qui [mènent] », a déclaré Sylvain Gaudreault, député de Jonquière et porte-parole péquiste en matière d’environnement et de lutte contre les changements climatiques.

Annonces à venir

Avec les 83 projets d’aires protégées qui font consensus depuis des années, Québec avait amplement de quoi surpasser sa cible de 17 %, rappelle Olivier Kolmel, porte-parole de la campagne Nature et alimentation de Greenpeace Canada.

« On pouvait déjà le faire, mais on ne l’a pas fait », ce qui démontre les intérêts politiques à favoriser l’industrie forestière, déplore-t-il.

Biodiversité et climat vont main dans la main et tant que nos gouvernements ne prennent pas ça en compte, on est destinés à un échec.

Olivier Kolmel, porte-parole de la campagne Nature et alimentation de Greenpeace Canada

La directrice générale de Nature Québec, Alice-Anne Simard, en veut au ministère des Forêts, « qui a bloqué la création d’aires protégées dans le sud du Québec », mais se montre moins critique concernant le seuil de 17 %, soulignant que l’annonce de décembre marquait « un bond important », même si Québec « n’aurait peut-être pas dû inclure » Anticosti.

Le ministre Charette promet des annonces de nouvelles aires protégées « dans les prochains jours », dont certaines font partie de la liste des 83 projets mis de côté en décembre, a-t-il affirmé à La Presse, sans s’avancer davantage.

« Pour ce qui est du 0,3 % qui semble en confondre certains, dit-il, c’est une question de quelques mois avant que ce soit dûment enregistré au Registre. »