(Guipavas) C’est un élevage intensif plutôt insolite : des millions de punaises et de microguêpes grouillent autour de plants de tabacs parfaitement alignés sous une vaste verrière. La coopérative agricole bretonne Savéol bichonne les petits insectes qui remplacent les pesticides pour lutter contre les ravageurs.

Quelque dix millions de petites punaises vertes macrolophus et 130 millions de microguêpes encarsia et eretmocerus sont produites annuellement par la coopérative leader de la tomate en France.  

La petite guêpe noire et jaune encarsia pond ses œufs dans les larves d’aleurodes, des petites mouches blanches avides de sève et de plus en plus résistantes aux pesticides, dont elle se nourrit de l’intérieur provoquant leur mort. Eretmocerus s’attaque aussi aux mouches blanches, mais à un stade un peu plus tardif, tout comme macrolophus qui mange cependant également des pucerons, des œufs de chenille ou même des petites chenilles.  

En attendant de se retrouver sur un plant de tomates, la petite punaise verte est nourrie avec des œufs de teigne dans les serres de Savéol Nature, l’unité chargée de cet élevage insolite situé à Guipavas, aux portes de Brest.  

Des centaines de plants de tabac, appartenant à la même famille que les plants de tomates, servent à héberger les petits auxiliaires. Leurs larges feuilles facilitant en outre la manipulation.  

À l’aide d’un sécateur, un employé coupe le haut d’un plant, puis le secoue au-dessus d’un large entonnoir. Les insectes tombent dans une boîte surmontée d’un filtre. Chaque semaine, ils sont envoyés aux 126 maraîchers de la coopérative, qui produit également près de 16 000 colonies de bourdons destinés à la pollinisation des fleurs de tomate et de fraise.  

Si l’utilisation d’auxiliaires en remplacement des produits phytosanitaires est de plus en plus fréquente, Savéol est la seule coopérative en France, et même en Europe selon ses dires, à posséder son propre élevage, ce qui lui permet de répondre au mieux à ses besoins.

« Troisième voie »

Au premier trimestre 2021, la Direction générale de l’alimentation (DGAL) avait enregistré 330 références d’organismes utilisés en lutte biologique et bénéficiant d’autorisations contre 257 en 2015, signe du « fort développement ces dernières années » de l’utilisation d’insectes pour protéger les cultures, selon le ministère de l’Agriculture.

« En 2020, on n’a pas fait de traitement chimique du tout », se félicite François Pouliquen, à la tête de Saveur d’Iroise, une exploitation adhérente de la coopérative qui compte huit hectares de serres.

« On est dans une période où le consommateur cherche à manger sain. Le sans-pesticide est une troisième voie, une alternative pour une production de masse, mais saine », plaide-t-il, estimant la production bio « pas à la portée de tout le monde en termes de budget ». Son exploitation, située à Gouesnou, une commune voisine, produit des tomates hors sol, comme c’est le cas pour la grande majorité des adhérents de Savéol, ce qui exclut d’emblée une certification biologique.

Lancée dès 1983, avant d’être agrandie en 2013 pour atteindre une superficie de 4500 m2, la ferme aux insectes de Savéol va encore s’étendre cette année, sur 1200 m2 supplémentaires.

Cet agrandissement « va permettre d’augmenter significativement nos capacités de production », se réjouit auprès de l’AFP Pierre-Yves Jestin, à la tête depuis de la structure qui produit chaque année 74 000 tonnes de tomates, mais également 2500 tonnes de fraises.

La nouvelle extension servira à développer l’élevage des punaises, dont la demande est « en croissance » depuis le lancement en 2019 du label « sans pesticide », explique à l’AFP Roselyne Souriau, responsable d’élevage à Savéol Nature. Le label a été lancé en 2019 avec les marques Prince de Bretagne, de la coopérative Sica de Saint-Pol de Léon, et Solarenn, autre coopérative bretonne. Actuellement, 163 maraîchers l’apposent sur leurs produits.  

La nouvelle extension permettra aussi le développement d’une nouvelle gamme d’insectes plus adaptés à la culture de la fraise.