Ce n’est pas le premier critère auquel on pense au moment de choisir un nouvel appareil, mais tôt ou tard, la question finira par se poser : quand il sera brisé, sera-t-il réparable ? De plus en plus, les gouvernements sont sommés de s’en mêler.

Pratiques, rechargeables, les petits appareils sans fil ont la cote, mais plusieurs réservent de mauvaises surprises. « Veux, veux pas, après un certain nombre de cycles de recharge, la pile va être foutue. Et pour une raison que je m’explique mal, elles sont souvent soudées en place, et non pas seulement fixées comme le seraient des batteries rechargeables normales », explique Patrick Cigana, conseiller principal en développement durable à Polytechnique Montréal. Il l’a lui-même vécu avec sa tondeuse à barbe, dont les piles, soudées, n’ont pu être remplacées. Et ce n’est qu’un exemple des frustrations infligées aux consommateurs.

Polytechnique a organisé, jusqu’à la fin de 2019, des ateliers d’aide à la réparation (repair cafe) où les citoyens étaient invités à apporter des articles brisés. Des réparateurs bénévoles ont ainsi redonné vie à des centaines d’objets, des ordinateurs aux grille-pain en passant par des vélos et des malaxeurs. Mais M. Cigana, qui a participé aux trois dernières éditions, a aussi vu passer de nombreux bidules peu ou pas réparables, comme de petits appareils électriques en plastique aux belles lignes épurées.

Quand il n’y a aucune vis apparente, ça veut probablement dire que c’est collé et que pour l’ouvrir, il va falloir le casser.

Patrick Cigana, conseiller principal en développement durable à Polytechnique Montréal

Les pièces en plastique ayant une fonction mécanique (qui sont mobiles ou tiennent une autre pièce, par exemple) posent aussi problème lorsqu’elles sont cassées. « La plupart des plastiques ne sont pas faits pour être collés, donc ça va finir par lâcher, tôt ou tard. » Tout ce qui est très miniaturisé et nécessite de la microsoudure « complique vraiment les choses », ajoute-t-il.

Les étudiants de Polytechnique ont des cours en fabrication durable et en écoconception. Toutefois, les consommateurs ont aussi un rôle à jouer en acceptant de payer « un petit peu plus cher pour quelque chose dont on peut espérer qu’il va être facilement réparable », fait valoir M. Cigana.

Encore faudrait-il avoir l’information nécessaire pour privilégier ce critère.

Le système français

IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS

En France, cinq types de produits doivent dorénavant afficher cette note sur 10 relative à la possibilité d’être réparé.

En France, le gouvernement a simplifié la vie aux consommateurs. Depuis le 1er janvier dernier, cinq types de produits (cellulaires, ordinateurs, téléviseurs, laveuses à hublot, tondeuses à gazon électriques) doivent afficher un « indice de réparabilité ». Calculé à partir de cinq catégories de critères (facilité de démonter l’objet, disponibilité et prix des pièces, disponibilité de la documentation technique, sous-critères propres au type de produit), cet indice est ramené sur 10 et accompagné d’un pictogramme dont la couleur varie en fonction de la note, allant du rouge (note inférieure à 2/10) au vert foncé (8/10 à 10/10).

Des critères comme la robustesse ou la fiabilité devraient s’ajouter dans trois ans pour en faire un « indice de durabilité », prévoit la Loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Un autre projet de loi français, intitulé Climat et résilience, contient aussi des dispositions visant à faciliter la réparation. Surnommée « amendement bicyclette », la mesure obligerait l’industrie à assurer la disponibilité des pièces de certains produits, comme les vélos et les outils de bricolage et jardinage motorisés, durant au moins cinq ans après la fin de la commercialisation.

Et aux États-Unis, des projets de loi visant à imposer le « droit de réparer » (right to repair) sont à l’étude dans 25 États, a récemment signalé l’Associated Press.

Projet de loi québécois

Au Québec, un projet de loi en ce sens est sur la table depuis deux ans. Rédigé par des étudiants en droit de l’Université de Sherbrooke à l’initiative du chargé de cours Jonathan Mayer, il a été présenté par le député indépendant de Chomedey, Guy Ouellette.

Il propose notamment d’afficher une « cote de durabilité » sur les appareils domestiques. Les pièces et outils pour l’entretien et la réparation devraient aussi être disponibles « à un prix et à des conditions raisonnables ».

Ce projet de loi 197 a franchi l’étape de l’adoption de principe mardi dernier, une rareté pour un projet de loi indépendant. Le gouvernement Legault n’a cependant pas dévoilé ses intentions pour la suite. Pour que le projet de loi progresse, il faudrait l’envoyer en commission parlementaire pour étude détaillée. Le député de Chomedey se dit ouvert à ce qu’il soit amendé ou même remplacé par un projet de loi du gouvernement.

Au cabinet du ministre de la Justice et leader parlementaire Simon Jolin-Barrette, on attend les recommandations finales de l’Office de la protection du consommateur (OPC), qui a mené une consultation à l’automne 2019. « Notre réflexion se poursuit », a indiqué la porte-parole du ministre Jolin-Barrette.

Le député Ouellette presse Québec d’aller de l’avant. « Les citoyens ont des besoins, tout le monde est d’accord avec ça, c’est transpartisan ! »

> Consultez le projet de loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur afin de lutter contre l’obsolescence programmée et de faire valoir le droit à la réparation des biens