On entend beaucoup parler de l’écoanxiété que suscitent les changements climatiques chez les jeunes. L’avenir les inquiète. Mais pour les adultes qui travaillent et militent à temps plein en environnement, l’écoanxiété est une réalité quotidienne qui peut facilement devenir envahissante, voire paralysante. Éco-motion, un organisme à but non lucratif fondé Estrie, a entrepris de leur venir en aide.

« C’est très difficile psychologiquement d’être en environnement, et on ne parle jamais de ça », témoigne la fondatrice et directrice générale d’Éco-motion, Isabelle Béliveau. Avec une technique en bio-écologie, un bac en environnement, ainsi que des contrats et des stages dans son domaine, elle a été aux premières loges. Avoir constamment à s’opposer pour protéger, sonner l’alarme sans être entendu, se sentir impuissant : elle a vu beaucoup d’amis jeter l’éponge. « Ça n’a pas de bon sens que les gens en environnement quittent le secteur, on en a tellement besoin ! », s’exclame-t-elle.

Éco-motion est né l’automne dernier de ce désir d’offrir du soutien aux étudiants, mais la demande a rapidement dépassé les attentes. L’organisme à but non lucratif fondé à l’Université de Sherbrooke regroupe maintenant une douzaine de collaborateurs permanents. La plupart sont spécialisés en environnement ou en communication, mais l’équipe compte aussi quatre personnes en psychologie, dont une en neuroscience.

Une brochette de spécialistes

L’organisme s’est aussi entouré de chercheurs en psycho, en travail social et en sociologie pour s’appuyer sur les dernières connaissances, notamment en psychologie du comportement. En quelques mois, il a animé des conférences et des groupes de discussion à l’université et dans plusieurs cégeps, et continuera au cours des prochains mois, notamment pour des organismes municipaux.

Conseillères en environnement et en développement durable, ingénieure de projet en industrie, chargée de projet pour un organisme de bassin versant, fonctionnaire d’Environnement Canada, psychologue, infirmière : la conférence en ligne à laquelle nous avons assisté récemment a attiré un public bien au-delà des murs de l’université.

Impression d’« essayer de vider un océan avec une chaudière », choc de valeurs avec des proches qui ne veulent pas entendre parler d’environnement, défi de convaincre des agriculteurs, les difficultés et besoins exprimés sont multiples.

L’écoanxiété est normale, explique Mme Béliveau aux participants. « On n’est pas ici dans la pathologie de l’anxiété, au contraire. Elle prépare à l’action, elle nous pousse à nous renseigner sur la menace. »

Elle parle de nombreuses autres « éco-émotions » propres à l’environnement, comme la solastalgie, forme aiguë de la nostalgie provoquée par la perte de milieux aimés.

« Ce n’est pas la peur de ce qui arrivera dans 100 ans : j’ai déjà vu plein de choses disparaître autour de moi, ça continue, et ça se passe partout dans le monde », nous a expliqué en entrevue l’une des participantes, Laury Aspirault. À seulement 26 ans, cette Gaspésienne a déjà vu le terrain de camping en forêt de son enfance converti en stationnement de station-service, et le niveau de rivières baisser au point où elles ne sont plus appropriées à la baignade. Et surtout, elle s’est épuisée pour l’environnement.

Chargée de projet pour la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie le jour, elle militait contre les changements climatiques les soirs et fins de semaine, rédigeant discours et communiqués, et répondant à des demandes d’entrevue à toute heure. « Je voyais l’urgence, je me disais que je me reposerais plus tard. » Mais à l’automne 2019, elle a craqué. « Je lisais une page d’un livre sur l’environnement et je partais à pleurer », raconte-t-elle, encore bouleversée. Elle a fermé sa page Facebook et consulté en psychologie, mais c’est seulement chez Éco-motion qu’elle a trouvé ce qu’elle cherchait.

« J’essayais de mettre des mots sur ce que je ressentais et de ne pas me faire dire : “Tu fais de l’anxiété ordinaire, fais ça et ça.” Ce n’est pas juste dans notre tête », souligne-t-elle.

Des outils pratiques

Durant la conférence, Mme Béliveau et sa coanimatrice donnent des outils. Connaître et respecter ses limites, évidemment, mais aussi diversifier son réseau de soutien, pour sortir de la « bulle » environnementale, et communiquer autrement, pour être enfin entendu.

« On a le même discours depuis 50 ans, c’est tout le temps la même chose et c’est tout le temps de plus en plus grave », reconnaît Mme Béliveau. Résultat, les gens n’écoutent plus, par réflexe de défense ou parce qu’ils se sont habitués à cet inconfort.

Pour abaisser les barrières, Éco-motion suggère aux participants de parler plutôt de la crise climatique avec leurs émotions « parce que justement, on connecte par nos émotions », rappelle Mme Béliveau. « Heureusement, il y a beaucoup de recherche là-dessus, sur toute la psychologie de l’engagement. » C’est d’ailleurs dans ce domaine qu’elle entamera une maîtrise combinant psychologie et communication en septembre.

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