Des écologistes s’inquiètent du fait que l’industrie du plastique et du pétrole tente de profiter de la pandémie pour favoriser ses intérêts. Ils appellent les gouvernements et la population à la vigilance, dans un contexte sanitaire sans précédent.

« On a vu passer plusieurs publicités dans les dernières semaines qui avaient pour but de lier la crise sanitaire à l’importance des produits polluants. C’est sûr que ça nous inquiète », lance d’emblée la responsable de la campagne Océans et Plastique chez Greenpeace Canada, Sarah King.

Dès la fin de mars, l’Association canadienne des producteurs de pétrole (ACPP) publiait des types de contenu adaptés au contexte sanitaire. « Le pétrole dans la vraie vie, c’est du savon et des désinfectants pour les mains : des produits essentiels pour lutter contre les germes sont plus importants que jamais », écrivait le groupe, en utilisant la même approche pour le masque N95, « rendu possible grâce à des produits pétrochimiques ». Un message similaire a également été relayé dans des communautés comme Canada’s Energy Citizens, à quelques reprises.

Mme King estime que ce genre de messages peut contribuer à « semer la confusion » dans la population, à une époque où l’hygiène individuelle est primordiale.

On constate aussi que des entreprises font actuellement du lobbyisme pour demander plus d’investissements aux gouvernements.

Sarah King, de Greenpeace Canada

« Il y a de sérieuses questions à se poser, sachant que les industries du plastique et du pétrole ne font qu’un. C’est un puissant lobby qui a l’écoute des responsables du gouvernement », insiste-t-elle.

Une dépendance déjà trop grande ?

Pour le président du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, Denis Blaquière, ces tentatives d’influence de l’industrie sont « particulièrement préoccupantes » quand on connaît l’usage déjà très grand qu’a le plastique dans la vie des Canadiens.

« On est tellement dépendants que les grandes entreprises n’ont même pas à japper très fort pour inonder les marchés. En attendant, le plastique est toujours aussi difficilement récupérable et recyclable », soutient-il, déplorant qu’à peine 14 % des matières plastiques soient recyclées.

À la Fondation David-Suzuki, la chef des projets scientifiques, Louise Hénault-Ethier, abonde dans le même sens. « C’est clair que plusieurs lobbys sectoriels se sont présentés comme la solution miracle pour éviter les risques de contamination, d’autant que les masques, les gants et les plexiglas ont généré beaucoup de plastique. L’effet de balancier a été très fort », observe l’experte. Selon elle, le danger est que les gains effectués dans les dernières années, notamment au chapitre du réutilisable, soient perdus. « Ça va prendre une sensibilisation encore plus accrue dans les prochains mois », fait-elle valoir.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Louise Hénault-Ethier

La plupart des centres de tri avec qui nous parlons le disent : les matières plastiques et les emballages ont augmenté pendant la crise. C’est très préoccupant.

Louise Hénault-Ethier, de la Fondation David-Suzuki

La chercheuse se réjouit toutefois que les différents ordres de gouvernement aient adopté des mesures dans les derniers mois pour réduire, voire bannir les plastiques à usage unique. La Ville de Montréal et le gouvernement Trudeau ont tous deux pris des engagements à ce chapitre.

Des commerçants qui s’adaptent

À l’Association québécoise Zéro Déchet (AQZD), la porte-parole Sandrine Tessier affirme que plusieurs commerçants ont instinctivement préféré le plastique aux produits réutilisables, au début de la pandémie, en pensant qu’il s’agissait de la solution la plus sécuritaire pour leurs clients.

« On constate que dans la majorité des cas, ce réflexe-là est surtout dû à un manque d’informations, explique la principale intéressée. La bonne nouvelle, c’est qu’avec le temps, on voit que plusieurs commerces réintègrent leurs bonnes pratiques, parce qu’ils y croient vraiment. »

En juin, une centaine de scientifiques signaient une lettre ouverte pour déboulonner certains mythes au sujet du réutilisable, après qu’un débat eut été déclenché dans la population. « Il est clair que son usage peut se faire en toute sécurité en respectant les règles d’hygiène de base. […] Le virus se propage essentiellement par l’inhalation de gouttelettes aérosolisées, plutôt que par contact avec des surfaces », écrivent-ils.

Cette sortie a largement contribué à changer les mentalités, croit l’AQZD, qui conserve toutefois des craintes pour la suite. « Il ne faudrait pas que le combat contre les plastiques et, plus globalement, contre le réchauffement climatique, s’arrête à cause de cette pandémie », illustre Sandrine Tessier.