Des scientifiques et des groupes inuits exhortent le gouvernement fédéral à protéger plus efficacement ses eaux les plus septentrionales, car la « dernière zone de glace » porte de mieux en mieux son nom.

« C’est si mal compris », déplore Derek Muller, un chercheur de l’Université Carleton qui a coécrit un article dans la revue Science demandant au gouvernement fédéral d’étendre et de rendre permanente la conservation de Tuvaijuittuq, une zone de 320 000 kilomètres carrés d’océan gelé au large de la côte nord de l’île d’Ellesmere.

Tuvaijuittuq signifie « l’endroit où la glace ne fond jamais » en inuktitut. On y retrouve la glace la plus épaisse et la plus ancienne de l’Arctique. En raison de la façon dont la glace se déplace dans les courants océaniques, Tuvaijuittuq est probablement le dernier endroit où la glace se maintient, même en été.

La zone est provisoirement protégée jusqu’en 2024. Mais M. Mueller signale que le rythme du réchauffement de l’Arctique plaide pour un statut permanent en tant qu’aire marine protégée reliée au parc national de Quttinirpaaq sur la côte nord d’Ellesmere.

En juillet, le plateau de glace Milne a perdu 43 % de sa superficie totale en deux jours. Quatre-vingts kilomètres de glace stables depuis des millénaires sont partis à la dérive. Le phénomène s’est déroulé si rapidement qu’un camp de recherche inhabité a été perdu.

« La zone Est est menacée. Nous espérons des mesures de conservation pour atténuer cela », dit M. Mueller.

La Qikiqtani Inuit Association (QIA) travaille avec les gouvernements fédéral et du Nunavut pour déterminer si Tuvaijuittuuq doit être protégé en permanence et, si oui, comment.

« La QIA mène une étude sur les connaissances inuites qui tentera vraiment de s’attaquer à l’utilisation actuelle et historique de la région par les Inuits, dit Andrew Randall, directeur de l’intendance marine et faunique de l’association. Nous examinons les sites culturels et certains des impacts associés au changement climatique. »

Les Inuits veulent comprendre quelles ressources pourraient se trouver dans la région, ajoute M. Randall. Ils veulent également s’assurer que les Inuits jouent un rôle dans sa gestion et son étude.

« Faire de la recherche ne signifie pas seulement faire appel à davantage de scientifiques occidentaux », mentionne-t-il.

L’écosystème de la glace de mer arctique peut sembler désolé, mais c’est tout sauf cela, déclare le PMueller. La glace soutient toute une gamme de vies importantes pour les humains et les animaux très éloignés.

Au moment où le reste du monde circumpolaire évolue sous l’effet du changement climatique, il est essentiel de s’assurer qu’un morceau de l’Arctique gelé reste exempt de perturbations humaines pour comprendre à la fois comment les choses étaient et ce qu’elles deviennent, soutient le Pr Mueller.

Cette année encore, les scientifiques ont découvert tout un écosystème de crustacés, d’anémones, d’étoiles de mer et d’étoiles cassantes vivant sur des étagères dans des poches dans la glace.

« Quelle merveilleuse surprise ! s’exclame-t-il. Nous commençons à peine à comprendre cet environnement. »

Derek Mueller raconte que des microbes vivant sur les mers de glace ont « des pigments très intéressants dans leurs cellules pour repousser les rayons UV nocifs ».

Préserver ce secteur est nécessaire, selon lui.

« C’est un peu une chose délicate à faire, physiologiquement, mais on ne sait jamais. Il se pourrait très bien qu’un jour nous découvrions quelque chose d’utile dans cette vie. »