(Ottawa) La décision du gouvernement Legault d’interdire la vente de véhicules neufs à essence à compter de 2035 force les libéraux de Justin Trudeau à revoir leurs propres ambitions en la matière.

Alors que le ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, doit dévoiler sous peu un plan ambitieux visant à permettre au Canada d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, on se demande maintenant avec acuité si l’objectif du gouvernement Trudeau d’interdire la vente de véhicules neufs à essence à compter de 2040 doit être devancé de cinq ans, a appris La Presse.

Chose certaine, la décision de Québec, qui a eu de larges échos dans le reste du pays, provoque « des discussions » au sein du cabinet, a-t-on confirmé en coulisses.

Et voilà que le Royaume-Uni, qui avait aussi un échéancier de 2040, a annoncé mardi qu’il devance le tout à 2030.

Dans son discours du Trône, présenté en septembre, le gouvernement Trudeau s’est formellement engagé à adopter un plan « qui permettra de surpasser les objectifs climatiques du Canada pour 2030 ». Il a aussi promis de légiférer pour rendre obligatoire l’atteinte de l’objectif de zéro émission nette d’ici 30 ans.

Or, le Canada n’a jamais réussi à atteindre ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) au cours des deux dernières décennies. À la conférence de Paris sur les changements climatiques, en décembre 2015, le Canada s’est engagé à réduire ses émissions de GES à 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, soit un maximum équivalent à 511 mégatonnes de CO2. À moins d’un imposant coup de barre, le Canada va rater cet objectif d’environ 77 mégatonnes, selon les analyses de plusieurs experts.

Selon nos informations, le plan vert du gouvernement Legault, qui mise résolument sur l’électrification des transports pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, a été accueilli comme une agréable surprise dans la capitale fédérale, notamment en raison de l’échéancier serré qu’impose Québec pour interdire la vente de véhicules neufs à essence.

En principe, le gouvernement Trudeau compte adopter des règlements visant à faire en sorte que la vente de véhicules zéro émission (VZE) représente au moins 10 % des ventes de véhicules neufs en 2025, 30 % en 2030 et 100 % en 2040.

Pour y arriver, le gouvernement Trudeau a notamment mis sur pied un programme de rabais de 5000 $ pour l’achat de véhicules électriques. Le programme, doté d’un budget de 300 millions de dollars, a été fort populaire, à un point tel que la cagnotte est presque vide alors que le programme lancé l’an dernier devait durer trois ans.

Le hic, c’est que 75 % des voitures électriques au Canada sont vendues au Québec (46 %) et en Colombie-Britannique (29 %), deux provinces qui offrent aussi des incitatifs. Au Québec, les conducteurs peuvent obtenir jusqu’à 8000 $ en plus du rabais fédéral, tandis que les conducteurs en Colombie-Britannique se voient offrir jusqu’à 3000 $ par la province.

Résultat : seulement 20 % des voitures électriques sont vendues en Ontario, la province la plus populeuse au pays, et seulement 5 % des ventes sont réalisées dans les sept autres provinces.

Récemment, le gouvernement fédéral et celui de l’Ontario ont annoncé un investissement combiné de 590 millions de dollars dans un projet visant à transformer une usine de montage de Ford située à Oakville, à l’ouest de Toronto, pour y construire des véhicules électriques. Le coût total du projet est évalué à 1,8 milliard et doit faire de cette usine « la plus grande » d’Amérique du Nord pour la construction de véhicules zéro émission.

En accélérant la cadence pour favoriser le virage vers l’auto électrique, le Québec s’inscrit dans la mouvance européenne et vient aussi augmenter la pression sur le gouvernement Trudeau pour qu’il fasse de même.

En Europe, le Danemark, les Pays-Bas, l’Islande et la Suède vont interdire la vente des véhicules à essence ou diesel dès 2030. La Norvège, elle, se montre plus ambitieuse encore en imposant l’échéancier de 2025, tandis que la France a fixé la date butoir à 2040.

Aux États-Unis, la Californie, l’État le plus peuplé du pays, continue de jouer son rôle de leader en annonçant récemment l’interdiction de ventes de véhicules neufs à essence à compter de 2035.

« Pas d’excuse », dit Greenpeace

Pour Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace à Montréal, le Canada n’a plus d’excuse pour ne pas devancer son échéancier.

« Non seulement il n’y a pas d’excuse, il a tout à gagner à assurer une transition dans ce secteur-là qui va de pair avec son objectif de carboneutralité d’ici 2050. Cela permettrait au Canada de développer une expertise, de créer de bons emplois, de développer des secteurs d’avenir. Sinon, ça va être développé ailleurs », a affirmé M. Bonin à La Presse.

Il a fait valoir que la nouvelle administration de Joe Biden entend aussi appuyer sur l’accélérateur pour lutter contre les changements climatiques. Durant la campagne présidentielle, il a promis d’y consacrer 2700 milliards US, notamment dans l’électrification des transports.

« Si le Canada continue de traîner la patte comme c’est le cas actuellement, il va accuser un grand retard par rapport à d’autres pays. En ayant le Canada avec la Californie, qui vise 2035 aussi, on atteindrait une masse critique pour les manufacturiers automobiles et ça devient aussi la norme même s’il n’y a pas d’autres États américains qui suivent. Les constructeurs automobiles ne voudront pas se priver d’un marché aussi important que le Canada et la Californie en Amérique du Nord, ça, c’est certain », a-t-il avancé.