(Ottawa) Pendant que Justin Trudeau prépare son discours du Trône et son plan de reconstruction qu’il promet « audacieux », des agriculteurs font des pressions pour que cette audace soit teintée de vert.

« Ce qu’on veut, dans le fond, c’est que les gouvernements donnent plus d’aide aux agriculteurs pour faire face aux changements climatiques », réclame Claude Lefebvre.

M. Lefebvre est l’un des 20 000 éleveurs et agriculteurs membres du groupe Fermiers pour la transition climatique. Sa ferme compte 200 vaches laitières et 300 hectares de culture.

De l’audace, M. Lefebvre en a eu au cours des 30 dernières années à Baie-du-Febvre. Il a tenté le semis sans travail du sol. « J’ai fait des choses que je me suis cassé la gueule un peu », confie-t-il.

« On a eu des baisses de rendement. Mais à force de persévérer, disons qu’on a amélioré nos façons de faire et là, ça va bien », raconte-t-il en expliquant que le procédé, sans labour par tracteur, lui a permis de diminuer son empreinte carbone et a ramené les vers de terre dans ses champs.

« Quand on amène des vers de terre dans le sol, on n’amène pas rien que des vers de terre. On amène une faune incroyable qui va, elle, aider à libérer des éléments nutritifs pour la culture », explique-t-il avec tant d’enthousiasme qu’on voit presque ses yeux briller à l’autre bout du fil.

Il est tout aussi enthousiaste lorsqu’il vante ses « cultures de couverture ». « C’est un avantage pour la production, c’est un avantage aussi pour le sol et ça capte du CO2 », fait-il valoir.

Du gouvernement fédéral, il veut « de l’accompagnement » qui dure. « Souvent, les subventions, c’est pour l’adoption de nouvelles pratiques et au bout de trois, quatre ans, ça disparaît. Alors là, les producteurs abandonnent », critique-t-il.

Son groupe a produit un rapport et des recommandations. Parmi celles-ci, la nécessité « d’encourager la génération d’énergies renouvelables, le remplacement de combustibles et le réaménagement des immeubles sur les fermes ».

Or, seulement 4 % des fermes au Canada ont adopté « une forme de production d’énergie renouvelable », nous apprend le rapport.

À l’Université Laval, le professeur Sébastien Fournel compte les bâtiments de ferme dans ses champs d’expertise.

Il constate que des efforts sont faits en ce moment pour renouveler ces bâtiments, mais c’est pour servir une autre cause : le bien-être animal.

Les consommateurs ont de nouvelles exigences qui se transforment en pressions sur les entreprises agroalimentaires qui, à leur tour, imposent de nouvelles normes aux éleveurs, selon M. Fournel.

« Donc, ils (les fermiers) sont déjà, eux, plus en mode mise à niveau pour répondre aux dernières normes ou exigences en termes de bien-être animal, pour répondre aux exigences du marché », explique-t-il.

Et puis, il manque une motivation financière pour investir dans des installations d’énergie renouvelable, selon lui.

« Sur les fermes d’élevage, la facture énergétique n’est peut-être pas le poste de dépenses le plus important. Donc ce n’est peut-être pas la première chose où les producteurs vont aller », explique-t-il, évaluant cette facture à 6 % des dépenses d’un éleveur.

« Il y a plusieurs technologies qui vont permettre de réduire les gaz à effet de serre, mais si le producteur paye pour ça, lui, il n’a rien qui revient dans sa poche. De réduire ses gaz à effet de serre, ses vaches ne produisent pas plus de lait, ses poules ne feront pas plus d’œufs… La question qu’il faut se poser : est-ce que c’est à la société de payer pour cette réduction-là ? », fait remarquer le professeur Fournel.

Que prépare le gouvernement fédéral ?

Dans ses annonces publiques, la ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, parle d’un « plan de relance économique verte » pour assurer « une agriculture et un secteur agroalimentaire durables et prospères ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre Marie-Claude Bibeau

On n’en est pas encore à des propositions concrètes.

« On y réfléchit. On vire ça dans tous les sens et la COVID nous a permis d’identifier plus clairement où étaient les forces et les faiblesses du secteur alimentaire et agroalimentaire, de nos chaînes d’approvisionnement », offre la ministre Bibeau en entrevue téléphonique.

Elle cite l’appui fédéral à la recherche en agriculture, mais elle admet que sur le terrain, l’aide à l’innovation sur les fermes laisse à désirer.

« Pour le moment, on aidait beaucoup au niveau de l’innovation, au niveau des premiers qui vont aller de l’avant avec des nouvelles techniques, mais justement il faut faire en sorte que ce soit plus accessible de façon plus large, qu’on puisse partager les bonnes pratiques », dit-elle.

Les Fermiers pour la transition climatique ont pu soumettre leur vision à la ministre et se sont dits « encouragés » par son « ouverture ».

Parmi leurs recommandations : « adapter les programmes de gestion de risque pour encourager l’adoption des pratiques de réduction de risque », le risque associé aux changements climatiques.

Et là, la ministre semble prête à les suivre, mais lentement.

Les programmes de gestion de risque, financés à 60 % par le fédéral et 40 % par chaque province, roulent sur des cycles de cinq ans.

« On commence à discuter le prochain (cycle) qui va commencer en 2022, mais on est déjà en train d’en discuter et ça fait partie de la discussion ; […] comment on peut lier certains supports financiers à l’engagement des producteurs à mieux gérer leur risque, dans une certaine mesure, et leur impact sur l’environnement », confie la ministre.

Et même si aucune décision n’est prise, il est déjà question de lier, par exemple, le programme Agri-investissement à des efforts voués à la protection de l’environnement.

Claude Lefebvre, lui, est impatient. « On dit souvent « il est minuit moins une », mais là, il est minuit et quart », se plaint-il.

Il a semé dans des conditions extrêmement sèches, ce printemps. « Je n’avais jamais vu ça de ma vie, depuis que je suis en agriculture », relate-t-il.

« Le gouvernement a mis des objectifs en place de réduction des gaz à effet de serre et tout ça, mais il n’a pas nécessairement de vision de comment le faire. Nous, on offre une possibilité du point de vue agricole », fait-il remarquer.

« Il y a une belle occasion, là », conclut-il.