Des abeilles mortes dans l’herbe, des butineuses qui tombent du ciel, des ouvrières qui tressaillent sur le sol : en l’espace de 10 jours, un apiculteur de la Montérégie a perdu près de 600 ruches. Il s’agit de l’une des pires hécatombes jamais recensées au sein d’un seul rucher au Québec. Une intoxication aiguë aux pesticides en serait la cause, croit Les Apiculteurs et apicultrices du Québec, syndicat qui représente les propriétaires de ruches de la province.

« Ça donne mal au cœur de toutes les voir par terre. » Joël Laberge est d’une lignée d’apiculteurs de père en fils. Avec son père, il a inventé le miel crémeux. Propriétaire de la Miellerie St-Stanislas, au sud de Valleyfield, il devait se rendre au Lac-Saint-Jean avec ses ruches jeudi soir pour la pollinisation des bleuetières, qui vient de débuter. Des agriculteurs ont loué environ 1250 de ses ruches afin de produire ce petit fruit.

Lorsque M. Laberge s’est rendu dans l’un de ses sites où se trouvaient 200 ruches contenant 7 millions d’abeilles prêtes à être embarquées dans des camions, il a plutôt découvert des millions d’abeilles par terre. Certaines mortes, d’autres tremblantes. « Comme un effet de parkinson », illustre-t-il.

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Joël Laberge, propriétaire de la Miellerie St-Stanislas

Imaginez un terrain de la grosseur d’un demi-terrain de football avec des insectes morts tous les trois pouces.

Joël Laberge, propriétaire de la Miellerie St-Stanislas

En seulement quelques heures, environ 170 ruches sur 200 ont été décimées par ce mal étrange. « Il pleuvait des abeilles, dit l’apiculteur. Elles tremblaient, elles n’étaient plus capables de voler, elles étaient dans un état de choc léthargique. »

Il estime qu’il parviendra seulement à envoyer entre 300 et 450 ruches pour la pollinisation des bleuets cette année. Lors du passage de La Presse, il s’affairait à consolider les portions de colonies qui avaient survécu pour former de nouvelles ruches.

Il évalue ses pertes de 300 000 $ à 400 000 $.

La faute aux pesticides ?

Des insectes morts ont été envoyés au laboratoire du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) à fin d’analyse. Le Ministère n’a pas voulu commenter ce « cas particulier » vendredi.

Julie Fontaine, présidente du comité pesticide des Apiculteurs et apicultrices du Québec, syndicat de 200 propriétaires de ruches rattaché à l’Union des producteurs agricoles (UPA), a peu de doutes sur l’origine des mortalités.

C’était des abeilles chargées de pelotes de pollen. Elles n’ont qu’un but dans la vie : rentrer dans la ruche et nourrir les larves. Pour que quelque chose les arrête, il faut que ce soit fulgurant.

Julie Fontaine

La miellerie se trouve dans un secteur où l’on cultive intensivement le maïs-grain. Puisque les producteurs sont en pleine saison d’épandage, Mme Fontaine pense que les abeilles ont été intoxiquées par un « effet cocktail » de différentes molécules chimiques répandues dans les champs.

« Elles tombent sur le dos et se mettent à convulser parce que ces produits-là, ça affecte le système nerveux. Elles ne contrôlent plus leurs muscles. Et là, éventuellement, c’est la paralysie, et elles meurent », explique-t-elle.

Une maladie qui aurait le même effet prendrait des semaines, des mois, voire des saisons pour se développer. « Si c’était un virus, ça serait sur des années. »

Plus d’inspecteurs, réclament les apiculteurs

Le problème, évalue Julie Fontaine, a été amplifié par la sécheresse des dernières semaines. Assoiffées, les abeilles ont cherché à s’abreuver dans les champs de maïs dans les petits réceptacles formés par les feuilles de maïs.

Elle explique que les plants de maïs suintent de l’eau qui peut contenir des insecticides issus des semences de la plante ou des herbicides issus des épandages. 

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Les plants de maïs suintent de l’eau qui peut contenir des insecticides issus des semences de la plante ou des herbicides issus des épandages. 

De son côté, Joël Laberge montre aussi du doigt les producteurs qui ont décidé d’épandre des mélanges d’herbicides malgré des vents de près de 20 km/h.

« Pris individuellement, ce sont tous des produits à faible toxicité, mais c’est le cocktail [le problème]. Ils sont mélangés aux sécrétions des plants. C’est comme de toutes petites tasses d’eau qui traînent dans le champ. Chaque épi de blé d’Inde fait comme une paille qui contient quatre, cinq gouttes d’eau. C’est cela qui est attirant pour l’abeille », explique-t-il.

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Joël Laberge montre du doigt les producteurs qui ont décidé d’épandre des mélanges d’herbicides malgré des vents de près de 20 km/h.

Président de la section locale de l’UPA de Beauharnois-Salaberry, François Vincent préfère attendre les résultats des tests du MAPAQ avant de se prononcer sur la cause des mortalités. « Comment fait-on pour savoir par exemple que l’abeille a passé sous l’arroseuse, s’est intoxiquée et s’est rendue à la ruche  ? Il n’y a pas de GPS sur l’abeille, souligne-t-il. Aujourd’hui, je ne suis pas capable de dire hors de tout doute qu’elles sont mortes de ça. »

Le président des Apiculteurs et apicultrices du Québec, Stéphane Leclerc, affirme que l’épandage en période de grands vents ne devrait plus avoir lieu. Découragé, il demande au MAPAQ et au ministère de l’Environnement d’augmenter leur présence sur le terrain.

« Il faut que le Ministère engage des inspecteurs, ça n’a plus de sens. Il faut qu’il y ait des personnes qui sillonnent les champs pour donner des amendes aux contrevenants », dit-il.