(Montréal) Le réchauffement climatique pourrait interférer avec la reproduction de certains reptiles ovipares, comme les tortues de mer et les crocodiles, dont la différenciation sexuelle dépend de la chaleur, craignent des experts.

Ces espèces déposent leurs œufs dans un nid dit « autonome » qu’elles creusent et abandonnent après l’avoir remblayé, laissant au soleil le soin de le « couver » pour elles.

Chez les tortues, par exemple, des œufs incubés à 28 degrés Celsius produisent des mâles ; à 30 degrés, aussi bien des mâles que des femelles ; et à plus de 32 degrés, des femelles. Un phénomène similaire se produit chez les crocodiles ou les alligators.

« Quand la femelle dépose son œuf, le sexe n’est pas encore fixé, a expliqué le biologiste Benoit Limoges, qui procède à des inventaires de tortues marines et de crocodiles en Afrique de l’Ouest depuis plus de 30 ans. Le sexe de l’individu va être influencé par la chaleur. Si vous imaginez un nid [creusé] sur une plage, la partie plus basse va être plus fraîche […] et la partie plus haute plus chaude. Il y a une certaine hétérogénéité dans la température et ça permet d’avoir un [ratio des sexes] égal. »

On pourrait donc raisonnablement prédire que le réchauffement climatique aura un impact, a ajouté M. Limoges, qui a déjà notamment travaillé en collaboration avec l’Union internationale pour la conservation de la nature.

« Si, sur cette plage-là, le soleil plombe plus et qu’il y a plus de chaleur, et qu’au lieu de faire 35 degrés en moyenne il fait 40 degrés en moyenne, ça va influencer la température de la chambre des œufs, et ça va modifier le [ratio des sexes] en conséquence », a-t-il expliqué.

On aussi prévenu, lors d’une récente conférence environnementale en Inde, qu’un temps aussi chaud pourrait entraîner des mutations chez les embryons et les empêcher d’atteindre l’âge adulte.

Mauvaise nouvelle

Certains experts croient qu’entre 76 % et 93 % des tortues de mer pourraient être des femelles d’ici 2100.

« À priori, quand le ratio des sexes est débalancé, ce n’est jamais une bonne nouvelle, a réagi la docteure en zoologie Lyne Morissette. Des deux scénarios, plus de mâles ou plus de femelles en proportion, c’est clairement d’avoir plus de femelles qui est le plus avantageux. »

PHOTO ASIT KUMAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des tortues retournent vers la mer après avoir pondu leurs œufs sur la plage de Rushikulya, en Inde

Puisque ce sont les femelles qui produisent les petits, précise-t-elle, tant qu’on dispose de suffisamment de « mâles pour fournir les femelles […] ça peut créer […] une sorte d’explosion dans la population ».

En revanche, les espèces chez qui la chaleur entraîne une plus grande production de mâles, comme les poissons, seraient désavantagées.

« Les dernières études [indiquent] justement qu’au niveau des tortues, dans le passé, elles ont adapté leur population en produisant plus de femelles pour survivre le mieux possible à une crise, a révélé Mme Morissette, de la firme de consultants en médiation environnementale ExpertiseMarine. Si [le ratio des sexes] change un tout petit peu, ce qu’on voit c’est que ce serait peut-être une façon de s’adapter à une crise pour se donner le plus de chances possible de survivre. »

Les tortues pourraient donc être en train de faire ce qu’elles ont toujours fait depuis des dizaines de millions d’années : s’adapter à leur nouvel environnement en produisant un peu plus de femelles.

Et pendant qu’il est question d’adaptation, on remarque aussi que certaines tortues ont commencé à pondre un peu plus tôt, quand le temps est plus frais, même si la dégradation des habitats qui accompagne le réchauffement planétaire leur complique la tâche quand vient le temps de trouver des sites de ponte appropriés.

Trop déséquilibré

Cela étant dit, un déséquilibre tel que celui envisagé d’ici 2100 n’aurait rien du changement « tout petit » décrit par Mme Morissette et serait plutôt catastrophique.

« Quand le ratio devient trop élevé, on fait face à une extinction qui est vraiment inquiétante, a-t-elle prévenu. Quand le débalancement [est exagéré], on a beau avoir beaucoup de femelles, il n’y a plus assez de mâles pour opérer le plein potentiel de cette population-là. Ce qu’on voit dans les changements de ratios, par rapport à ce qu’on connaissait, c’est que les ratios changent beaucoup plus vite et qu’ils atteignent des extrêmes qui sont beaucoup au-delà des variations qu’on voyait avant. »

Toutes les espèces doivent s’adapter à des milieux qui changent constamment, poursuit-elle : certaines s’adaptent, certaines disparaissent et certaines deviennent de nouvelles espèces ou des espèces ayant de nouveaux traits qui leur permettront de s’adapter.

Mais la vitesse à laquelle se produisent aujourd’hui les changements vient brouiller les cartes.

« Il y a vraiment des espèces qui sont en train de changer, a prévenu Mme Morissette. Et malgré le fait que pour certaines espèces ça pourrait comporter un avantage, la majorité de ces changements-là sont trop drastiques pour n’être qu’une stratégie d’adaptation. Tant mieux pour celles que ça va aider, mais pour la plupart, c’est plus une mauvaise nouvelle qu’une bonne nouvelle. »