Après des mois de conflits internes sur la forme que leur rapport devait prendre, les députés de la commission parlementaire sur les pesticides ont finalement déposé 32 recommandations unanimes à l’Assemblée nationale, mercredi. « Floues », « alambiquées », « génériques » : elles ont été accueillies avec tiédeur ou déception par plusieurs témoins entendus lors des audiences publiques.

« Il y a beaucoup d’endroits où ils n’ont pas été très audacieux », déplore Louise Hénault-Ethier, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki. « La toute première recommandation du rapport, c’est que le gouvernement fasse de la réduction des pesticides une priorité, mais c’est déjà une priorité dans la stratégie phytosanitaire et dans la politique sur les pesticides, donc je ne vois pas comment ça peut devenir encore plus une priorité ! »

Que propose le rapport ?

Renforcer le programme québécois de surveillance des résidus de pesticides dans les aliments, mieux informer les producteurs et travailleurs agricoles sur la prévention des risques sur leur santé, étudier l’effet « cocktail » des différents produits chimiques : voilà quelques-unes des mesures concrètes sur lesquelles les 13 députés de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) se sont unanimement entendus.

D’autres sont plus vagues. Par exemple, dans la recommandation numéro 7, les parlementaires prônent que le gouvernement « fasse état de la situation des pesticides au Québec et agisse en conséquence ».

Il y a des flous inutiles, je trouve, ils auraient pu être plus précis, ils auraient pu aller plus loin. Or, dans les mémoires déposés à la commission, il y avait beaucoup de pistes qui ont été présentées.

Nadine Bachand, chargée de projet, pesticides et produits toxiques, chez Équiterre

Rien sur le parkinson

Les membres de la CAPERN proposent aussi que le ministère de la Santé et des Services sociaux réalise une étude épidémiologique sur l’impact des pesticides sur la santé ainsi que sur l’effet combiné des produits chimiques « pour clarifier la situation québécoise ». Ils proposent ensuite que le gouvernement tienne compte des résultats de cette étude dans l’élaboration du processus de révision de la liste des maladies professionnelles.

En France, la maladie de Parkinson et les lymphomes non hodgkiniens sont reconnus comme des maladies professionnelles, et les agriculteurs qui en sont atteints peuvent être indemnisés. Québec entreprendra bientôt une révision de la loi sur les maladies professionnelles, une première depuis 1985.

Or, une étude épidémiologique suit des cohortes de personnes sur de très longues périodes. « Que le gouvernement prenne compte des résultats dans sa révision de sa liste des maladies professionnelles, OK, c’est une bonne idée. Mais ça, ça va se passer dans 10 ans ! Parce qu’une vraie étude épidémiologique, ça prend 10 ans », affirme Romain Rigal, de Parkinson Québec, qui pense que les maladies associées à l’usage des pesticides devraient être considérés dès maintenant.

« Ces associations, elles ont déjà été constatées partout dans le monde. Le début d’une première hypothèse d’association entre la maladie de Parkinson et les pesticides, elle a été faite au Québec, et c’était par André Barbeau en 1987 ! Depuis, on n’arrête pas d’en produire, de la donnée québécoise », rappelle-t-il.

L’agriculteur Serge Giard, qui est atteint de la maladie de Parkinson et qui a livré un témoignage poignant devant la commission, est pour sa part très déçu.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Serge Giard

« Durant les audiences, la commission s’est montrée attentive, bien disposée à approfondir ce sujet. Toutefois, sortir un rapport sans mentionner la maladie de Parkinson démontre une négligence dangereuse pour les travailleuses et les travailleurs qui doivent manipuler et travailler avec ces pesticides. »

Du générique au très précis

Lancée dans la foulée de l’affaire Louis Robert, la commission parlementaire a reçu 76 mémoires dans lesquels plus de 700 recommandations avaient été proposées. Fin septembre, les parlementaires ont entendu 26 groupes lors d’une semaine d’audiences publiques. Des représentants des quatre partis politiques ont même mené une mission en France et en Belgique pour étudier les mesures prises en Europe afin de réduire les risques liés à ces produits chimiques.

« On se pose la question à savoir s’il y a eu une analyse réelle des recommandations qui avaient été mises de l’avant. On dirait vraiment que c’est à l’emporte-pièce », ajoute Mme Hénault-Ethier.

« Des fois, les recommandations sont super génériques et tu ne sais pas trop ce qu’elles veulent dire et des fois, elles sont super spécifiques, comme la recommandation numéro 13, qui dit que les agriculteurs soient sensibilisés à tenir compte de la direction du vent [lorsqu’ils décideront du jour où ils appliqueront les pesticides]. Tous les agriculteurs le savent ! C’est sur les étiquettes et dans les bonnes pratiques, c’est comme tellement évident que ça n’a juste pas d’allure ! », dit-elle en éclatant de rire.

Par ailleurs, l’une des réformes demandées par de nombreux groupes n’a pas été retenue par les parlementaires : celle de séparer le double rôle des agronomes qui vendent et prescrivent des pesticides. Le rapport propose plutôt au gouvernement de « réviser le Code de déontologie des agronomes de manière à mieux encadrer son application, notamment en clarifiant la notion d’indépendance ».

L’UPA demande 60 millions

La commission parlementaire sur les pesticides a été demandée par la Fondation David Suzuki, Équiterre et un allié qui n’était pas nécessairement inné : l’Union des producteurs agricoles (UPA), syndicat qui représente les 42 000 agriculteurs du Québec.

Le président de l’UPA, Marcel Groleau, s’est dit satisfait du travail de la commission, même s’il ne trouve pas les recommandations « extrêmement précises » sur les actions à entreprendre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Marcel Groleau, président de l’Union des producteurs agricoles

Dans son rapport, la CAPERN recommande que le gouvernement accompagne davantage et soutienne adéquatement les producteurs dans leur transition vers l’adoption de méthodes agroenvironnementales.

Marcel Groleau s’est réjoui, mais il aimerait que le gouvernement s’engage à débourser des sommes pour réaliser cette recommandation dans son prochain budget. Il estime que 60 millions seront nécessaires pour aider les agriculteurs à faire un virage vert.

« On est dans un marché ouvert, donc il faut être conscient que si on exige plus, il y aura des coûts supplémentaires pour les agriculteurs québécois, et donc ça prendra des budgets. On ne fait pas référence dans le rapport aux sommes que devrait consacrer le gouvernement aux changements ou à l’adoption de nouvelles méthodes de production », explique-t-il.

Les apiculteurs heureux

Les députés demandent aussi au ministère de l’Environnement de mettre à jour la liste des pesticides à usage restreint, laquelle compte présentement cinq substances qui sont de moins en moins utilisées par les agriculteurs (et donc remplacées par d’autres) : l’atrazine, le chlorpyrifos et trois néonicotinoïdes, ces fameux pesticides « tueurs d’abeilles ».

D’ailleurs, ils demandent au ministère de l’Environnement d’améliorer ses connaissances sur le déclin des pollinisateurs au Québec et de lutter contre la cause de ce déclin.

« Sincèrement, je m’attendais à une catastrophe, alors je dois dire que je suis agréablement surprise des résultats de la commission et c’est une sensation qui est agréable, très nouvelle pour moi, après des années passées à me battre pour la reconnaissance de la toxicité des pesticides pour nos pollinisateurs », a indiqué Julie Fontaine, présidente du comité pesticides des Apiculteurs et apicultrices du Québec, un syndicat de 200 propriétaires de ruches rattaché à l’Union des producteurs agricoles.