Après la consigne, Québec s’attaque aux ratés de la collecte sélective. Il demandera aux entreprises qui mettent en marché les contenants et les emballages d’assumer davantage de responsabilités. Il leur transférera la gestion des centres de tri et leur demandera d’assurer une plus grande qualité des matières qui en ressortent, a appris La Presse au sujet de la réforme du recyclage qui sera annoncée mardi.

« Responsabilité élargie »

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, épouse le concept de « responsabilité élargie des producteurs », selon lequel les entreprises qui mettent en marché les contenants et les emballages doivent être davantage responsables de leurs produits. À l’heure actuelle, leur responsabilité est essentiellement financière : un tarif leur est imposé en fonction de la quantité de contenants, d’emballages et d’imprimés qu’elles génèrent. Les revenus, accumulés par l’organisme Éco Entreprises Québec (EEQ), sont versés aux municipalités pour contribuer au financement de la collecte sélective et des centres de tri. Or, Québec compte maintenant transférer aux entreprises la gestion des centres de tri, actuellement sous la responsabilité des villes, à travers un organisme qui les représente et qui devra être reconnu par Recyc-Québec. Ce pourrait être EEQ, par exemple. Les contrats avec les centres de tri seront donc gérés par l’industrie. Deux rapports produits l’an dernier ont recommandé au gouvernement d’élargir la responsabilité des producteurs : celui d’un comité sur la modernisation de la récupération et du recyclage, dont le privé était membre, et celui d’une commission parlementaire qui s’est penchée sur le recyclage du verre.

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Rehausser la qualité

Québec veut éviter que les matières recyclables se retrouvent dans les sites d’enfouissement. Il demandera d’améliorer la qualité des matières qui ressortent des centres de tri, un enjeu majeur dans la crise qui secoue l’industrie de la récupération. Il leur imposera des obligations en ce qui concerne la qualité, mais aussi la quantité des matières recyclables. Ses exigences en matière de récupération et de recyclage seront donc plus élevées. Il compte soutenir l’industrie pour s’y conformer, par exemple en investissant davantage dans la modernisation des centres de tri et le développement de débouchés locaux, à l’heure où les marchés étrangers se referment. Cette réforme s’inspire d’ailleurs de ce que le gouvernement Legault vient d’annoncer pour la consigne élargie : les entreprises qui mettent en marché les contenants de boisson ont, ici aussi, la responsabilité financière et opérationnelle du nouveau système à travers un organisme reconnu par Recyc-Québec. Les entreprises devront ainsi s’assurer que 75 % des contenants consignés seront récupérés et recyclés en 2025 et que 90 % de ces contenants le seront en 2030. Elles subiront des pénalités si elles n’atteignent pas les cibles. Dans le cas de la collecte sélective, les producteurs auront tout avantage à favoriser la récupération et le recyclage de leurs emballages, puisqu’ils auront plus de responsabilités dans le système.

Pas de changement pour le citoyen

À Québec, on fait valoir que les changements dans le système de récupération et de recyclage auront somme toute peu d’impact sur le citoyen. Le bac bleu sera toujours utilisé, et le modèle « pêle-mêle » demeure. Les villes seront toujours responsables de la collecte. Pour mettre en œuvre la réforme, le gouvernement devra faire adopter un projet de loi. Les changements ne se concrétiseront donc pas à très court terme – comme pour la consigne élargie d’ailleurs, dont l’implantation se fera de façon progressive après les élections de 2022.

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Trier autrement

Selon de nombreux acteurs et observateurs du milieu, il faut revoir notre façon de trier les matières recyclables si l’on veut obtenir un « produit » de meilleure qualité à la sortie des centres de tri. « On devrait le plus possible trier à la source », pense Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED). Revenir au « bac divisé » de jadis n’est probablement pas une bonne solution, croit-il, mais pourquoi ne pas alterner les collectes ? « Une semaine, les fibres [de papier] ; une semaine, le plastique et le métal », suggère-t-il.

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Manque de transparence

Il est difficile d’avoir un portrait précis de l’état de la récupération au Québec, faute de critères de qualité et de traçabilité, déplore-t-on depuis longtemps. « Il faut plus de transparence et d’imputabilité », affirme Yourianne Plante, porte-parole d’Éco Entreprises Québec (EEQ), l’organisme qui représente les entreprises qui financent le système. « Rembourser ce que ça coûte sans avoir d’indicateurs, de cibles, de normes, ça ne vaut rien », tranche-t-elle, ajoutant que les entreprises ont payé 1,5 milliard de dollars depuis 15 ans. EEQ réclame elle-même une refonte complète du « cadre réglementaire » du système, afin que les entreprises y aient des « responsabilités accrues ». C’est précisément ce qui les attend avec l’annonce du ministre Charette.

Revoir les rôles

Recyc-Québec, EEQ, le gouvernement, les municipalités, des entreprises privées : beaucoup d’intervenants se mêlent de la récupération au Québec à l’heure actuelle. « Le morcellement des rôles et des responsabilités devient un obstacle », constate la présidente et directrice générale de Recyc-Québec, Sonia Gagné. « Les taux de récupération et de recyclage stagnent, constate-t-elle. Chacun est arrivé au bout ce qu’il pouvait faire avec le système en place. » C’est à l’État de jouer au chef d’orchestre et de revoir les rôles, dit-elle : « C’est plus facile pour nous lorsque c’est enchâssé dans un règlement. »

Interdire les produits non recyclables

Les centres de tri sont aux prises avec une quantité significative de matières… qui ne sont pas recyclables. « Ça ne devrait pas exister », reconnaît Yourianne Plante. Il faut donc forcer l’écoconception des produits avec des incitatifs fiscaux et légaux, qui favorisaient non seulement l’émergence de produits recyclables, mais aussi l’intégration de matières recyclables dans leur fabrication. Les entreprises sont prêtes à le faire « demain matin » si les règles sont claires et s’appliquent à l’ensemble de l’industrie, assure Mme Plante, qui voit même le Québec devenir un leader dans le domaine au Canada.

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Réduire à la source

Même quand les matières sont recyclables, il y en a beaucoup trop. « Le meilleur déchet, c’est celui qui n’est pas produit », résume Sonia Gagné, pour qui la solution passe aussi par la réduction à la source. « On emballe du vide », s’exclame Karel Ménard en donnant l’exemple de boîtes de biscuits qui contiennent plus d’air que de biscuits. « Si l’emballage sert à emballer du vide, nous vendre une boîte, la compagnie devrait être pénalisée », dit-il, rappelant que ce sont les villes qui ont hérité jusqu’ici de la tâche de gérer ces matières créées par des entreprises.

Alléger le fardeau fiscal des villes

Le financement des entreprises qui fabriquent et vendent des emballages ne couvre pas la totalité des coûts, que les municipalités doivent combler, déplorent-elles. « La Ville de Montréal a perdu 10 millions dans le nouveau calcul [pour 2020] », lance le responsable des services aux citoyens et de l’environnement au comité exécutif, Jean-François Parenteau. Ce calcul qui détermine le montant remboursé aux villes par les entreprises est notamment basé sur les tonnages de matières traitées, mais exclut les rejets, qui se sont élevés à 11,4 % en 2018, d’après Recyc-Québec. « On paie pour ce qui va à l’enfouissement », regrette M. Parenteau.

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Développer des marchés locaux

Envoyer certaines de nos matières à l’autre bout du monde pour y être recyclées n’avait déjà pas beaucoup de sens d’un point de vue écologique, mais la fermeture des marchés asiatiques a rendu l’évidence inévitable : il faut les recycler chez nous. Or, pour favoriser cette industrie, il faut « sécuriser l’approvisionnement », indique Yourianne Plante, pour qui cela passe par une implication des fabricants, de la conception au recyclage des matières. Il faut une vision d’ensemble des centres de tri, pense Karel Ménard : tous ne doivent pas forcément faire la même chose, certains pourraient se spécialiser dans un type de matière en particulier.