La décennie qui s’achève aura été marquée par une prise de conscience accrue quant aux changements climatiques. Et celle qui s’amorce laissera encore moins de place au déni.

Des événements marquants…

Le réchauffement humain

Réchauffement de l’atmosphère et des océans, hausse du niveau de la mer, diminution du couvert de neige et de glace : « Le réchauffement du système climatique est sans équivoque et, depuis les années 50, nombre des changements observés sont sans précédent depuis des décennies, voire des siècles ou des millénaires », conclut le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport de synthèse 2014. Le GIEC estime « extrêmement probable » que les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par la croissance économique et l’augmentation de la population en soient responsables. Il est donc « désormais certain à 95 % que l’homme est la première cause ». « La marge d’erreur est très faible, le consensus plus fort que jamais, le doute n’est plus de mise », souligne Annie Chaloux, professeure de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke. Ce rapport phare a mis la table pour la Conférence de Paris de 2015, qui a débouché sur l’accord du même nom.

Le demi-degré qui compte

PHOTO MIKE HUTCHINGS, ARCHIVES REUTERS

Un réchauffement de 2 °C signifierait, entre autres, une augmentation des risques d’épisodes de sécheresse, comme celui qu’a connu en 2019 l’Afrique du Sud (ci-dessus).

Un réchauffement de 1,5 °C aurait des effets marqués, mais un 2 °C serait plus dramatique à maints égards, démontre le GIEC dans un autre rapport phare publié à l’automne 2018. Les risques de décès et de problèmes de santé causés par la chaleur sont plus élevés, les risques de maladies comme la malaria et la dengue aussi. Le niveau moyen des mers serait 10 cm plus haut d’ici 2100. Les risques d’épisodes de sécheresse s’accroissent, ceux de fortes précipitations également. Les rendements des cultures de maïs, de riz, de blé et, possiblement, d’autres céréales seront davantage touchés. Pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, il faut réduire les émissions de GES le plus possible d’ici 2030, et les engagements pris jusqu’alors dans le cadre de l’Accord de Paris n’y suffiraient pas, fait savoir le GIEC. Et comme la température moyenne mondiale a déjà grimpé d'un degré par rapport à la période pré-industrielle de référence (1850-1900), il ne reste qu'un demi-degré de jeu.

La multiplication des catastrophes

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Au printemps 2017, les résidants de Rigaud ont connu des inondations historiques lorsque la rivière des Outaouais est sortie de son lit, envahissant leurs rues.

Le Québec, avec ses accumulations de neige et de glace en hiver, est particulièrement sensible aux changements de température, souligne le professeur Philippe Gachon, du département de géographie de l’UQAM. C’est ce qui s’est passé dans l’Outaouais au printemps. Après un hiver très enneigé, le dégel tardif de la mi-avril (qui se produit de nuit comme de jour à cette période de l’année) a libéré en peu de temps de grandes quantités d’eau qui n’ont pu s’infiltrer dans le sol gelé. « Ça a donné l’inondation qu’on a connue, d’un débit et d’une durée exceptionnels pour la vallée de l’Outaouais », explique celui qui dirige le Réseau inondations intersectoriel du Québec (RIISQ). Incendies de forêt en Californie ; canicules inégalées en Europe ; précipitations records dans le département du Var, en France, où il est tombé autant de pluie en une journée qu’en un mois ; niveaux records des Grands Lacs : le reste du monde n’a pas été en reste. Et on ne parle ici que de 2019. « Cette décennie, qui est la plus chaude depuis le début des observations, a été marquée par des phénomènes exceptionnels », résume Philippe Gachon.

La chute des prix du pétrole

PHOTO CHRISTOPHER KATSAROV, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La montée des prix du pétrole jusqu’au milieu des années 2010 a entraîné des investissements massifs allant à l’encontre de la nécessité de réduire la combustion de pétrole et de gaz naturel.

« C’est le principal facteur dans les tensions politiques canadiennes relatives à l’énergie et à l’environnement », souligne l’économiste Mark Jaccard, de l’Université Simon Fraser. La montée des prix du pétrole jusqu’au milieu des années 2010 a entraîné des investissements massifs allant à l’encontre de la nécessité de réduire la combustion de pétrole et de gaz naturel. « Avec le résultat que nous sommes encore en train d’essayer d’adopter des politiques climatiques en ce sens et que l’Alberta y voit la cause de ses problèmes alors qu’en réalité, ceux-ci viennent de l’effondrement des prix du pétrole », explique ce professeur de la School of Resource and Environmental Management.

... et des non-événements

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Aidé d’un collègue, un travailleur de la construction s’hydrate durant une chaude journée d’été, alors que la canicule frappe le sud du Québec, en juillet 2015. « Les années 2015 à 2018 sont les quatre plus chaudes jamais répertoriées », a souligné l’Organisation météorologique mondiale (OMM) l’an dernier.

La « pause » illusoire

« Le réchauffement de la planète s’est arrêté naturellement il y a de cela plus de 16 ans », pouvait-on lire sur un grand panneau publicitaire montréalais en novembre 2014. Ce message érigé le long de l’autoroute 40 avait été payé par l’organisme Friends of Science de Calgary. Mais cette idée d’un ralentissement du réchauffement climatique entre 1998 et 2014, souvent appelée hiatus, est définitivement morte, souligne le directeur général d’Ouranos. « L’hiatus, on n’en parle plus du tout, parce que les cinq dernières années, c’est record après record », dit Alain Bourque. De fait, « les années 2015 à 2018 sont les quatre plus chaudes jamais répertoriées, confirmant la poursuite du réchauffement climatique », a souligné l’Organisation météorologique mondiale (OMM) l’an dernier. C’était sans compter 2019. « Tout semble indiquer que 2019 sera au deuxième ou troisième rang des années les plus chaudes jamais enregistrées », a annoncé l’OMM dans sa déclaration provisoire au début du mois.

La baisse des émissions

PHOTO MARTIN MEISSNER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Sur cette photo prise en décembre 2014, une éolienne côtoie la centrale thermique alimentée au charbon de Gelsenkirchen, en Allemagne.

Malgré les intentions manifestées à Kyoto et à Paris, les GES continuent de s’accroître. Les émissions de CO2 issues de combustibles fossiles, comme le pétrole, le gaz naturel et le charbon, ont augmenté d’environ 0,6 % cette année, estiment des chercheurs du Global Carbon Project. Certes, la croissance de ces émissions fossiles a ralenti l’an dernier, conformément à la tendance récente. L’augmentation a en effet été de 0,9 % par année en moyenne depuis 2010, contre 3 % par an durant les années 2000. N’empêche, ça continue d’augmenter. « Si on ne réduit pas nos émissions de GES, on va arriver plus tôt que tard à un point de bascule, on va atteindre plus rapidement ce fameux 1,5 degré que l’Accord de Paris tentait par tous les moyens de ne pas dépasser », prévient Philippe Gachon. La probabilité de se retrouver devant un régime climatique inconnu et une multiplication des phénomènes extrêmes s’en trouve très fortement accrue, dit-il.

Ce que nous réserve la prochaine décennie

PHOTO DANIELE VOLPE, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

« Les tempêtes ne seront peut-être pas plus nombreuses, mais chacune a le potentiel d’être plus violente et de causer plus de dommages par les vents », souligne René Laprise, directeur des programmes d’études en sciences de l’atmosphère de l’UQAM. Ci-dessus, des survivants de l’ouragan Dorian, qui a semé la destruction sur une partie des Bahamas cet automne, constatent les dégâts causés à leur demeure par la catastrophe naturelle, à Marsh Harbour, le 6 septembre.

La tropicalisation des tempêtes

Plus l’air est chaud, plus il peut contenir d’humidité, ce qui engendre de fortes précipitations, mais aussi un relâchement de chaleur latente qui amplifie les tempêtes, explique le directeur des programmes d’études en sciences de l’atmosphère de l’UQAM, René Laprise. « C’était connu, on savait que ça viendrait, mais on est nous-mêmes étonnés de la rapidité à laquelle c’est arrivé ces dernières années. » Et la violence des tempêtes va probablement s’amplifier, dit-il. « Les tempêtes ne seront peut-être pas plus nombreuses, mais chacune a le potentiel d’être plus violente et de causer plus de dommages par les vents. On en a eu une belle ici à l’Halloween. » Ce phénomène s’ajoute à la hausse du niveau moyen des océans. L’expansion des couches supérieures des océans, qui se dilateront avec le réchauffement, combinée au surplus d’eau issu de la fonte de glaciers, devrait faire monter le niveau moyen de 10 cm au cours de la prochaine décennie, estime le professeur Laprise.

Une facture salée

PHOTO TIJANA MARTIN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le coût économique des changements climatiques pourrait devenir très important dans les années à venir, et le monde financier commence à s’y intéresser. La Banque du Canada envisage même d’intégrer des chocs comme les catastrophes naturelles ou les perturbations des chaînes d’approvisionnement à ses modèles.

Le consortium Ouranos et l’Université du Québec à Rimouski ont fait une estimation prudente du coût des changements climatiques pour les infrastructures québécoises. Résultat : 1,5 milliard de dollars d’actifs à risque d’ici 2050. « Ça n’inclut pas l’impact sur l’activité économique, comme les gens qui perdent leur emploi et les entreprises qui font faillite. Ni les impacts psychosociaux qui sont en train d’émerger », précise le directeur général d’Ouranos, Alain Bourque. Et sous l’effet combiné de l’augmentation des risques climatiques et des infrastructures vieillissantes, les défaillances sont appelées à augmenter. « Il faut arrêter de patcher les problèmes tempête après tempête et avoir un plan de match avec une vision à moyen-long terme, en reconnaissant qu’on ne peut pas tout payer », lance Alain Bourque. Même la Banque du Canada commence à s’intéresser à l’impact des phénomènes météo sur la croissance et l’inflation. Elle envisage même d’intégrer des chocs comme les catastrophes naturelles ou les perturbations des chaînes d’approvisionnement à ses modèles.

Un jugement déterminant

PHOTO CHRIS HELGREN, ARCHIVES REUTERS

Le plus haut tribunal au pays entendra en mars prochain les causes de l’Ontario et de la Saskatchewan, qui cherchent à faire invalider la taxe carbone imposée par le fédéral aux provinces.

La Cour suprême du Canada entendra deux causes déterminantes en mars prochain, celles de l’Ontario et de la Saskatchewan, qui cherchent à faire invalider la taxe carbone imposée par le fédéral aux provinces. Les cours d’appel de ces deux provinces ont déjà déclaré que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre était constitutionnelle. Une décision de la Cour suprême confirmant les décisions de ces tribunaux inférieurs aurait un impact extrêmement important, estime Annie Chaloux, professeure de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke. « Ça rétablirait un certain rapport de force du fédéral sur les questions environnementales et climatiques, et lui permettrait peut-être d’en faire plus. On ne peut pas toujours être tiré vers le bas par des provinces », dit-elle en rappelant que l’efficacité de la taxe carbone dans la réduction des GES a été démontrée. La Cour suprême pourrait rendre sa décision à la fin de l’été.

Le risque de se laisser distraire

PHOTO CRISTINA QUICLER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des activistes d’OXFAM International caricaturent le premier ministre britannique Boris Johnson, la chancelière allemande Angela Merkel, le président français Emmanuel Macron, le premier ministre Justin Trudeau et le président américain Donald Trump, en marge de la 25e conférence des Nations unies sur le climat (COP25), dénonçant notamment l’inaction des leaders mondiaux face à l’urgence climatique, à Madrid, le 10 décembre.

« Historiquement, l’intérêt envers le climat a connu des hauts et des bas », rappelle l’économiste Mark Jaccard, de l’Université Simon Fraser. En ce moment, la population et les élus se préoccupent beaucoup des changements climatiques. Malgré tout, « il y a lieu de craindre qu’une crise internationale ne détourne notre attention de la diplomatie, des politiques intérieures musclées et des barrières tarifaires nécessaires pour faire bouger l’humanité rapidement », prévient M. Jaccard. C’est pourquoi il faudrait, selon lui, profiter de la conjoncture actuelle. « Ça prend des accords contraignants pour qu’au moment où l’intérêt baissera au cours de la prochaine décennie, les choses continuent d’avancer. »