À la fin du XVe siècle, les fidèles catholiques coupables de péchés étaient condamnés au purgatoire ou, pire, à la damnation éternelle. Ça peut sembler impitoyable, comme ça, mais Dieu soit loué, il y avait une façon pour eux de sauver leur âme : l’achat d’indulgences.

À l’époque, tout un marché s’était développé autour de l’idée qu’en payant pour ses péchés, on éviterait, une fois passé de vie à trépas, un détour plutôt souffrant au purgatoire pour expier ses fautes avant de gagner son ciel.

Pécheurs et pécheresses de tout poil considéraient cela comme une fort bonne affaire. Des prêtres ont d’ailleurs fait fortune grâce à ce commerce. Flairant l’arnaque, des moines ont protesté, tant et si bien qu’ils sont devenus… protestants.

Au fil des siècles, toutefois, c’est la pratique elle-même qui est tombée dans les limbes.

Mais elle était sans doute trop séduisante pour disparaître à jamais.

Cinq cents ans plus tard, c’est cette même idée qu’on déterre avec l’achat de crédits de carbone, censés compenser nos émissions de gaz à effet de serre (GES).

Un voyage outre-mer ? Une croisière au soleil ? Une voiture énergivore ? Peu importe le péché environnemental, avec l’achat de crédits de carbone, on peut se donner bonne conscience sans rien changer à ses habitudes de vie.

En payant le prix demandé par une entreprise spécialisée dans le domaine, on pense effacer son empreinte carbone comme nos ancêtres effaçaient leurs péchés.

C’est facile. Presque miraculeux.

Le principe est simple : il s’agit de calculer ses émissions de GES à l’aide d’un formulaire fourni par l’entreprise. Et de payer cette dernière afin qu’elle neutralise une partie de ces émissions, en plantant des arbres, par exemple. Et voilà.

L’avantage d’un arbre, par rapport à Dieu, c’est qu’il est concret. On sait qu’il existe. On sait qu’il séquestrera des tonnes de GES dans sa vie d’arbre.

Contrairement au commerce des indulgences, celui-ci n’est pas un pur acte de foi.

En principe, en tout cas…

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En réalité, c’est une autre histoire.

Il suffit de lire l’enquête publiée hier par Tristan Péloquin et Martin Tremblay pour s’en convaincre : les arbres que vous croyez avoir plantés en achetant des crédits de carbone n’existent peut-être que dans votre imagination.

Ils ont peut-être été rasés pour faire place à un projet immobilier. Ils ont peut-être été étouffés par des plantes envahissantes. Ils n’ont peut-être pas survécu à un sol trop rocailleux.

Ils n’ont peut-être pas été plantés du tout !

L’entreprise Écocrédit inc., par exemple, a homologué des crédits de carbone pour des arbres plantés… dans les années 80. Des arbres destinés à l’exploitation commerciale des produits forestiers.

On les a plantés pour en faire des planches, bien avant la signature du protocole de Kyoto. Comment peut-on maintenant les « vendre » à des gens qui pensent neutraliser leurs émissions de carbone ?

Pour prétendre réduire les GES, une entreprise devrait faire la preuve que les arbres n’auraient pas été plantés sans elle. Sinon, ça n’a pas de sens.

Pour un autre projet de captation de carbone, Écocrédit a bel et bien planté 14 000 pousses d’épinette blanche. Sauf qu’elle l’a fait sur un terrain où se dressait deux ans auparavant… une forêt mature de sapins baumiers.

Ces sapins de 30 à 50 ans ont été rasés et vendus pour leur bois en 2015. Or, les meilleures pratiques interdisent de replanter sur un terrain coupé à blanc depuis moins de 10 ans.

Pourquoi cette interdiction ? Pour empêcher qu’on ne rase des arbres dans le but de vendre des crédits de carbone, ce qui serait pour le moins contreproductif.

Avant même sa publication, l’enquête de Tristan Péloquin a poussé une filiale du Fonds de solidarité FTQ à suspendre la vente de crédits de carbone et l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec à demander une enquête à son syndic.

Rien n’indique que les cas soulevés par mon collègue soient frauduleux. Mais la vigilance est de mise. Les risques de dérives sont évidents. C’est qu’on peut faire de l’argent, beaucoup d’argent, en vendant des indulgences aux éco-consciencieux.

Des dérives, il y en a eu, ailleurs. L’arnaque la plus spectaculaire a eu lieu en Chine. Il y a 10 ans, un fabricant d’HCFC-22, gaz réfrigérant hyperpolluant, a délibérément produit des GES… qu’il était payé pour détruire.

Le stratagème lui a permis d’empocher des milliards.

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Comment, alors, diminuer notre empreinte écologique ?

À qui faire confiance ?

Sans doute faut-il rechercher des entreprises comme NatureLab, qui bénéficie d’une certification Gold Standard, l’organisme de vérification le mieux coté dans le marché mondial du carbone volontaire.

Mais là encore…

Les 13 000 épinettes noires que NatureLab disait avoir plantées dans une ancienne mine à ciel ouvert à Saint-Bruno-de-Montarville ? Toutes rasées, a découvert mon collègue. Elles étaient plantées sur de la roche.

Ça avait l’air facile, comme ça, dans L’homme qui plantait des arbres… mais ça prend beaucoup d’efforts (et d’argent) pour assurer la survie d’une plantation.

Le cofondateur de NatureLab se fait rassurant : il replantera les milliers d’arbres rasés d’ici trois ans.

Le problème, justement, c’est que le temps manque face à la catastrophe climatique annoncée.

Une tonne de carbone séquestrée aujourd’hui a plus de chance de freiner le réchauffement qu’une tonne de carbone séquestrée dans trois ans.

Plus nous attendons, plus nous aurons du mal à prévenir les changements climatiques.

Acheter des crédits de carbone risque même de contribuer au problème, en nous encourageant à limiter nos efforts pour réduire à la source nos propres émissions de GES.

En lavant notre conscience, ces entreprises laissent entendre que nous pouvons faire face à l’urgence climatique à peu de frais, sans bouleverser notre quotidien.

« Ce système semble être une solution rapide et facile, sous l’apparence d’un certain engagement pour l’environnement, mais qui n’implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des circonstances. »

Qui a déclaré cela en juin 2015 ?

Non, pas un écolo radical…

Le pape François.