Il y a un an, elle manifestait dans les rues de Stockholm avec une poignée d’autres jeunes pour dénoncer la mollesse des élus face au réchauffement de la planète. Lundi, elle était à New York, où se sont réunis les leaders de la planète pour le sommet Action Climat de l’ONU. Et à la fin de la semaine, c’est à Montréal qu’elle a choisi de marcher pour clore cette semaine de mobilisation mondiale.

Stockholm : La petite fille différente

L’an dernier, à pareille date, il n’y avait qu’une célébrité dans la famille Thunberg : Malena Ernman, chanteuse d’opéra suédoise, qui avait notamment représenté son pays lors du concours Eurovision 2009, et mère de deux filles, Greta et Beata.

Mariée à l’ancien acteur devenu producteur Svante Thunberg, sa carrière a mené la petite famille à faire le tour de l’Europe. Une épopée heureuse, a-t-elle raconté dans son autobiographie Scener ur hjärtat (« Scènes du cœur ») publiée en août 2018 en Suède. Heureuse, écrit-elle, jusqu’au jour où sa fille aînée Greta, alors âgée d’une dizaine d’années, a cessé de manger.

Après avoir vu en classe un documentaire sur le sujet, « elle s’était mise à s’informer énormément sur les changements climatiques », a expliqué son père Svante Thunberg en entrevue (voir note ci-dessous). « Et elle découvrait que tout le monde disait une chose et faisait son contraire. Et ça, elle ne pouvait pas le supporter. Alors, elle est tombée en dépression. Elle a cessé de manger et de parler. Elle n’allait plus à l’école et est restée à la maison pendant presque un an. »

« J’étais très déprimée, a raconté Greta Thunberg. Je ne voyais pas de raison de vivre, parce que tout allait si mal. »

Greta Thunberg l’explique simplement : pour elle, tout est noir ou blanc. C’est une caractéristique du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme sans déficit intellectuel, qui sera diagnostiqué lors de sa dépression.

PHOTO HANNA FRANZEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Greta Thunberg devant le parlement suédois, à Stockholm, en novembre 2018

Mon cerveau fonctionne un peu différemment. Je n’aime habituellement pas prendre part aux relations sociales que vous semblez tellement apprécier. Et je n’aime pas mentir. Je vois les choses en noir ou blanc.

Greta Thunberg

Et ce sont d’abord ses parents qui ont fait les frais de cette intransigeance.

Le couple s’était notamment engagé publiquement pour défendre les droits fondamentaux des réfugiés. Leur fille n’était pas impressionnée. À sa mère qui allait donner des concerts au Japon, elle répliquait en citant la quantité de dioxyde de carbone qu’elle avait dépensé pour s’y rendre. « Quels droits de la personne défends-tu lorsque tu dilapides les ressources de la planète ? », lui disait-elle. « Et alors, nous avons fini par réaliser, après quelques années à nous le faire reprocher, qu’il fallait changer notre façon de vivre », a raconté Svante Thunberg.

Tout y est passé. Depuis le passage au végétarisme puis au véganisme (une adaptation imparfaite, puisque Greta a dit que sa mère « essayait » de s’y convertir), jusqu’à une révision draconienne de leur façon de consommer, qui a finalement mené Malena Ernman à abandonner sa carrière internationale pour ne plus prendre l’avion.

Greta, désormais âgée de 15 ans, sortait peu à peu de sa coquille. « C’était bien de sentir que quelqu’un écoutait ce que je disais. »

Faire une différence

Au printemps 2018, après avoir gagné un concours d’essais organisé par un journal, elle rencontre des militants d’un groupe écologiste suédois qui réfléchit à la façon d’alerter la population sur le réchauffement climatique. Lors d’une des réunions, un militant évoque les grèves lancées par les élèves floridiens de Parkland après la tuerie de février, à l’origine du mouvement March For Our Lives pour demander aux élus un meilleur contrôle des armes à feu. « Et si les jeunes faisaient la même chose concernant les changements climatiques ? »

« Je me suis dit que c’était une bonne idée, a raconté Greta Thunberg. Que, peut-être, ça ferait une différence. Et j’ai essayé d’embarquer des gens avec moi, mais personne n’était vraiment intéressé, alors j’ai dû le faire seule. »

Le 20 août 2018, au terme d’un été caniculaire en Suède, la campagne électorale battait son plein alors que les élèves rentraient en classe. Mais Greta Thunberg avait décidé qu’elle n’irait pas à l’école avant le 9 septembre, date des élections. À la place, elle ferait la grève devant le parlement, avec sa pancarte Skolstrejk för klimatet (« Grève scolaire pour le climat »).

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Greta Thunberg avec sa pancarte Skolstrejk för klimatet (« Grève scolaire pour le climat ») devant le parlement suédois, à Stockholm, en septembre 2018.

Ses demandes étaient simples : que le gouvernement suédois respecte ses engagements pris à la signature de l’accord de Paris pour réduire ses émissions de carbone.

Peu à peu, les médias suédois puis du monde entier se sont intéressés à elle. De plus en plus de jeunes se sont joints à elle, surtout après les élections où sa grève est devenue hebdomadaire, chaque vendredi devant le Riksdag, le parlement suédois.

Et puis, l’engouement s’est démultiplié. À la fin de l’automne, ils étaient des dizaines de milliers d’étudiants dans le monde à s’être joints au mouvement. Au printemps dernier, la première « grève mondiale » du 15 mars a fait sortir des centaines de milliers d’élèves dans 120 pays – dont 150 000 à Montréal seulement.

Dans son livre, Malena Ernman en vient à la conclusion que le syndrome d’Asperger de Greta et le TDAH diagnostiqué chez sa sœur Beata « ne sont pas des handicaps », mais plutôt des « superpouvoirs ». Des mots repris par sa fille, expliquant que sans le syndrome d’Asperger, elle n’aurait jamais réagi aussi fortement devant l’évidence de la crise climatique. « Sans ce diagnostic, je n’aurais jamais commencé la grève scolaire. Parce que j’aurais été comme tout le monde. »

Note : Les propos ont été tirés d’extraits de plusieurs entrevues données par la famille Thunberg depuis un an, notamment un long entretien à Democracy Now !.

New York : Le choc américain

« Si vous décidez de nous laisser tomber, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais. »

Lundi, à la tribune de l’ONU où elle avait été invitée à parler, Greta Thunberg s’est exprimée d’une voix tremblante de colère qui a ému ses partisans... et énervé ses détracteurs. Il s’agissait néanmoins d’une rare marque d’émotion pour une adolescente qui s’est surtout distinguée par de courts discours qui martèlent le même message sur un ton quasi neutre : la crise climatique est réelle et menace l’avenir des jeunes, les adultes au pouvoir n’en font pas assez pour la contenir, il faut écouter les scientifiques.

La semaine dernière, devant les parlementaires du Congrès américain venus écouter son plaidoyer, Greta Thunberg a d’ailleurs peu parlé. À la place, elle a déposé le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui alerte sur les mesures urgentes à prendre pour contenir à temps le réchauffement climatique. « Je veux que vous écoutiez les scientifiques. Et je veux que vous vous unissiez derrière la science. »

Même ses formules-chocs sont livrées avec aplomb sur un ton posé. « Je ne veux pas de votre espoir, mais je veux que vous commenciez à paniquer », lançait-elle aux dirigeants du monde réunis à Davos en janvier. « Les leaders politiques n’ont rien fait pendant 30 ans », a-t-elle tweeté en réponse à la première ministre Theresa May qui qualifiait, en février, les grèves scolaires de « perte de temps ». À un représentant républicain qui suggérait qu’il était plus important de s’attaquer à la pollution produite par la Chine qu’à celle produite par les États-Unis, elle a lancé : « Je viens de la Suède, d’un petit pays. […] Les gens disent : “Pourquoi est-ce qu’on ferait quelque chose ? Regardez les États-Unis !” Alors, sachez que cette logique est utilisée contre vous. »

« Un discours sans compromis »

PHOTO MARY ALTAFFER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Greta Thunberg était aux côtés de plusieurs centaines de jeunes lors de sa première manifestation pour le climat sur le sol américain, le 30 août

« Son message est clair et intransigeant », analyse François Geoffroy, du collectif La planète s’invite au Parlement.

Greta Thunberg relaie le message de la science. Et à partir de ce moment, il n’y a pas de négociation possible. Et ça, ça fait du bien.

François Geoffroy, du collectif La planète s’invite au Parlement

Depuis des dizaines d’années, dit-il, la société tentait de concilier ce que les scientifiques disaient de faire et ce que les politiciens tentaient de faire. « Comme si, par exemple, on était en train de tomber en bas d’un avion et qu’on essayait de négocier avec la loi de la gravité pour savoir si un demi-parachute est suffisant… Greta Thunberg a un discours sans compromis, et ça, c’est rafraîchissant. »

Greta Thunberg parle peu. En revanche, elle fait énormément parler d’elle. Sa traversée de l’Atlantique en voilier, et son arrivée le 28 août à New York, a notamment engendré un flot de haine qui s’est particulièrement acharné sur le messager plutôt que sur son message.

PHOTO MIKE SEGAR, ARCHIVES REUTERS

Greta Thunberg à son arrivée à New York le 28 août après avoir traversé l’Atlantique à bord du voilier Malizia II.

Le chef du Parti populaire, Maxime Bernier, l’a qualifiée sur Twitter de « clairement mentalement instable », « autiste », « obsessive-compulsive », avant de s’excuser quelques jours plus tard. Le commentateur australien Andrew Bolt l’a qualifiée de « profondément dérangée ». « Elle est ignorante, maniaque et est manipulée sans merci par des peureux du climat financés par Poutine », a pour sa part tweeté Steve Milloy, nommé par l’administration Trump à l’Agence de protection environnementale (EPA). « Quand je pense à cette jeune Suédoise, si sympathique, si souriante, tellement originale dans sa pensée… », a aussi raillé en août l’ancien président français Nicolas Sarkozy, sous les rires d’un auditoire pour qui Greta Thunberg ne comprend pas la complexité des enjeux en cause.

Donald Trump s’est aussi mis de la partie hier, tweetant avec ironie qu’elle avait « l’air d’une jeune fille très heureuse qui regarde vers un avenir merveilleux et souriant. Tellement agréable à regarder ! ». La militante a modifié son profil sur le réseau social pour se moquer au second degré du président américain.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE GRETA THUNBERG

En réponse au tweet ironique de Donald Trump, Greta Thunberg a modifié sa biographie Twitter, reprenant presque mot pour mot le locataire de la Maison-Blanche : « Une jeune fille très heureuse qui regarde vers un avenir merveilleux et souriant. »

Défier les attaques

Pour Isabelle Axelsson, qui a marché aux côtés de Greta Thunberg lors des manifestations de l’automne 2018 à Stockholm, ces attaques ne sont pas vraiment surprenantes. Pas plus, dit-elle, que la forte présence de femmes, de jeunes et de gens « différents » au cœur du mouvement de protestation.

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Isabelle Axelsson (à droite) manifeste aux côtés de Greta Thunberg lors d’une manifestation pour le climat à Stockholm, en Suède, le 24 mai.

Il y a des gens dans la société qui sont à l’aise telle qu’elle est. Et il y a des gens qui se sentent un peu exclus, qui sont mal à l’aise.

Isabelle Axelsson, lors d’un entretien avec La Presse à Stockholm la semaine dernière

« Sortir dehors, faire la grève dans un espace public, prendre à partie les politiciens, se faire remarquer des journalistes et des passants, c’est inconfortable. On se met en marge, hors de la norme. Les gens ont peur de ça.

« Mais je pense que les gens qui vivent déjà dans la marge, qui se sentent déjà un peu mal à l’aise dans la société, c’est un peu plus facile pour eux de se placer dans cette position que pour quelqu’un qui est bien dans la société, qui cadre dans les normes. Ça nous fait paraître comme les “weirds” – parce que c’est comme ça que plusieurs personnes nous voient. Même si je crois que c’est nous qui sommes “normaux”. »

Montréal : Sur la route du Canada

« Montreal, Canada »

Il était 16 h 04 en ce vendredi 15 mars, et la grande marche montréalaise organisée dans le cadre de cette première journée mondiale de grève pour le climat avait pris fin. Les organisateurs jubilaient, estimant la participation à plus de 150 000 élèves. Une heure plus tôt, l’organisation Équiterre avait publié une courte vidéo d’une foule d’élèves massés dans le canyon de la rue Berri, avec une forêt de pancartes qui s’étirait à perte de vue vers le sud. Et de l’autre côté de l’océan, alors qu’il faisait déjà nuit en Europe, Greta Thunberg a repris les images d’Équiterre pour les relayer au monde entier.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE GRETA THUNBERG

Tweet du 15 mars 2019, de Greta Thunberg

Greta Thunberg avait donc remarqué que les grévistes montréalais étaient gonflés à bloc. Et ceux-ci en ont bien pris acte. Et quand ils ont commencé à préparer la grève du 27 septembre, et qu’ils ont su que la militante allait traverser l’océan pour assister au sommet de l’ONU qui se tenait hier à New York, ils n’ont pas perdu de temps.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

François Geoffroy, du collectif La planète s’invite au Parlement

On s’est dit qu’on n’avait rien à perdre si on contactait [Greta Thunberg].

François Geoffroy, du collectif La planète s’invite au Parlement

Parallèlement, le Bureau de la transition écologique de la Ville de Montréal cherchait lui aussi à joindre l’équipe Thunberg pour l’inviter, au nom de la mairesse Valérie Plante. « Tout le monde a eu la même idée quand on a vu que Greta s’en venait en Amérique du Nord », raconte Marie-Josée Parent, conseillère municipale à Verdun, qui a travaillé avec le Bureau pour préparer la visite de la militante suédoise.

Cet été, donc, par divers contacts au sein du réseau de militants Earth Strike et Fridays for Future, des invitations ont été transmises à Svante Thunberg, le père de Greta, qui a fait la traversée de l’Atlantique avec sa fille.

« On ne s’attendait pas à avoir une réponse en dedans de 48 heures ! », avoue en riant François Geoffroy. Et pourtant si : les Thunberg envisageaient de profiter de leur séjour à New York pour passer saluer les Montréalais.

Une manif sous le signe des élections

Après avoir rencontré des parlementaires à Washington et marché à New York vendredi dernier, Greta Thunberg débarquera donc à Montréal à la fin de la semaine.

C’était déjà évident pour nous, dès le début de l’été, qu’on se dirigeait vers une mobilisation au moins comparable à celle de mars dernier. Et on visait quelque chose de plus gros.

François Geoffroy, du collectif La planète s’invite au Parlement

« C’est clair que le fait qu’on soit en campagne électorale n’est pas complètement étranger à sa venue, ajoute-t-il. Elle connaît l’importance des enjeux, notamment avec la production pétrolière. »

Mais aucun politicien ne sera autorisé à marcher près de Greta Thunberg, dit François Geoffroy. « Il est hors de question que ce soit récupéré pour faire de la pub à un parti ou à un autre, dit-il. On souhaite que l’événement se répercute par une augmentation de l’ambition des plateformes qui, à bien des égards, sont décevantes. »

Pour Marie-Josée Parent, l’idée d’inviter la militante à l’hôtel de ville est surtout de lui signifier qu’elle n’est pas seule dans son combat. « C’est une inspiration pas juste pour la jeunesse, mais également pour les élus, dit-elle. On veut célébrer la route qu’elle a parcourue et celle qui reste à faire en lui disant que nous, à Montréal, on va continuer à la suivre et à la soutenir. »

Pourquoi le 27 septembre ?

Au début de l’année, quand les militants du réseau Earth Strike ont cherché une date pour tenir une mobilisation mondiale à l’automne, ils se sont entendus sur le vendredi 27 septembre. Pourquoi ce jour-là ? « C’est pour coïncider avec la date anniversaire de la sortie aux États-Unis en 1962 du livre Silent Spring, de Rachel Carson, qui a été un des moments importants dans l’histoire de l’éveil écologiste en Occident », explique François Geoffroy. Alors que se préparait la mobilisation du 27, Greta Thunberg a décidé de se rendre à New York pour assister au sommet de l’ONU sur le climat. Les militants ont alors choisi de faire une semaine de mobilisation mondiale sur le climat, du 20 au 27 septembre. « Mais peu importe les décisions qui sont prises à l’ONU, pour nous, il est important de relayer la force des décisions, ou l’insuffisance des décisions, auprès des gouvernements nationaux », dit François Geoffroy.

Coup d’envoi à midi vendredi

Le trajet exact qu’empruntera la manifestation n’est pas encore connu, mais les organisateurs donnent rendez-vous aux marcheurs à midi, près de la statue de George-Étienne Cartier au pied du mont Royal. Greta Thunberg doit prendre la parole à la fin de la manifestation. Elle sera reçue ensuite à l’hôtel de ville, où la mairesse Valérie Plante lui remettra officiellement les clés de la ville.