(CHAMBORD) « Attention, ceci n’est pas un potager décoratif », avertit Baptiste Saulnier, maraîcher en chef du potager du domaine de Chambord, debout devant d’impeccables rangées de carottes, de chou frisé, de coriandre, de betteraves, mais aussi de rosiers et de plants de soucis, puisque les fleurs font partie de tout jardin biologique.

« Il y a une claire dimension entrepreneuriale. »

Cette année, pendant que des touristes venus du monde entier admiraient les tours et les escaliers du château imaginé par François Ier et aux plans duquel aurait collaboré Léonard de Vinci, M. Saulnier a vendu par exemple 300 kg de tomates, chapeauté quatre emplois, trouvé des clients pour ses paniers hebdomadaires et fourni des épiceries bios à Blois, la ville la plus proche.

« On visait 42 000 euros en légumes, on va les faire », dit le maraîcher, qui vend aussi ses produits aux visiteurs du château, à des chefs.

On est collé sur un des sites patrimoniaux les plus visités de France – un million de personnes l’an dernier –, mais aussi au milieu d’une vraie société agricole.

Et ce qui est encore plus étonnant, c’est que ce projet a été rendu possible en partie grâce au savoir-faire québécois.

En effet, s’il est difficile d’imaginer plus français et plus historique que Chambord, dans la vallée de la Loire, au milieu d’un parc rempli de cerfs, de faisans et de sangliers que les rois chassaient jadis, c’est aussi maintenant une propriété moderne, biologique, un peu québécoise.

PHOTO LÉONARD DE SERRES, COLLABORATION SPÉCIALE

Inauguration du potager du domaine de Chambord.

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Tout a commencé quand, pour aller chercher des revenus supplémentaires essentiels à la bonne gestion de ce site patrimonial, le directeur de la chasse et des forêts de Chambord, Étienne Guillaumat, a proposé à son directeur Jean d’Haussonville d’utiliser l’espace naturel disponible pour créer un vaste projet agricole biologique commercial : potagers, vignes et donc vins, arbres fruitiers, pâturages…

« Notre stratégie depuis 10 ans est de valoriser le site pour permettre son autofinancement, explique M. Guillaumat en entrevue. Et réinventer le modèle économique. »

Donc, comme le domaine de Chambord compte plus de 5000 hectares, que l’agriculture fait partie des activités traditionnelles des grands châteaux et qu’un tel projet biologique, éducatif, voire technique, pouvait cadrer parfaitement avec la mission éducative et culturelle du monument, l’idée a rapidement fait son chemin.

Et c’est pour cela qu’ils sont allés chercher de l’expertise québécoise.

Baptiste Saulnier, le maraîcher en chef, a été envoyé à Hemmingford, à la Ferme des Quatre-Temps, où Jean-Martin Fortier forme des agriculteurs et se spécialise dans la production biologique intensive et rentable.

PHOTO LÉONARD DE SERRES, COLLABORATION SPÉCIALE

Jean-Martin Fortier

Alexandre Guertin, un Québécois architecte paysagiste spécialiste de la permaculture – et de ses besoins spécifiques –, a aussi été embauché.

Ainsi, les Québécois ont apporté leurs connaissances : une planification minutieuse des espaces qui permettent l’agriculture biologique, sans impact environnemental – il faut des étangs, de la diversité de culture, que tout soit proche pour que le travail ne soit pas mécanisé, que l’irrigation soit facile, etc. – et une standardisation des techniques, les moins coûteuses possible, qui maximisent la productivité.

« Ce qu’on cherche, c’est à obtenir la quintessence de nos mètres carrés », résume Baptiste Saulnier, qui est aussi allé chercher des idées chez le légendaire Eliot Coleman dans le Maine et à la ferme Bec Hellouin, pionnière normande de la permaculture.

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Pour le Québec, c’est un peu une boucle qui est bouclée, croit Jean-Martin Fortier, qui est le « parrain » des potagers, avec Julie Andrieu, animatrice et productrice d’émissions culinaires. Les meilleures techniques de maraîchage – culture de proximité, intensive, naturelle – sont françaises à l’origine. Ce sont ces techniques qui ont été reprises en Amérique du Nord, modernisées, qui maintenant reviennent en France.

André Desmarais, l’homme d’affaires et mécène derrière la Ferme des Quatre-Temps, qu’il a fondée pour en faire un pôle de formation et de rayonnement de la culture biologique rentable, voit ainsi un des aspects de son projet se concrétiser à Chambord. L’idée, a-t-il toujours dit, est de disséminer le savoir agricole mis au point à Hemmingford. Ça se fait déjà ailleurs dans la province, au Canada et même en France. Mais Chambord est la première ramification aussi prestigieuse.

Selon M. Desmarais, c’est même un peu le projet de François Ier qui se réalise, puisque, pour ces potagers, on a réuni des gens venus de partout avec leur savoir-faire, « dans l’esprit de la Renaissance », a-t-il expliqué dans un texte préparé pour le baptême officiel du potager.

Et cet esprit a plus que jamais sa place aujourd’hui, car, dit l’homme d’affaires, c’est ici « celui de la découverte d’une nouvelle liberté de s’alimenter », une découverte « qui renouvelle le lien de l’homme avec la terre que nous avons appris à mieux connaître, à respecter dans toutes ses ressources pour une vie meilleure, plus libre, plus digne et plus respectueuse du cycle naturel ».