Le gazon et les fleurs sauvages ne laissent rien deviner du « grand trou » autrefois présent sur le terrain de Saint-Roch-de-l’Achigan. Ni du nombre important de débris qui se cachent sous le vert tendre des herbes. Ces matières résiduelles sont pourtant au cœur d’un litige que vient de gagner la municipalité de Lanaudière.

Marcel Vendette et son père Jean ont décidé de procéder au remblaiement du terrain il y a de nombreuses années. Ils ont d’abord accepté des chargements de sable argileux à partir de 2000. En 2007, une occasion s’est présentée à eux : Sylvain Riopel, qui exploitait alors un centre de tri de matériaux secs de construction à Montréal-Est, leur a proposé d’utiliser ses matières résiduelles, à moindre coût. Pour disposer des rebuts composés de morceaux de béton, de briques, de céramique, de verre, notamment, le centre doit payer, « à grands frais », note la Cour, pour les enfouir dans un site de dépôt autorisé.

Durant des années, les Vendette ont donc utilisé ces granulats pour égaliser leur terrain. Des morceaux de briques brisées sont d’ailleurs visibles sur un chemin de gravier, entre le terrain remblayé et la petite maison de Marcel Vendette.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Des morceaux de briques brisées sont visibles sur un chemin de gravier, entre le terrain remblayé et la petite maison de Marcel Vendette.

Victoire de la municipalité

Or, un dépôt de matières résiduelles à l’extérieur d’un site d’enfouissement doit être autorisé, pour éviter les problèmes environnementaux, notamment. Le juge Christian Immer, de la Cour supérieure, a donc donné raison à la municipalité de Saint-Roch-de-l’Achigan, qui jugeait que les Vendette avaient contrevenu aux règlements municipaux, en plus de violer la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur les compétences municipales et la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Jean Vendette est mort il y a deux ans, avant la fin des procédures.

Rencontré sur son terrain du rang Saint-Charles, son fils et héritier Marcel a dit avoir l’intention d’en appeler du jugement.

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« Quand ils disent qu’il faut ramasser ce qui traîne, ça, je l’accepte », affirme Marcel Vendette en montrant notamment de la main des amas de planches de bois sur son terrain.

« Quand ils disent qu’il faut ramasser ce qui traîne, ça, je l’accepte », a lancé l’homme de 63 ans en montrant de la main des amas de planches de bois, des pneus, une carcasse de véhicule et de vieux électroménagers sur son terrain, cachés de la route par une haie de cèdres.

Ce qu’il accepte moins, c’est l’obligation de déposer, dans les 45 jours suivant le jugement, une demande de permis comportant un rapport d’un ingénieur en géotechnique avec, notamment, les conditions pour enlever les matières résiduelles déposées depuis juin 2007 et le retrait, dans un délai d’un an après l’obtention du permis, de ces matières. S’il ne le fait pas, la municipalité pourra le faire elle-même et lui refiler la facture.

J’ai amélioré le bord de la route après la courbe, et il faut tout enlever.

Marcel Vendette

Lors du procès, l’arpenteur-géomètre expert a évalué à 25 989 m3 la quantité de remblai déposée de 2008 à 2014.

Entre les années 2007 et 2012, les Vendette ont fait « transporter des centaines de voyages de camion-benne de matières résiduelles sur leurs lots pour constituer un remblai de grande envergure. Ils entreposent aussi, sur leurs lots, de nombreux débris de toutes sortes », peut-on lire dans le jugement du juge Immer, rendu le 7 août.

Le jugement reproche aussi à M. Vendette de ne pas avoir fait réaliser une expertise par un professionnel pour faire ses travaux de remblai, qui « empiètent dans la zone sujette aux mouvements de terrain ».

Opération de filature

En 2010, le ministère de l’Environnement avait même procédé à une opération de filature et avait observé, à deux reprises, « le chargement au Centre d’un camion-benne (“10 roues”) avec des matières résiduelles, dont de très gros morceaux de béton excédant très largement 30 centimètres, leur transport jusqu’au site des défendeurs et leur déchargement », lit-on dans le jugement.

Pour la municipalité, c’est clair qu’il fallait y mettre un terme. Sinon, n’importe qui aurait pu faire la même chose. Il fallait que ça cesse.

Yves Prud’homme, maire de Saint-Roch-de-l’Achigan, au téléphone

Le maire Prud’homme a rappelé que le secteur est situé en zone résidentielle.

Dans son témoignage, M. Riopel a dit que les granulats étaient échantillonnés. Le juge a noté que le « Tribunal ne sait pas quelle est la nature des tests qui sont effectués ni quelle méthode est employée ». M. Riopel n’a pas pu être joint hier.

M. Vendette, un ancien recycleur automobile et camionneur, se représentait lui-même. « Je n’avais pas les moyens de payer un avocat », a dit l’homme, invalide depuis un accident.

Il avait fait l’objet d’infractions du ministère de l’Environnement pour ce même sujet, infractions pour lesquelles il avait plaidé coupable en 2012.

Ce jugement vient s’ajouter à plusieurs cas de matières disposées illégalement dans les dernières années. La Presse avait notamment mis au jour le déversement de matières contaminées dans un secteur rural de Saint-André-d’Argenteuil en janvier dernier et l’existence d’un dépotoir illégal en Montérégie en 2018.

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, avait d’ailleurs annoncé, en avril dernier, vouloir s’attaquer au problème de sols contaminés avec des contrôles plus stricts, pour mettre fin aux déversements illégaux dans la nature.