Alors que plusieurs grandes entreprises mènent une campagne intensive de lobbyisme contre l’imposition d’un programme de recyclage obligatoire des électroménagers, le géant Corbeil fait bande à part et annonce un blitz de récupération pendant la période des déménagements afin d’aider la seule usine capable de capter 95 % des gaz à effet de serre (GES) contenus dans les vieux frigos.

Pendant trois journées intensives, du 30 juin au 2 juillet inclusivement, une « brigade Corbeil » parcourra Montréal afin de ramasser gratuitement tout appareil réfrigérant domestique dont les citoyens veulent se débarrasser.

Les vieux réfrigérateurs et congélateurs seront envoyés à l’entreprise PureSphera de Bécancour, la seule usine capable de capter 95 % des GES contenus dans le système réfrigérant et la mousse isolante des appareils. Recyc-Québec estime qu’un vieux frigo peut contenir l’équivalent en GES d’une voiture moyenne qui roule pendant 17 000 km. Pas besoin d’être un client de Corbeil ni même d’avoir acheté un appareil neuf. Tous les résidants des quartiers visés seront admissibles.

« Il faut que notre industrie change »

« On va subventionner toute l’opération, le coût des camions, les employés et les frais qui doivent être payés à PureSphera pour le traitement. L’idée est de créer un précédent. On pense que, de toute façon, il faut que notre industrie change », explique Charles-Loic Danan, porte-parole de Corbeil, une chaîne d’une trentaine de détaillants.

Un reportage récent de La Presse illustrait comment les GES de milliers de vieux réfrigérateurs sont rejetés impunément dans l’atmosphère chaque année. Des ferrailleurs sillonnent les rues pour ramasser les vieux appareils et les vendre à des recycleurs de métaux. Personne ne surveille s’ils traitent écologiquement les gaz du système de refroidissement avant de se débarrasser des carcasses. Une fois chez le recycleur de métaux, l’appareil est habituellement broyé sans que les gaz contenus dans les mousses isolantes soient captés.

L’usine PureSphera pourrait capter ces gaz, mais peu de gens sont enclins à lui livrer des appareils alors qu’il est si simple et si payant de les envoyer aux recycleurs de métaux.

Le reportage de La Presse a interpellé Anthony Amiel, président de Corbeil. Il est personnellement allé rencontrer la direction de PureSphera pour proposer un partenariat.

« On a à cœur cette notion de recyclage et de croissance soutenable. Mais on sait que les ferrailleurs vont essayer de passer avant nous pour ramasser les frigos au bord du chemin. Donc on demande aux gens de communiquer avec nous et de mettre une note sur l’appareil en disant qu’il est destiné à Corbeil, parce qu’il sera envoyé dans une installation qui capte les gaz à effet de serre », explique M. Danan.

Une usine à l’avenir incertain

« On roule à 15 % ou 20 % de notre capacité, alors des frigos, on est capable d’en prendre beaucoup plus », assure Mathieu Filion, directeur de l’exploitation chez PureSphera.

L’entreprise s’est installée à Bécancour en 2016, forte d’une subvention de 5 millions du gouvernement du Québec. Dès le départ, la viabilité de l’entreprise était liée à un projet d’« écofrais », des frais sur les ventes d’appareils neufs qui devaient financer l’implantation d’un système de collecte et de recyclage des vieux électroménagers dans tout le Québec.

En 2017, le gouvernement libéral avait publié un projet de règlement pour imposer des frais estimés à environ 60 $ sur chaque achat de réfrigérateur.

Les sommes recueillies auraient été gérées par les détaillants qui vendent les appareils neufs, comme c’est déjà le cas pour divers produits dont le gouvernement veut favoriser le recyclage.

Mais le projet n’a jamais été adopté.

L’Association des fabricants d’appareils électroménagers (AFAE), regroupement mondial de 150 entreprises dont les géants LG, Whirpool, Samsung et Electrolux, a mobilisé trois lobbyistes contre cette idée. Brault & Martineau a aussi son propre lobbyiste au dossier, tout comme l’Association canadienne des boissons.

Les opposants craignent que les écofrais dépassent largement 60 $ par appareil et poussent les consommateurs à acheter leurs appareils en ligne, à l’extérieur du Québec, chez des détaillants qui ne seraient pas obligés de les facturer. Le Conseil canadien du commerce de détail a dit craindre de son côté une hausse substantielle de la facture qui ferait mal aux plus démunis.

Pied de nez à la concurrence

Corbeil reconnaît que le projet de règlement actuel comporte certains problèmes qui nuiraient aux détaillants, mais dit quand même vouloir encourager PureSphera et impliquer tous les acteurs du marché afin de lutter contre les gaz à effet de serre : manufacturiers, détaillants et entreprises de livraison. Ces dernières tirent actuellement une partie de leurs revenus de la vente des vieux appareils aux recycleurs de métaux.

« Pour l’instant, c’est une opération ponctuelle sur trois jours, mais nous avons déjà ouvert des discussions pour essayer de trouver un consensus qui fonctionnera pour l’ensemble du marché », affirme M. Danan.

L’initiative permet par ailleurs à Corbeil de faire un pied de nez à son concurrent BMTC, propriétaire des chaînes Brault & Martineau et Ameublements Tanguay.

La présidente de BMTC, Marie-Berthe Des Groseillers, a écrit directement au premier ministre François Legault récemment pour le mettre en garde contre l’imposition d’un système de recyclage des vieux frigos qui serait « lourd, imprécis et très coûteux », et qui ferait « fi des conséquences économiques pour les entreprises québécoises », selon elle.