Le gouvernement caquiste, comme avait projeté de le faire son prédécesseur libéral, souhaite donner cinq ans de plus aux entreprises soumises à un important programme de recyclage obligatoire pour atteindre les cibles établies, a appris La Presse.

En raison de la modification à venir, les fabricants de produits électroniques, de lampes et de batteries n’auront pas à verser d’amende en cas de mauvaise performance avant 2025 au plus tôt, soit plus de 10 ans après la mise en place du programme.

Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, pense que Québec fait fausse route en se montrer trop « complaisant ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Le programme de responsabilisation des entreprises a été beaucoup trop édulcoré avec le temps. On lui a enlevé ses dents.

Karel Ménard, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Le militant juge impératif de maintenir l’échéancier prévu pour l’imposition potentielle d’amendes.

Le gouvernement libéral avait annoncé en 2017 son intention de repousser l’année d’entrée en vigueur des cibles du programme de 2015 à 2020 dans un projet de modification du Règlement sur la récupération et la revalorisation de produits par les entreprises.

Le projet en question prévoyait aussi l’introduction des électroménagers et des climatiseurs dans le programme, une mesure qui a suscité une levée de boucliers des producteurs et des distributeurs concernés.

Le règlement n’a conséquemment pas été modifié, annulant du même coup le sursis prévu pour les fabricants qui y étaient déjà soumis.

L’enjeu des « écofrais »

Louis-Julien Dufresne, attaché de presse du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, a indiqué à La Presse dans un courriel que l’objectif du gouvernement actuel était « effectivement de fixer à 2020 » plutôt qu’à 2015 l’année de référence à partir de laquelle les entreprises doivent atteindre des cibles prédéfinies.

« Parallèlement, le gouvernement travaille à mettre en place des mesures afin d’aider les entreprises à atteindre ces mêmes cibles », a-t-il précisé.

M. Dufresne n’a pas précisé si la modification serait formalisée dans un projet de modification du règlement considéré pour régir les électroménagers.

Une porte-parole de Recyc-Québec a précisé que des discussions étaient en cours « afin de résoudre ces enjeux ».

Pour la plupart des produits déjà ciblés par le programme de responsabilisation des entreprises, les fabricants concernés ont mis sur pied des organisations chargées de superviser leur collecte et leur traitement par des firmes spécialisées. Elles imposent généralement des « écofrais » qui servent à financer les coûts liés au processus.

L’enjeu des écofrais est revenu sur la table récemment lorsque La Presse a révélé que la seule usine en Amérique capable de récupérer écologiquement la quasi-totalité des gaz à effet de serre contenus dans la mousse isolante des réfrigérateurs était menacée de fermeture, faute d’appuis. L’usine PureSphera comptait sur l’ajout des électroménagers dans le programme de recyclage obligatoire afin d’assurer sa rentabilité.

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Dans la version actuelle du règlement, le taux de récupération ciblé pour 2015 varie entre 20 et 40 % selon le type de produit et augmente progressivement de 5 % jusqu’à concurrence de 65 % ou plus.

En cas de non-respect des cibles, un versement modulé en fonction de l’écart relevé est prévu au Fonds vert. Les organisations responsables peuvent cependant « effacer » l’amende si elles compensent le manque relevé dans les cinq années qui suivent l’année de référence.

Cette période de cinq ans fait en sorte qu’aucune amende ne peut s’appliquer avant 2025 si 2020 devient l’année de référence.

Huiles et peintures

Deux catégories de produits, les huiles et les peintures ainsi que leurs contenants, ont des cibles prévues pour 2013, qui pourraient conséquemment aboutir sous peu à des amendes, si nécessaire.

Recyc-Québec a précisé que l’évaluation du « niveau d’atteinte des cibles » pour la première échéance était en cours pour ces produits et que la décision de sanctionner ou non les entreprises serait prise en fonction du résultat.

Il n’a pas été possible de préciser si le sursis de cinq ans projeté par Québec s’appliquerait aussi aux huiles et peintures et aurait pour effet de repousser leur première année de référence de 2013 à 2018.

L’Association pour le recyclage des produits électroniques (ARPE-Québec) n’a pas voulu dire si le sursis de cinq ans projeté par le gouvernement lui semblait nécessaire.

« Le mandat de l’ARPE-Québec est d’assurer la conformité de ses membres au règlement en vigueur quel qu’il soit », a indiqué par courriel la porte-parole de l’organisation, Jacinthe Guy.

Dans un bilan produit il y a quelques années pour l’année 2015, Recyc-Québec relevait que plus de 50 % des ordinateurs de bureau, 40 % des imprimantes et des numériseurs et 62 % des téléviseurs et des écrans d’ordinateur avaient pu être récupérés, ce qui avait satisfait aux cibles prévues.

Le taux obtenu pour les systèmes audio-vidéo portables n’était cependant que de 1 %. Les résultats correspondants pour les téléphones cellulaires, les tablettes et les portables n’avaient pas été précisés pour « préserver la confidentialité des données appartenant aux entreprises ».

Les taux de récupération pour les piles à usage unique et les piles recyclables étaient de l’ordre de 40 % alors que celui des tubes fluorescents était de 35 %.

Karel Ménard pense que le gouvernement, en plus de maintenir l’échéancier prévu pour les cibles de récupération, devrait introduire des mesures additionnelles, notamment pour pousser les fabricants à concevoir des produits plus durables et plus faciles à réparer.

« Il y a moyen de faire preuve d’imagination », dit-il.