(Québec) François Legault a refusé de s’associer à une sortie conjointe de six premiers ministres provinciaux contre le projet de loi fédéral sur l’évaluation environnementale. Et ce, même s’il s’oppose à cette réforme du gouvernement Trudeau.

Il s’agit d’un nouvel indice des divergences de vue entre le premier ministre québécois et son homologue albertain, Jason Kenney, qu’il rencontrait justement hier.

Plus tôt cette semaine, M. Kenney ainsi que les premiers ministres Scott Moe, de la Saskatchewan, Brian Pallister, du Manitoba, Doug Ford, de l’Ontario, Blaine Higgs, du Nouveau-Brunswick, et Robert McLeod, des Territoires du Nord-Ouest, ont signé une lettre « urgente » pour réclamer la modification ou le retrait de deux projets de loi du gouvernement Trudeau, dont C-69 sur l’évaluation environnementale.

Le cabinet de François Legault a confirmé à La Presse que le premier ministre du Québec a été sollicité pour se joindre à l’initiative. Il a cependant refusé au motif qu’il ne s’oppose pas à C-69 pour les mêmes raisons que ses homologues.

« Nous n’avons pas signé la lettre parce que nous voulons que les compétences en matière d’analyse environnementale soient à Québec. » — Valérie Noël-Létourneau, porte-parole du premier ministre François Legault

Le groupe des premiers ministres, presque tous issus de partis conservateurs, considèrent que le projet de loi C-69 rendrait « pratiquement impossible » la construction d’infrastructures comme des oléoducs. Selon eux, il mettrait carrément en péril l’« unité nationale » du Canada.

En avril, le ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette, a prévenu un comité sénatorial que C-69 créerait « de nouvelles pommes de discorde » entre Ottawa et les provinces. Il a réitéré ce point de vue, hier, tout en se dissociant de la sortie des autres gouvernements provinciaux.

« Ce qui nous posait problème, c’était réellement la lourdeur administrative, bureaucratique, que ce projet de loi instaurait, a-t-il dit. Si d’autres provinces ont d’autres arguments, ça leur appartient. »

Unis malgré tout

Même s’ils n’ont pas fait front commun contre le projet de loi fédéral, les deux premiers ministres ont réitéré leur opposition à la réforme au terme de leur rencontre d’hier.

« J’ai remercié M. Legault pour sa position contre le projet de loi C-69 qui est clairement une ingérence du fédéral dans les compétences des provinces », a indiqué M. Kenney, qui compte contester la loi devant les tribunaux si elle est adoptée tel quel.

« On pense que les provinces devraient avoir le droit de dire non à un oléoduc. Évidemment, M. Kenney n’est pas d’accord avec ça. Mais nous aussi, on est contre C-69. » — François Legault, premier ministre du Québec

Il a ajouté qu’il n’appuiera pas une éventuelle contestation judiciaire de la loi par l’Alberta, car les deux provinces ne partagent pas « les mêmes objectifs ».

Amendements rejetés

Pendant ce temps, à Ottawa, le gouvernement libéral a rejeté environ 90 % des amendements que les sénateurs conservateurs ont apportés au projet de loi C-69.

« Nous n’accepterons pas les amendements qui affaiblissent les règles », a tranché la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, en faisant le point sur la réponse gouvernementale aux 187 modifications formulées par la Chambre haute.

« Les changements des conservateurs nous ramèneraient en arrière, augmenteraient la polarisation et rendraient plus difficile la construction de bons projets, a-t-elle argué. C’est une recette pour la tension sociale et les dommages environnementaux. »

Le débat sur la réponse aux modifications proposées par le Sénat à ce projet de loi honni par des premiers ministres conservateurs s’est entamé aux Communes, hier après-midi.

Il n’est pas exclu qu’une motion d’attribution de temps soit déposée afin de s’assurer que le projet de loi C-69 retourne au Sénat, où l’on devra se pencher sur la réplique du gouvernement Trudeau.

La ministre McKenna a laissé entendre que l’offre était finale.

« Nous pensons que nous avons fait notre devoir, a-t-elle indiqué. Nous croyons que le Sénat devrait accepter ces amendements et qu’il faut aller de l’avant pour adopter ce projet de loi. »

Le sénateur conservateur Claude Carignan, qui siège au comité qui a étudié le projet de loi et sillonné le pays pour mener des consultations, ne croit pas qu’une partie de ping-pong législatif entre les deux chambres se profile à l’horizon.

« Je ne pense pas parce que, selon moi, les sénateurs dits indépendants vont se rallier à la volonté du gouvernement — ils ont quand même été nommés par Justin Trudeau et ils ont été formés à respecter la mentalité du gouvernement », a-t-il soutenu.