Les pollinisateurs de la planète sont gravement menacés, notamment par les activités humaines qui les exposent à des risques toujours plus nombreux, a rappelé l’ONU à l’occasion de la Journée mondiale des abeilles, lundi.

Le taux d’extinction des pollinisateurs est aujourd’hui de 100 à 1000 fois plus élevé que la normale, dit l’ONU. Les menaces pesant sur les abeilles et autres pollinisateurs vont des changements climatiques à la destruction des habitats en passant par l’utilisation de pesticides.

« En ce qui concerne les néonicotinoïdes, les scientifiques n’en sont plus à en faire la preuve, a dit Monique Boily, qui est professeure associée au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal. La preuve est faite. Et quand la preuve est faite, je pense qu’il faut être un peu proactif. »

Certaines juridictions sont toutefois plus proactives que d’autres.

Au Québec, des mesures entrées en vigueur ce printemps encadrent plus strictement l’usage de grains enrobés de certains néonicotinoïdes, des pesticides qui font des ravages dans les colonies d’abeilles : leur utilisation est autorisée, mais uniquement avec le feu vert d’un agronome. Une mesure très similaire existe en Ontario depuis 2015, à la différence près que cette province exige qu’il s’agisse d’un agronome indépendant.

Les néonicotinoïdes altèrent le système nerveux des insectes, ce qui provoque la paralysie et la mort. Les mesures québécoises et ontariennes en ciblent trois : la clothianidine, l’imidaclopride et la thiaméthoxame.

En avril 2018, l’Union européenne a elle aussi décidé de sévir face à ces trois substances, qui sont maintenant interdites pour les cultures à plein champ, mais tolérées pour les usages sous serres. Tous les néonicotinoïdes sont par ailleurs interdits en France depuis le 1er septembre 2018.

Plusieurs municipalités, notamment Montréal et Vancouver, interdisent également les néonicotinoïdes.

Enfin, une commission parlementaire sur les pesticides a amorcé ses travaux à Québec il y a quelques jours à peine. Cette commission permettra de prendre conscience du « pouvoir qu’exercent certaines industries sur l’agriculture et leur impact présumé néfaste sur la santé et l’environnement », selon le député péquiste de Bonaventure, Sylvain Roy.

Une trentaine d’intervenants seront invités à témoigner au total, dont des ministères, et un appel de mémoires sera lancé sous peu.

Des néonicotinoïdes partout

On peut lire dans un document publié en novembre 2017 par l’Institut national de santé publique du Québec que « des relevés du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques montrent […] que (la présence des néonicotinoïdes) est généralisée dans les rivières des zones agricoles, ayant été détectés dans 100 % des échantillons. Puisque les abeilles accumulent ces insecticides, ils se retrouvent aussi dans le miel », ajoute le document.

75 % des 198 échantillons de miel provenant de toutes les régions de la planète analysés par une équipe européenne contenaient des néonicotinoïdes. En Amérique du Nord, 86 % des échantillons analysés étaient contaminés. La plupart des résidus sont toutefois en deçà du seuil autorisé pour la consommation humaine, bien que certains miels contiennent des résidus de plusieurs néonicotinoïdes, selon le document de l’INSPQ.

Un autre document, celui-là diffusé en juin 2018 par l’organisme environnemental Équiterre, rappelle que tous les néonicotinoïdes qui existent actuellement sont homologués au Canada, à l’exception du dinotéfurane.

Le Canada autoriserait aussi l’utilisation « d’un total de 145 produits commerciaux à base de néonicotinoïdes […] parmi lesquels dominent les préparations à base d’imidaclopride » — une des substances dont l’usage est maintenant restreint au Québec et en Ontario.

Les scientifiques du gouvernement fédéral sont en train de finaliser un plan pour restreindre l’utilisation de pesticides très répandus, qui peuvent nuire aux abeilles. Les recommandations pourraient toutefois devenir caduques dans moins d’un an, si Ottawa décide de mettre en application une décision existante pour interdire l’utilisation de la plupart des pesticides et ainsi protéger d’autres types d’insectes.

Le sort des pollinisateurs

Dans une lettre transmise au premier ministre Justin Trudeau le 17 mai, Équiterre rappelle que « les pollinisateurs contribuent à 35 % de la production végétale mondiale, en faisant augmenter de 75 % la production des principales cultures alimentaires du monde ».

Les données les plus récentes publiées par l’Association canadienne des professionnels de l’apiculture révèlent que le pourcentage de pertes hivernales de colonies a été de 32,6 % à l’échelle nationale en 2018, soit les pertes les plus élevées depuis 2009. La plupart des provinces ont aussi déclaré une mortalité plus élevée en 2017-2018 que lors de l’année précédente.

« Les apiculteurs s’attendent à ce que certaines ruches n’aient pas passé l’hiver, mais on remarque que le pourcentage de colonies qui ne sont pas actives au printemps est beaucoup plus élevé qu’il ne le devrait, a commenté Monique Boily, de l’UQAM. On remarque une mortalité accrue à la suite de l’hiver.

Ce n’est quand même pas normal qu’un apiculteur perde 40 ou 50 % de ses ruches dans un hiver. Je ne connais pas beaucoup de producteurs de bœuf qui accepteraient de perdre 50 % de leur troupeau chaque année. »

Rejoint au téléphone, le président de la Fédération des apiculteurs du Québec, Stéphane Leclerc, a préféré ne pas accorder d’entrevue à La Presse canadienne.

Cela étant dit, Mme Boily s’inquiète davantage des pollinisateurs sauvages que des abeilles domestiques.

« Plusieurs recherches sont faites sur l’abeille, mais on a très très peu d’informations pour les pollinisateurs sauvages, a-t-elle dit. Et ce qui affecte les abeilles est très susceptible de les affecter aussi. Je parle des bourdons. Je parle des abeilles solitaires. Ce sont de bons pollinisateurs pour lesquels on a très peu d’information et c’est très difficile d’avoir des études sur ces pollinisateurs-là. »

Les apiculteurs, rappelle-t-elle, pourront toujours créer de nouvelles ruches en achetant des reines ou en divisant les ruches restantes.

« Mais on ne peut pas procéder de cette façon-là avec les pollinisateurs sauvages, et ça, c’est une perte au niveau de la biodiversité, au niveau des producteurs maraîchers et au niveau de tous ceux qui ont besoin des abeilles pour la pollinisation », a-t-elle prévenu.