En octobre 2018, l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie a lancé un défi à 50 foyers : éliminer les ordures de leur vie. Ce projet repose sur un engagement personnel admirable. Mais est-ce le meilleur moyen d’enrayer la production croissante de déchets ? Des experts se prononcent.

Esra Özkan et son conjoint Paul McGuire ont adopté le mode de vie zéro déchet depuis sept mois.

Pour réduire leurs déchets au maximum, ils achètent tout ce qu’ils peuvent en vrac, de préférence bio, dans de petits commerces locaux. Pas de sacs de chips, ou le moins possible. Pas de beurre d’arachide ou de pot de confiture du magasin. Pas de légumes, de fruits ou de viande emballés à l’épicerie. Ni même de tablettes de chocolat.

Des mouchoirs ?

« Oui, admet Paul, employé dans une banque. En plus, ça va au compost. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Pour réduire leurs déchets au maximum, Paul McGuire et sa conjointe Esra Özkan achètent tout ce qu’ils peuvent en vrac, de préférence bio, dans de petits commerces locaux.

Avec 49 autres foyers, sélectionnés parmi 569 candidats, sa conjointe et lui participent au défi de Rosemont–La Petite-Patrie, où un premier pub zéro déchet va ouvrir en juin.

Une fois par mois, depuis octobre 2018, ils pèsent leurs déchets de la semaine. Pas seulement le sac de poubelle. Le bac de compost et celui du recyclage aussi. Résultat ? Ça ne pèse pas lourd. C’est même très léger.

Leur meilleure semaine : 170 g, en tout. Leur pire : 540 g. Rien à voir avec la production hebdomadaire moyenne de déchets des Québécois, selon Statistique Canada : 7,10 kg.

Esra fait les courses à pied ou à vélo dans son quartier et prépare les repas. Peu après la naissance du fils du couple, Elgin, 3 ans, elle a quitté l’emploi de coordonnatrice qu’elle occupait dans une banque. Depuis, elle gère à distance le compte de médias sociaux de sa sœur qui possède un hôtel dans le sud de la Turquie. La famille n’est pas végétarienne, mais presque.

« C’est un retour aux sources pour moi », dit celle qui a grandi à Istanbul, en Turquie.

« J’aime l’idée que ce défi permet d’inspirer d’autres personnes », ajoute Paul McGuire.

Qu’en pensent les spécialistes ?

Professeure au département de marketing de l’UQAM, Elisabeth Robinot espère que ce projet trouvera écho auprès d’autres arrondissements et villes du Québec.

« C’est sûr que d’un point de vue organisationnel, ça demande de tout repenser : la collecte des déchets, l’accès à une alimentation locale et aux jardins communautaires… Mais ça fait prendre conscience des changements qu’il faut opérer. » — Elisabeth Robinot

Sylvain Allard, professeur à l’École de design de l’UQAM, est moins enthousiaste. Selon lui, cette initiative vise plus à inspirer qu’à créer un nouveau modèle.

« Ça reste symbolique, dit-il. Il faut sortir de nos petits quartiers et regarder la problématique dans son ensemble. À Rosemont, il y a beaucoup d’éléments qui facilitent le zéro déchet : on peut faire ses achats à pied dans des commerces de quartier. Mais c’est loin d’être le cas partout au Québec. Quelqu’un qui vit à Saint-Hubert, par exemple, ne va pas partir à pied avec ses pots Mason ou attendre l’autobus qui passe une fois en deux heures ! »

M. Allard croit qu’il faut arrêter de pelleter la responsabilité de la gestion des ordures dans la cour des citoyens.

« Moi, dit-il, je travaille à l’autre bout du spectre : comment modifier, réduire et éliminer les emballages pour régler de façon significative les impacts sur les déchets. Il faut adopter des lois et obliger les producteurs à trouver des solutions. C’est utopique de penser que les citoyens vont régler seuls le problème. »

René Audet, professeur au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, partage cet avis. « Toute initiative qui vise à faire en sorte que les consommateurs réduisent leur quantité de déchets est importante et pertinente, croit-il. Cela dit, il faut regarder du côté de la production. C’est bien de demander aux consommateurs de faire quelque chose, mais le problème concerne toute la chaîne de production et de commercialisation alimentaire. »

De son côté, Jacques Nantel, professeur émérite à HEC Montréal, pense que les consommateurs ont un rôle important à jouer pour inciter les entreprises à revoir leurs façons de faire. « Le comportement des gens a plus d’impact sur les entreprises que les lois », affirme-t-il.

Pour lui, le défi de Rosemont est une initiative « le fun ». « Maintenant, est-ce qu’on va voir tout un quartier mobilisé pour réduire ses déchets ? On verra. »

Le défi en bref

Jusqu’à la fin du mois, trois expertes en gestion des restants, Laure Caillot, Amélie Côté et Mélissa de La Fontaine, accompagnent les 50 foyers sélectionnés par l’arrondissement pour relever le défi zéro déchet. Les participants ont été choisis parce qu’ils étaient représentatifs de la population du quartier : il y a des célibataires, des familles, des couples sans enfants, des colocataires et des retraités. Depuis sept mois, ils assistent à des rencontres et à des ateliers pour apprendre à mieux gérer leurs poubelles et à améliorer leurs habitudes de consommation. « Je constate que plusieurs foyers qui participent au défi suscitent de l’intérêt et de la curiosité autour d’eux », dit Laure Caillot, spécialiste du mode de vie zéro déchet en famille. « Ça provoque un effet boule de neige. »