Les changements climatiques rendront-ils les inondations comme celles qui frappent actuellement le Québec plus fréquentes ? La question soulève des débats. Cela est dû au fait que la réponse est complexe et dépend du type d’inondation, de la région et de la saison dont on parle. Le point.

Plus d’inondations

De façon générale, les changements climatiques se traduiront par une augmentation de la température, des précipitations et des événements météorologiques extrêmes au Québec. Cela favorisera les inondations. « Quand on entend qu’il y aura plus d’inondations avec les changements climatiques, c’est fondamentalement vrai. Les inondations liées aux orages violents, l’été, vont devenir plus fréquentes. L’automne, les systèmes dépressionnaires comme les restes d’ouragans donneront plus d’inondations. Une hausse des événements de précipitations de pluie pendant la saison hivernale est aussi envisagée », explique Alain Bourque, directeur général du consortium Ouranos sur la climatologie et l’adaptation aux changements climatiques. C’est sans compter que si vous vivez en zone côtière, l’augmentation du niveau de la mer et les tempêtes plus fréquentes augmentent votre probabilité d’avoir les pieds mouillés.

Crues printanières plus fortes dans le nord...

Qu’en est-il du printemps, la saison pendant laquelle les inondations sont les plus graves au Québec ? Il faut savoir que l’augmentation des précipitations provoquée par les changements climatiques se fera sentir particulièrement en hiver. Cela amènera plus de neige dans des régions comme la Mauricie, la Côte-Nord ou le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Or, plus il y a de neige, plus le volume d’eau qui vient gonfler les rivières est important lorsqu’elle fond au printemps. Dans ces régions, les crues printanières risquent donc en moyenne d’être plus intenses. Les pluies plus fortes au printemps viendront empirer le problème.

... mais pas dans le sud

C’est lorsqu’on parle des crues printanières dans le sud du Québec que la controverse bat son plein. Comme ailleurs, on s’attend à une hausse des précipitations et des températures. Sauf qu’ici, les deux facteurs pourraient s’opposer. D’un côté, la hausse des précipitations amène plus d’eau dans le système. De l’autre, les redoux plus fréquents en hiver font fondre la neige de façon plus régulière, ce qui fait qu’il en restera moins au printemps pour aller gonfler les crues. Avec quelques degrés en plus, des précipitations qui seraient tombées sous forme de neige tomberont aussi sous forme de pluie, ce qui prévient les accumulations de neige.

« Les études montrent que pour l’horizon 2050, les crues printanières risquent, en moyenne, d’être devancées et d’être inférieures d’un point de vue historique. », dit Alain Bourque.

Un point de vue discordant

Sur Twitter, Sarah Dorner, spécialiste en génie hydraulique de l’École Polytechnique, a affirmé n’être « pas du tout à l’aise » avec la conclusion selon laquelle les changements climatiques réduiront les crues printanières dans le sud du Québec. La professeure Dorner a beaucoup étudié la rivière des Outaouais, qui a causé de nombreux problèmes en Outaouais et dans la région de Montréal cette année. Elle soutient qu’il est vrai que les changements climatiques réduiront la pointe de la crue dans le Sud. Mais dans les hauteurs du bassin versant, dans le Nord, elle affirme qu’on observera le contraire à cause de l’accumulation de neige. « Ce n’est pas la fonte locale, dans le Sud, qui dicte la pointe de la crue. C’est ce qui se passe dans le nord, en interaction avec ce qui se passe ailleurs dans le bassin. Et ces interactions entre les différentes parties du bassin sont complexes » plaide l’experte. Mme Dorner soutient aussi qu’on sous-estime l’impact des eaux souterraines dans l’équation. « Avec ce que je connais de ce bassin, je ne suis pas à l’aise de dire qu’il y aura une baisse des crues printanières. Il n’y a pas vraiment de controverse, mais je pense que ça mérite une discussion avec plusieurs acteurs et chercheurs », a-t-elle dit à La Presse.

Plus d’extrêmes ?

S’il soutient que les modèles climatiques et hydrologiques montrent bel et bien une baisse moyenne des crues printanières dans le sud du Québec, Alain Bourque précise que cela ne dit rien sur les crues extrêmes. L’expert note qu’il est très possible que lors d’une année donnée, les redoux ne soient pas suffisants pour faire fondre la neige qui s’accumule pendant l’hiver. Combinée à de fortes précipitations printanières favorisées par les changements climatiques, une telle situation conduirait à ce qu’il appelle une « combinaison magique » très propice aux inondations. Cela ressemble en fait beaucoup à ce que l’on a vécu cette année. « Il n’est pas impossible que malgré des crues moyennes plus basses, les crues extrêmes, elles, soient plus élevées que par le passé. Pour l’instant, il s’agit d’une hypothèse, mais nous avons un plan scientifique qui vise exactement à quantifier ça », dit M. Bourque. L’expert affirme même qu’il est possible que nous soyons actuellement dans une période où l’effet « augmentation des précipitations », stimulé par les changements climatiques, domine l’effet « redoux en hiver » censé le compenser, ce qui expliquerait les années pénibles que nous vivons.

Le cas des embâcles

Soulignons qu’en Beauce, la première région touchée de plein fouet cette année, les inondations ont été causées par des embâcles plutôt que par des inondations dites « en eaux libres ». Ces amoncellements de glace forment des barrages, puis libèrent soudainement de grandes quantités d’eau lorsqu’ils cèdent. « Beaucoup de gens disent qu’avec les changements climatiques, il y aura un risque accru d’embâcles, particulièrement l’hiver à cause des cycles de gel-dégel. Mais il reste beaucoup de travail scientifique à faire sur cette question », dit Alain Bourque. L’expert estime que la Beauce est particulièrement vulnérable parce que les rivières y coulent souvent du sud vers le nord. Cela entraîne le risque que les rivières dégèlent d’abord en amont, générant de l’eau qui vient se buter contre de la glace en aval.