En ce Jour de la Terre, La Presse a sondé des experts de divers horizons pour savoir ce qu’il faudrait changer dans nos habitudes quotidiennes et ce que les élus devraient prioriser en matière d’environnement.

Cinq habitudes à changer pour réduire son empreinte environnementale

1. Suivez le nouveau Guide alimentaire canadien

Simple, mais vrai. Si vous adoptez les nouvelles directives du Guide alimentaire canadien, qui suggère de privilégier les protéines d’origine végétale avant les protéines animales, vous allez nécessairement réduire vos émissions de gaz à effet de serre (GES).

De combien ? De 10 à 20 % si vous remplacez seulement un ou deux repas de viande par semaine par des légumineuses ou du tofu, estime Dominique Maxime, associé de recherche au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services. « Dans une démarche alimentaire végétarienne, la réduction des GES est de l’ordre de 25 à 35 %, tandis qu’une alimentation végane permet une réduction de 30 à 50 % », a par ailleurs calculé M. Maxime en agrégeant plusieurs études sur le sujet. « D’un quart à un tiers de l’impact environnemental d’un citoyen, c’est son alimentation », souligne-t-il.

2. Réduisez vos déplacements en « auto solo » de 2000 km par année

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Si tous les Québécois parcouraient annuellement 2000 km de moins seuls dans leur auto, le Québec pourrait diminuer ses émissions de GES d’environ 2 %.

Si tous les Québécois parcouraient annuellement 2000 km de moins seuls dans leur auto, le Québec pourrait diminuer ses émissions de GES d’environ 2 %, calcule Normand Mousseau, auteur du livre Gagner la guerre du climat : douze mythes à déboulonner. « C’est la réduction qu’il faut faire chaque année pour atteindre nos objectifs de 2030 », dit-il, rappelant que le transport routier des individus représente 22 % des émissions de GES du Québec. L’idée n’est pas de se déplacer moins, mais de se déplacer autrement, explique celui qui est également directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier, à Polytechnique Montréal. Outre les transports en commun, le vélo ou la marche, il suggère de faire davantage de covoiturage, qui a l’avantage d’être possible dans les petits milieux et que les nouvelles technologies rendent plus facile. « Ce qu’on veut, ce n’est pas déplacer des autos, on veut déplacer du monde », dit-il.

3. Évitez la fast-fashion

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Les Québécois jettent en moyenne chaque année 24 kg de vêtements.

Les Québécois jettent en moyenne chaque année 24 kg de vêtements, selon Recyc-Québec. La revue Forum de l’Université de Montréal a calculé que ces 190 000 tonnes de textiles empilées formeraient un immeuble de 18 étages ! « Il faut vraiment se poser la question : pourquoi sommes-nous aussi dépendants des changements de look tous les quelques mois ? », se demande Luce Beaulieu, directrice exécutive du Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable. Cette dernière affirme qu’il faut éviter les boutiques qui vendent des pièces à des prix dérisoires qui risquent de ne pas durer. Elle suggère d’acheter un plus petit nombre de vêtements, mais de plus grande qualité, et de ne pas bouder le seconde main. « Est-ce qu’on veut appartenir au très petit groupe de gens qui ce mois-ci pourraient se faire photographier dans la rue et apparaître dans VICE, ou est-ce qu’on veut appartenir à la grande famille humaine ? », dit-elle.

4. Cessez de goudronner votre entrée

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Cesser l’utilisation des enduits à base de goudron comme protecteurs d’asphalte des entrées de garage, voilà une bonne habitude à prendre pour réduire son empreinte environnementale.

Alors que le beau temps montre enfin le bout de son nez, il est temps de revoir certaines corvées printanières. Sommité québécoise en matière d’océanographie chimique de l’eau, Émilien Pelletier, professeur associé à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, suggère de cesser l’utilisation des enduits à base de goudron comme protecteurs d’asphalte, des produits qui contiennent du brai de houille. « Sous l’action de la pluie, du soleil et de la chaleur, ces enduits se décomposent en microparticules et composés solubles toxiques qui sont entraînés par ruissellement vers les égouts de surface et les eaux usées urbaines. Cette composition chimique est similaire au bitume, de mieux en mieux connu comme toxique pour les premiers stades de développement des invertébrés et des poissons. Ces produits sont coûteux, inutiles et polluants », déplore-t-il.

5. Finie, l’eau embouteillée

Les Québécois consomment chaque année près d’un milliard de bouteilles d’eau en plastique, ce qui a un impact environnemental considérable, souligne Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada. En plus de l’extraction des combustibles fossiles nécessaires à leur fabrication et les gaz à effet de serre (GES) émis pour leur production et leur transport, « une grande majorité » de ces bouteilles « se retrouvent au dépotoir ou dans la nature », dit-il. « On jette en fin de compte du pétrole dans les dépotoirs pour la consommation d’eau », s’indigne-t-il. Patrick Bonin croit donc qu’il faut de façon générale « consommer moins, mais consommer mieux » en optant pour des produits durables, réparables, réutilisables et locaux.

Cinq priorités pour l’État

En ce Jour de la Terre, La Presse a sondé des experts de divers horizons pour savoir ce qu’il faudrait changer dans nos habitudes quotidiennes et ce que les élus devraient prioriser en matière d’environnement.

1. Réduire de 6 % par an notre utilisation d’énergies fossiles jusqu’en 2030

PHOTO BEN NELMS, BLOOMBERG

Le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU a déterminé que la consommation d’énergies fossiles devra être réduite de 45 % d’ici 2030 pour ainsi limiter le réchauffement climatique à seulement 1,5 °C.

La survie de la civilisation humaine en dépend, martèle le célèbre environnementaliste David Suzuki. Pour limiter le réchauffement climatique à seulement 1,5 °C, le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU a déterminé que la consommation d’énergies fossiles devra être réduite de 45 % d’ici 2030. « Ce rapport était terrifiant parce que nous sommes sur une trajectoire pour atteindre un réchauffement de 3 à 5 °C », souligne M. Suzuki. « Si nous sommes sérieux à propos du climat, il faut réglementer l’industrie et demander à ce qu’elle respecte cette cible », a-t-il ajouté, tout en rappelant que les gouvernements sont élus pour représenter les citoyens. « Nous devons faire du climat l’enjeu numéro 1 », croit M. Suzuki.

2. Cesser de subventionner l’industrie des énergies fossiles

Le Canada ne sera « pas capable de décarboniser son économie » s’il continue de financer les énergies fossiles, affirme Daniel Horen Greenford, doctorant en économie écologique et politiques climatiques à l’Université Concordia et membre du groupe Extinction Rebellion Québec. Les subventions provinciales et fédérales à ce secteur totalisent quelque 3 milliards de dollars par an, soit 30 milliards pour une décennie, déplore-t-il, estimant que cet argent serait beaucoup mieux investi s’il servait à financer la transition vers une « économie post-carbone ». Former le demi-million de travailleurs du secteur pour leur permettre d’occuper des emplois comparables dans d’autres domaines coûterait « seulement » 5 milliards de dollars, dit-il, citant l’Institut international pour le développement durable. « Le reste pourrait servir à soutenir des industries compatibles avec une économie post-carbone. »

3. Conférer une personnalité juridique au fleuve Saint-Laurent

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La Nouvelle-Zélande a reconnu le fleuve Whanganui comme une entité vivante. La Colombie a fait de même avec la forêt amazonienne. Pourquoi pas le fleuve Saint-Laurent ?

Reconnaître des droits au fleuve Saint-Laurent en lui conférant une personnalité juridique aurait un effet immédiat et significatif sur la protection de l’environnement, suggère Louis Couillard, co-porte-parole du mouvement La Planète s’invite à l’université. L’idée n’a rien de farfelu, assure-t-il, rappelant que la Nouvelle-Zélande l’a fait il y a deux ans avec le fleuve Whanganui, le troisième cours d’eau du pays, que le Parlement a reconnu comme une entité vivante. La Colombie a fait de même avec la forêt amazonienne. Ainsi, les droits et intérêts du fleuve Saint-Laurent pourraient être défendus devant la justice, explique l’étudiant, si bien que les projets qui le menacent pourraient être interdits ou renvoyés à la table à dessin.

4. Cesser de construire des infrastructures qui augmentent la consommation ou la production d’hydrocarbures

PHOTO JASON FRANSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Selon un expert de Greenpeace Canada, il faut investir dans des solutions qui permettent de réduire le recours aux énergies fossiles.

Puisqu’il faut diminuer la consommation de pétrole et de gaz pour limiter le réchauffement climatique, « on ne peut plus ajouter d’infrastructures qui [favoriseraient leur augmentation] », dit Patrick Bonin, de Greenpeace Canada. Pas de nouveaux oléoducs, gazoducs ou gisements, ni de nouvelles autoroutes ou de « troisième lien » entre Québec et Lévis, illustre-t-il. Il faut plutôt investir dans des solutions qui permettent de réduire le recours aux énergies fossiles, ce qui représente d’ailleurs un « intérêt économique majeur » pour le Québec, assure-t-il, évoquant l’électrification des procédés industriels, du chauffage et des transports. Il faut aussi investir dans les transports collectifs, croit-il, soulignant qu’ils ne comptent au Québec que pour 27 % des investissements en infrastructures, contre 73 % pour le réseau routier, alors que « c’est le contraire » en Ontario.

5. « Écologiser » le gouvernement du Québec

Si elle était ministre de l’Environnement demain matin, la directrice des programmes d’Équiterre, Colleen Thorpe, commencerait par prêcher par l’exemple. « Les flottes de véhicules publics pourraient être électrisées, les achats en alimentation des écoles, des hôpitaux et des autres institutions publiques pourraient être bios et locaux, et les employés de l’État pourraient bénéficier de mesures d’encouragement pour le transport collectif et actif. Nous nous attaquerions aussi à l’approvisionnement en énergie des bâtiments et opérations gouvernementales ainsi qu’à verdir les constructions et le parc immobilier », explique-t-elle, soulignant que le pouvoir d’approvisionnement des institutions est suffisamment important pour inciter les entreprises qui compétitionnent pour obtenir des contrats publics à changer leurs pratiques pour les rendre plus durables, et ce, au bénéfice de tous.