Après un processus de révision scientifique qui aura duré sept ans, le gouvernement fédéral a finalement décidé de restreindre pour la première fois l’usage des néonicotinoïdes, ces insecticides «  tueurs d’abeilles  ». Une décision fortement critiquée par plusieurs groupes environnementaux qui pressent Ottawa « d’arrêter de tourner en rond  » et d’imposer leur interdiction totale, comme c’est le cas en Europe depuis un an.

Les « néonics » ont été montrés du doigt pour expliquer le déclin mondial des populations d’abeilles, un maillon essentiel dans la chaîne de production agricole.

Santé Canada a annoncé hier que pour protéger les insectes pollinisateurs, leur pulvérisation sera interdite dans certaines situations comme en période de floraison. Par contre, les semences de céréales et de légumineuses pourront toujours être enrobées de ces pesticides.

Les agriculteurs ont deux ans pour se plier à cette nouvelle règle, trois, dans le cas des cultures où il n’existe aucune solution de rechange sur le marché pour combattre certains insectes ravageurs comme la punaise marbrée.

Le gouvernement fédéral étudie cependant encore la possibilité d’interdire complètement ces insecticides en raison de leur impact néfaste sur les invertébrés aquatiques. Une décision est attendue à ce sujet en janvier 2020.

Les interdictions annoncées hier ont donc été prises uniquement sur la foi des impacts sur les insectes pollinisateurs comme les abeilles domestiques, les bourdons et les abeilles solitaires. Le but de ce resserrement est notamment d’empêcher que les néonicotinoïdes aboutissent dans les parties de la fleur où sont produits le nectar et le pollen, leur principale source d’alimentation.

Un vaste exercice, dit Santé Canada

Pour prendre sa décision, Santé Canada s’est fié sur des données de l’industrie, des études indépendantes et des données gouvernementales, notamment sur la présence de ces pesticides dans les cours d’eau.

« On a considéré une quantité considérable de science sur le sujet », assure Frédéric Bissonnette, directeur gestion des réévaluations de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada. 

« Étant donné l’attention mondiale donnée aux néonicotinoïdes, il y a énormément de science qui se génère chaque semaine dans le domaine. »

— Frédéric Bissonnette, de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada. 

Son collègue, Scott Kirby, directeur général des évaluations environnementales à l’ARLA, a ajouté que des études propres à l’Amérique du Nord ont été considérées. « La différence entre la décision européenne comparée à celle du Canada, c’est qu’il y a eu énormément d’informations scientifiques qui ont été développées qui sont spécifiques à l’Amérique du Nord, y compris des études plus compliquées auxquelles l’Europe n’avait pas accès », a-t-il indiqué.

« Fort désaccord »

Dans une sortie commune, des apiculteurs et plusieurs groupes environnementaux, dont Équiterre et la Fondation David Suzuki, se sont dits en « fort désaccord » avec la décision de Santé Canada.

« L’ARLA a pris sept ans pour compléter l’évaluation des risques que les néonicotinoïdes posent pour les pollinisateurs. Pourtant, contre l’avis des apiculteurs et faisant fi d’une littérature scientifique abondante, l’évaluation finale minimise l’impact des semences enrobées qui représentent l’utilisation la plus répandue de néonicotinoïdes au Canada, et qui sont une source majeure de contamination », ont-ils déclaré dans un communiqué publié conjointement.

Trois molécules visées par la nouvelle réglementation de Santé Canada

Clothianidine

Sa pulvérisation ne sera plus permise sur les vergers, les fraisiers et les gazons des terrains municipaux, industriels et résidentiels. Son application est permise une seule fois par saison sur les cucurbitacées.

Thiaméthoxame

Son application foliaire n’est plus permise avant ou pendant la floraison des légumineuses, des légumes et fruits cultivés à l’extérieur et sur les cultures de petits fruits. En période de floraison, cette substance ne pourra pas être pulvérisée sur les patates douces et les pommes de terre.

Imidaclopride

Le produit ne pourra plus être appliqué sur les fruits à pépins, les fruits à noyau, certaines noix, la lavande, le romarin, les légumineuses, les légumes-fruits et les cucurbitacées cultivées à l’extérieur, les fines herbes récoltées après la floraison, les petits fruits et les plantes ornementales d’extérieur.