« Le plan spécial [de coupes forestières], sur le plan légal, il ne tient pas la route ! », s'exclame André Douillard.

L'homme fait partie d'un petit groupe « d'utilisateurs de la forêt » bordant le lac Kénogami prêts à mettre la main à la poche pour empêcher les « coupes à blanc » que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) entend y réaliser à partir de l'été prochain en raison de l'épidémie de tordeuse du bourgeon de l'épinette (TBE).

La superficie forestière infestée a atteint un sommet l'an dernier au Québec, et le Saguenay-Lac-Saint-Jean est particulièrement touché, ce qui amène le MFFP à mettre en place un plan de coupe spécial pour accélérer la récolte du bois avant que la tordeuse ne le tue.

Or, André Douillard estime que ce plan « ne passe pas le test de la loi [sur l'aménagement durable du territoire forestier] ».

Celui-ci prévoit la possibilité de mener de telles coupes seulement en cas de « destruction importante de massifs forestiers dans une aire forestière » donnée.

Un tel niveau de destruction est « impossible » dans l'aire forestière du lac Kénogami, affirme André Douillard, puisqu'il s'agit d'une forêt mixte « constituée majoritairement de feuillus ».

Les arbres victimes de la tordeuse, essentiellement le sapin et l'épinette, y sont donc minoritaires.

De plus, il estime qu'un plan de coupe spécial n'autorise que la récolte du bois affecté par l'épidémie, alors que le plan spécial prévoit la récolte de 45 % de feuillus et de 55 % d'essences résineuses, a indiqué à La Presse la porte-parole du MFFP, Catherine Thibeault.

Pour André Douillard, c'est comme si après avoir découvert une laitue contaminée par une bactérie dans une épicerie, les autorités sanitaires la vidaient au complet.

Industrie importante

Le plan de coupe spécial est basé sur des « considérations économiques », croit André Douillard, qui affirme cependant ne pas douter de la bonne foi des fonctionnaires du Ministère, qui subissent selon lui une « pression à livrer des approvisionnements garantis » aux sociétés forestières.

« Je ne suis pas un écologiste enragé, dit-il. L'industrie forestière, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, c'est quelque chose d'important, c'est un moteur économique. »

Il estime toutefois qu'il est inapproprié de mener des coupes forestières dans un secteur qui est à l'étude pour devenir une aire protégée, même si le Ministère assure que les coupes ne concerneront que 6 % de la « zone d'intérêt » de 275 km2.

Le Québec est en train de rater sa propre cible de 17 % d'aires protégées pour 2020, rappelle André Douillard. « Si on commence à aller les bûcher, ça discrédite tout le processus » !

Le Saguenéen, « jeune retraité » du domaine de la production télévisuelle, détient un bail de villégiature depuis deux ans dans le secteur concerné, qu'il fréquente « depuis l'enfance ».

« Lorsque j'ai acquis ce bail-là, je l'ai acquis sachant que j'étais dans une aire protégée sous étude, rendue à un certain niveau d'avancement », dit-il, déplorant que « le Ministère change les règles du jeu avec un motif qui n'est pas clair ».

Le groupe de citoyens dont il fait partie s'inquiète également de l'impact que les coupes pourraient avoir sur la qualité de l'eau du lac Kénogami, qui est la source d'eau potable de quelque 80 % de la population de la ville de Saguenay.

Moyens importants

Le plan de coupe spécial que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs est en train d'élaborer a fait l'objet de consultations publiques, en février. En réponse à notre demande de renseignement en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, le Ministère a cependant affirmé à La Presse n'avoir en sa possession « aucun document correspondant ».

Le MFFP n'a pas non plus été en mesure d'indiquer à La Presse quand le plan serait déposé au bureau du ministre Pierre Dufour, qui doit l'autoriser par décret.

André Douillard croit qu'il est encore temps que les fonctionnaires « réalisent qu'ils ont excédé les paramètres de la loi » et rectifient le tir, mais son groupe se prépare à contester le plan devant les tribunaux s'il est adopté tel quel.

Et il prévient que leurs poches sont profondes.

« J'ai autant de budget que la direction régionale du MFFP en a », assure-t-il, précisant qu'ils ont embauché des avocats, un biologiste, un ingénieur et même une firme de relations publiques pour mener leur combat.

« Il y a une poignée de gars qui vont rendre ça possible, dit-il, mais ça va bénéficier à 10, 100 ou 1000 fois plus de personnes. »

- Avec William Leclerc, La Presse