(Ottawa) Justin Trudeau promet qu’il mettra en place en 2020 les instruments pour atteindre la cible d’émissions de gaz à effet de serre la plus ambitieuse que le Canada ne se soit jamais donnée : être « carboneutre » d’ici 2050 — dans 30 ans seulement.

Mais son gouvernement devra aussi décider rapidement en cette nouvelle année s’il donnera son feu vert à un nouveau gros projet d’exploitation des sables bitumineux qui, selon les écologistes, serait absolument incompatible avec cette cible d’un bilan carbone neutre. Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a prévenu de son côté qu’en rejetant ce projet, Ottawa clamerait au monde entier que le secteur pétrolier et gazier au Canada n’a plus d’avenir.

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Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, serre la main du premier ministre canadien Justin Trudeau

Dans une entrevue de fin d’année avec La Presse canadienne, le premier ministre Trudeau a déclaré qu’il était déterminé à aller de l’avant dans la lutte contre les changements climatiques. Mais au cours de la même entrevue, quelques instants plus tôt, il n’excluait pas de donner son feu vert à la mine de sables bitumineux Teck Frontier, au nord de Fort McMurray, en Alberta, qui devrait produire 260 000 barils de pétrole par jour.

Un comité d’examen fédéral-provincial a approuvé sous conditions, en juillet dernier, le projet de 20,6 milliards, invoquant l’« intérêt national ». Cette exploitation devrait générer 12 milliards de recettes fiscales pour Ottawa et 55 milliards de recettes fiscales et de redevances pour l’Alberta au cours de sa durée de vie de 41 ans. Environ 7000 emplois seraient créés dans la construction de la mine et 2500 autres dans son exploitation.

Le comité mixte a convenu qu’avec cet important producteur de gaz à effet de serre, il sera probablement plus difficile pour le Canada d’atteindre ses objectifs de 2030 en vertu de l’accord de Paris sur les changements climatiques et ses objectifs plus élevés pour 2050. Mais cet argument n’a pas été retenu par le comité mixte parce que le changement climatique n’était pas de son ressort à l’époque.

Le nouveau ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, a déclaré lors d’une visite à Calgary la semaine avant Noël qu’avant d’approuver la mine Frontier, il faudra déterminer comment ce projet s’inscrirait dans l’objectif « carboneutre » du gouvernement.

Un « premier test »

Un Canada « carboneutre » signifie que tout le gaz carbonique et les substances apparentées qui sont crachés dans l’atmosphère peuvent être absorbés par des « puits » naturels comme les forêts et les zones humides, ou par des puits artificiels qui captent le carbone, pour être stockés ou utilisés autrement. Or, la mine Frontier devrait ajouter environ quatre millions de tonnes de gaz à effet de serre chaque année, pendant plus de 40 ans.

Catherine Abreu, directrice générale du Réseau action climat Canada, estime que le processus d’approbation de ce projet constituera « le premier test » du sérieux des libéraux, qui soutiennent que le climat est au cœur de l’élaboration de leurs politiques publiques.

« S’ils sont sérieux au sujet du “carboneutre d’ici 2050”, ils ne peuvent pas approuver de bonne foi ce projet de plus grosse mine de sables bitumineux de l’histoire du Canada, qui devrait fonctionner jusqu’en 2067 », a déclaré Mme Abreu. « Un projet de cette envergure, avec autant d’émissions, fait voler en éclats toutes les cibles et bonnes intentions. »

Selon le ministre Wilkinson, le scrutin d’octobre a démontré que les Canadiens souhaitent des mesures plus ambitieuses pour ralentir les changements climatiques. Mais il estime du même souffle que « la grande majorité des Canadiens sont également pragmatiques » et veulent que la lutte s’accompagne d’une prospérité économique. Pour le ministre, la solution passe par la « technologie verte », qui créera en plus de belles perspectives économiques.

Des cibles déjà ratées

Le ministre Wilkinson devra en tout cas trouver en 2020 une façon de combler l’écart de 77 millions de tonnes entre les politiques mises en place par le Canada et l’actuel objectif climatique pour 2030 — réduire ses émissions de GES de 30 % comparativement aux niveaux de 2005.

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Le nouveau ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson

À la fin de 2018, Ottawa prévoyait déjà qu’il raterait de 79 millions de tonnes sa cible pour 2030. Lorsque de nouvelles politiques comme la « taxe sur le carbone » ont été contrebalancées par une augmentation des émissions du secteur pétrolier et gazier et des révisions de la quantité de gaz carbonique que les arbres devraient absorber, le Canada, au net, n’a « gagné » au cours de la dernière année que deux millions de tonnes.

Aux termes de l’Accord de Paris, le Canada s’est engagé à faire passer les émissions de 730 millions de tonnes en 2005 à 511 millions de tonnes en 2030 — une réduction de 30 %. Or, la combinaison des politiques existantes et prévues devrait permettre au Canada d’atteindre seulement le chiffre de 588 millions de tonnes d’ici 2030 — soit une réduction de 20 %.

Et le gouvernement Trudeau ne promet pas seulement d’atteindre la « cible de Paris » : il souhaite maintenant que le Canada soit carboneutre 20 ans plus tard. Le Canada devrait également adopter un plan plus ambitieux de réduction des émissions à la prochaine réunion des Nations unies sur le climat (COP), prévue en Écosse en novembre 2020.

Demeurer « réalistes »

Le ministre Wilkinson prévient que malgré la pression pour agir rapidement, les changements nécessaires ne se feront pas du jour au lendemain. « Ce dont nous parlons, c’est de changer la façon dont nous transportons les marchandises et les personnes […] la façon dont nous produisons de l’énergie, comment nous traitons les déchets, construisons nos bâtiments, modernisons les bâtiments existants. Tout cela est faisable, mais les gens doivent être réalistes quant au temps que cela devra prendre. »

Les Canadiens peuvent d’ailleurs s’attendre en 2020 à ce que le gouvernement fédéral adopte une loi qui fixera des objectifs quinquennaux en vue d’atteindre les cibles d’émissions pour 2030 et 2050. Tim Gray, directeur de l’organisme « Environmental Defence », espère que le gouvernement créera alors une agence indépendante pour mesurer les progrès accomplis.

Mme Abreu, elle, souhaiterait des objectifs quinquennaux très précis — par exemple : le nombre d’usagers des transports en commun d’ici une certaine année.

Outre la décision concernant la mine Teck, Ottawa devra aussi décider au début de la nouvelle année d’autoriser ou non la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et l’Alberta à utiliser leurs propres règles, plutôt que les règles fédérales, pour les réductions d’émissions de méthane. Déjà, les responsables fédéraux ne pensent pas que la méthode de l’Alberta sera meilleure que celle d’Ottawa.