Abattre les loups pour sauver les caribous ? C’est l’une des solutions trouvées par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pour tenter de sauvegarder la harde de caribous forestiers de Charlevoix. Mais la décision s’attire les foudres de certains naturalistes, qui estiment que Québec néglige les véritables causes du problème.

Le caribou forestier avait complètement disparu de la région de Charlevoix avant d’y être réintroduit dans les années 70. Or, la harde est aujourd’hui en plein déclin. Selon le dernier inventaire du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, mené l’hiver dernier, elle ne compte plus que 31 bêtes.

Pour tenter de les sauver, Québec suit par télémétrie tant les caribous que quatre meutes de loups de la région. L’opération est menée de concert avec la nation huronne-wendate.

« Si on voit que les loups s’approchent trop de la harde, on va vouloir faire une intervention aérienne et faire des ponctions ciblées sur les individus qui menacent la harde », explique Martin Arvisais, directeur de la gestion de la faune pour les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches pour le Ministère. En clair, des employés se rendraient alors en hélicoptère pour abattre les loups menaçants avec des fusils.

« On s’attend tout au plus à une dizaine d’individus, et même ce chiffre nous paraît élevé. Dans le meilleur des mondes, on s’attend à ne pas intervenir parce que les loups sont quand même assez éloignés des caribous », dit M. Arvisais.

Le plan du Ministère a fait l’objet de plusieurs reportages dans des médias régionaux, mais n’a jamais été dévoilé officiellement. Et il suscite l’inquiétude. Gisèle Benoit, naturaliste spécialisée en comportement animal qui a collaboré à plusieurs documentaires sur la faune, a lancé une pétition qui avait récolté jeudi près de 7000 signatures. Les signataires s’opposent à ce qu’ils perçoivent comme un « abattage massif » de loups.

En entrevue avec La Presse, Mme Benoit plaide que le Ministère se trompe de cible. Elle estime que c’est la perte de territoire, et non le loup, qui explique le déclin du caribou forestier dans Charlevoix.

On met la faute sur le loup pour ne pas porter atteinte à l’industrie forestière.

Gisèle Benoit, naturaliste spécialisée en comportement animal

« Le Ministère manipule les écosystèmes et travaille contre la nature, au lieu de travailler avec elle », dit Mme Benoit.

Piégeage

Notons que le piégeage du loup est aussi autorisé dans Charlevoix. Le Ministère a d’abord parlé d’une « campagne » de piégeage lancée parallèlement à l’opération aérienne. « Cette dernière, utilisée seule, n’est pas suffisamment efficace pour répondre rapidement et adéquatement à l’intensité de prédation actuelle sur les caribous », a expliqué le Ministère dans des notes transmises à La Presse.

En entrevue, Martin Arvisais, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, affirme plutôt que le piégeage du loup se fait depuis des années dans Charlevoix et qu’il continue simplement cette année selon les mêmes modalités. Il affirme qu’environ 90 loups sont ainsi capturés chaque année dans toute la région de la Capitale-Nationale, qui englobe une superficie plus grande que Charlevoix.

Un expert critique

Martin-Hugues St-Laurent, expert en gestion de la faune terrestre à l’Université du Québec à Rimouski, se montre critique face à l’idée de contrôler la population de loups par le piégeage et l’abattage.

Le spécialiste montre lui aussi du doigt les coupes forestières. En créant des forêts plus jeunes et plus feuillues, ces coupes ont favorisé le cerf et l’orignal. Ces espèces entrent en concurrence avec le caribou, en plus de provoquer une augmentation du nombre des loups et des ours qui les mangent. Or, ces prédateurs s’en prennent aussi aux caribous.

Pour ajouter au problème, les loups utilisent les chemins forestiers pour se déplacer, ce qui les rend plus rapides et efficaces quand ils chassent. Notons que dans des notes écrites fournies à La Presse, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs fait exactement la même analyse.

Si on s’attaque au loup sans freiner l’aménagement forestier, on essaie essentiellement de vider une chaloupe percée.

Martin-Hugues St-Laurent, expert en gestion de la faune terrestre à l’Université du Québec à Rimouski

« On peut s’obstiner, vous et moi, sur la grosseur et la couleur de l’écope qu’on va prendre, mais si on ne bouche pas le trou, on va écoper tout le temps. C’est ce qui se passe en Gaspésie, où on abat des prédateurs depuis 30 ans et où le caribou est encore en déclin. »

Québec affirme partager cette vision et agir sur le territoire. Un plan d’aménagement, lancé en 2013, vise à « conserver des vieilles forêts pour le caribou et diminuer les perturbations liées à l’aménagement forestier ». Des superficies supplémentaires y ont été incluses cette année. Mais Québec plaide que restaurer des forêts matures prend du temps et qu’il faut agir entre-temps.

« Le contrôle des prédateurs vise à s’assurer que les caribous se maintiennent dans Charlevoix d’ici à ce que leur habitat leur soit redevenu favorable », dit le Ministère. Gisèle Benoît estime quant à elle que le déclin des caribous dans Charlevoix découle de la « négligence » du gouvernement, et s’interroge sur le « ministère à trois chapeaux » qu’est celui des Forêts, de la Faune et des Parcs. « Tout ça est en conflit d’intérêts, et le Ministère gère la faune en fonction des intérêts économiques », dit-elle.

S’il estime que les biologistes du Ministère sont compétents, le professeur de l’UQAR Martin-Hugues St-Laurent évoque aussi un possible « déséquilibre des forces » entre les incitatifs socioéconomiques et la protection de la faune.

Dans un article publié vendredi, nous citions le professeur de l’Université du Québec à Rimouski, Martin-Hugues St-Laurent, qui affirmait que le déclin du caribou forestier se poursuivait malgré l’abattage de loups en Gaspésie. Or, il n’y a pas de loups en Gaspésie. Il aurait fallu écrire, tel que mentionné par M. St-Laurent, que le déclin du caribou se poursuit malgré l’abattage de prédateurs (coyotes et ours).