Les groupes environnementaux sont satisfaits de l’annonce du premier ministre Justin Trudeau qui prévoit l’interdiction du plastique à usage unique dès 2021, mais ils déplorent un certain flou.

Le plastique sera interdit « lorsque les données scientifiques et les circonstances le justifieront », a précisé le gouvernement, qui n’a pas donné de détails sur la mise en application de son plan.

Selon M. Trudeau, la pollution par le plastique est un enjeu d’envergure mondiale et les plastiques à usage unique (sacs d’épicerie, couvercles de café, bouteilles) en sont les principaux coupables. Au Canada, moins de 10 % du plastique utilisé est recyclé.

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau a annoncé l’intention de son gouvernement d’interdire le plastique à usage unique à Mont-Saint-Hilaire, hier.

« Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur ce problème. » — Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Le flou du plan Trudeau est critiqué par plusieurs, qui y voient une manœuvre préélectorale.

C’est le cas du chef néo-démocrate Jagmeet Singh, qui doute de l’intention réelle du premier ministre, même s’il applaudit l’initiative. « Le gouvernement a eu la chance de le faire pendant ses trois ans au pouvoir. »

Le chef conservateur Andrew Scheer est contre l’initiative. « On peut être assuré qu’il va y avoir un impact négatif sur les consommateurs, les emplois et notre économie. »

La députée bloquiste Monique Pauzé suggère plutôt l’emploi du conditionnel à cette annonce. « Il interdirait, peut-être, en 2021. »

Une nouvelle plus qu’attendue

Pour Sophie Paradis, directrice du Fonds mondial pour la nature au Québec, la nouvelle était plus qu’attendue. « Enfin ! », s’est-elle exclamée. L’enjeu de la gestion du plastique à usage unique ne devait plus être uniquement du ressort des villes, et chaque ordre de gouvernement a son rôle à jouer. Le Québec accuse d’ailleurs un retard, a-t-elle ajouté.

La chef des projets scientifiques de la Fondation David Suzuki, Louise Hénault Éthier, était satisfaite. « Il était temps ! Le problème est connu depuis longtemps. » Elle a ajouté que l’uniformisation à l’échelle du pays est pertinente, d’autant plus que le Québec ne s’est pas encore penché sur la question.

Greenpeace a déploré que « l’annonce ne donne aucun détail précis sur les plastiques qui seront interdits ».

« Nous accueillons positivement l’annonce fédérale axée sur la réduction. […] Cependant, nous espérons sincèrement qu’il ne s’agit pas d’une promesse vaine à saveur électorale. » — Agnès Le Rouzic, de Greenpeace

Chez Équiterre, Camille Gagné-Raynauld a salué l’initiative, mais a précisé qu’il s’agissait d’une « annonce d’intentions ». Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre, a fait part de certaines craintes. « Nous aurons besoin d’un échéancier et d’un processus transparents pour s’assurer que les rapports de force seront équilibrés. Les intérêts de l’industrie du plastique, un prolongement de l’industrie pétrochimique, ne doivent pas éclipser les initiatives de réduction et l’urgence environnementale et climatique. »

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Au Canada, moins de 10 % du plastique utilisé est recyclé.

Ailleurs dans le monde

Certains pays se sont dotés de politiques visant à réduire ou à interdire le plastique à usage unique sur leur territoire. Selon le rapport de 2018 du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), 27 pays avaient mis en place des politiques d’interdiction du plastique à usage unique, que ce soit pour des produits spécifiques (assiettes, verres, pailles, emballages) ou des matériaux (polystyrène).

Le Costa Rica a annoncé en 2017 une stratégie nationale visant à remplacer le plastique par des matériaux recyclables ou pouvant se biodégrader en moins de six mois. Le pays travaillera sur plusieurs fronts pour réaliser ses objectifs : incitatifs municipaux, politiques et lignes directrices pour les fournisseurs, remplacement, recherche et développement et investissements dans les initiatives stratégiques.

Le 1er janvier 2019, la Dominique, un pays des Caraïbes, a interdit les pailles, assiettes et ustensiles de plastique, ainsi que les verres et contenants de polystyrène. Le pays avait déjà limité les importations de contenants non biodégradables et certains éléments de restauration.

L’annonce du gouvernement Trudeau s’inscrit dans la foulée de la nouvelle législation votée en mars par l’Union européenne. Les pays membres s’engagent à interdire une dizaine de produits de plastique à usage unique qui composeraient 70 % des déchets retrouvés dans les océans.

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« Les manufacturiers ont déjà commencé à penser à des solutions de rechange », affirme Guylaine Lavoie, directrice générale de PlastiCompétences, comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie du plastique et des composites.

Un virage souhaitable, mais coûteux, dit l’industrie

L’intention du gouvernement de Justin Trudeau de bannir le plastique à usage unique d’ici 2021 oblige les fabricants à effectuer rapidement un virage qu’ils avaient amorcé. Reste maintenant à savoir si les consommateurs seront prêts à débourser davantage pour des ustensiles en bambou et des bols compostables plus écologiques, mais également plus coûteux, se demandent les gens de l’industrie.

« Ce n’est pas parce qu’on travaille dans le plastique qu’on veut polluer », lance sans détour Guylaine Lavoie, directrice générale de PlastiCompétences, comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie du plastique et des composites.

Qualifiant l’annonce du gouvernement fédéral de « bonne nouvelle », elle souligne néanmoins qu’il y a encore beaucoup de questions sans réponse. « On n’a pas statué sur la liste des produits touchés », dit-elle.

« Qu’est-ce que ça représente écologiquement et économiquement ? Est-ce que les utilisateurs sont prêts à changer leurs habitudes de consommation ? » — Guylaine Lavoie, directrice générale de PlastiCompétences

Si elle ne croit pas que cette nouvelle mesure entraînera la mort de l’industrie du plastique, Mme Lavoie s’attend toutefois à un certain « ralentissement ». « J’y vois là une opportunité de changer [les façons de faire]. Les manufacturiers ont déjà commencé à penser à des solutions de rechange. »

Des clients réticents

« L’emballage, ça évolue », souligne pour sa part Frédéric Noël, vice-président ventes et marketing de Tilton, une société de Québec qui fabrique des emballages en plastique pour l’industrie alimentaire et pharmaceutique. Depuis plus d’une trentaine d’années, l’entreprise s’efforce de créer des contenants à salade et à sandwich, par exemple, qui sont recyclables, compostables ou réutilisables. Certaines gammes de produits sont fabriquées entièrement à partir de plastique recyclé. Mais cette façon de faire est plus onéreuse, admet M. Noël.

« Ça me coûte plus cher d’acheter du recyclé que du plastique vierge. Il faut avoir une volonté. » — Frédéric Noël, vice-président ventes et marketing de Tilton

Sophie Casagrande, responsable des ventes pour ABC Emballuxe, une entreprise qui vend de l’emballage alimentaire destiné aux traiteurs et aux pâtisseries, souligne elle aussi que ce virage écologique, bien que souhaitable, a un coût. Mme Casagrande raconte que la majorité de ses clients sont ouverts à l’idée d’acheter des produits en bambou, par exemple. Toutefois, lorsqu’on leur présente la facture, ils veulent vite retourner aux verrines en plastique. « Ce sont des mentalités à faire évoluer. » L’entreprise a malgré tout l’intention « d’écouler » ses articles en plastique pour se tourner uniquement vers des versions plus écologiques.

L’industrie devra toutefois entreprendre une course contre la montre : « 2021, c’est très rapide », souligne Bruno Ponsard, directeur général de l’Institut de technologie des emballages et du génie alimentaire (ITEGA) du collège de Maisonneuve. Et le remède miracle n’a pas encore été trouvé, rappelle M. Ponsard. « Il faut se tourner sur un 10 cents pour trouver des solutions, déplore-t-il. Le plastique ne disparaîtra pas en 2021. »