Vous êtes préoccupés par les changements climatiques ? L’ONU a braqué hier les projecteurs sur une menace peut-être encore plus dangereuse : la disparition à grande échelle des plantes et des animaux de la planète. Au-delà du constat sombre, une bonne nouvelle : les solutions pour renverser la destruction en cours sont connues. Et elles sont largement les mêmes que celles qu’il faut déployer pour sauver le climat.

Destruction planétaire

Un million d’espèces végétales et animales déjà menacées d’extinction, 75 % des milieux terrestres « sévèrement altérés », 87 % des zones humides perdues : le rapport dévoilé hier est un véritable buffet de chiffres déprimants ayant fait le tour du monde aussitôt publiés.

C’est la première fois que l’ONU dresse l’état complet de la biodiversité sur la planète, et le constat est dramatique. Le rapport publié hier est à la biodiversité ce que sont au climat les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiés depuis les années 90. Il a été élaboré par 145 experts de 50 pays.

« L’extinction des espèces se produit à une vitesse inégalée dans l’histoire de l’humanité. Le taux d’extinction est de 10 à 100 fois plus rapide que le taux d’extinction naturel, et il accélère », précise à La Presse Yunne Shin, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement, en France, et experte coordinatrice du rapport.

« Tueur silencieux »

Pourquoi s’en faire pour des abeilles et des grenouilles qui disparaissent ? Les scientifiques conviennent qu’il n’est pas évident de transmettre cette urgence à une population mondiale de plus en plus urbanisée. « Lorsqu’on n’est plus en contact avec la nature, on ne se rend plus nécessairement compte des services essentiels que cette nature nous rend dans notre vie quotidienne, dit l’experte Yunne Shin. On oublie que l’eau que l’on boit, la nourriture que l’on mange et l’air que l’on respire proviennent directement de la nature. »

Cristiana Pașca Palmer, qui dirige de Montréal le secrétariat général de la Convention sur la biodiversité de l’ONU, parle justement de la perte de biodiversité comme d’un « tueur silencieux ». « Avec les changements climatiques, vous commencez à voir des inondations, des canicules, des impacts. Avec la biodiversité, on sait par exemple qu’on perd des insectes de façon massive, dont les insectes pollinisateurs, mais vous pouvez encore aller à l’épicerie et acheter votre nourriture. Il s’agit d’une menace plus insidieuse parce que si vous attendez de vraiment voir les impacts, il se peut qu’il soit trop tard. »

Selon Cristiana Pașca Palmer, la perte de biodiversité est pourtant « plus dangereuse que ne le sont les changements climatiques » et pourrait « causer une véritable menace existentielle à la civilisation telle que nous la connaissons ».

Solutions

Changements d’usage des terres et des mers, exploitation des organismes vivants, changements climatiques, pollution, espèces exotiques envahissantes : les scientifiques ne se sont pas contentés de documenter la destruction en cours, mais en ont aussi déterminé les causes. Pour renverser la vapeur, ils affirment qu’il faudra un « changement transformateur », autant de l’économie et de la politique que de la technologie. Greenpeace Canada a réagi hier en affirmant qu’il fallait protéger au moins 30 % de zones terrestres et marines du pays.

« Il faut alerter, et c’est ce qu’on fait, mais nous proposons aussi des solutions. Le rapport, malgré tout, est porteur d’espoir », dit Yunne Shin. De façon très concrète, Mme Shin affirme que des mesures comme manger moins de viande et éviter le gaspillage alimentaire sont des solutions à la portée de chaque citoyen et qui peuvent faire une différence.

« Je suis optimiste, car je crois à l’esprit rationnel, et il est clair que nous n’avons aucune échappatoire », dit quant à elle Cristiana Pașca Palmer.

Convergence avec le climat

À ceux qui seraient découragés de voir un autre problème s’ajouter à celui des changements climatiques, la chercheuse Yunne Shin souligne que les mesures permettant de lutter contre les deux menaces sont largement les mêmes. Et il s’agit selon elle d’une bonne nouvelle pour convaincre les décideurs d’agir. « Si les gouvernements se rendent compte qu’ils peuvent s’attaquer à plusieurs gros problèmes de front, en même temps, avec les mêmes outils et les mêmes leviers, ça peut les encourager et les pousser à l’action », croit-elle. Cristiana Pașca Palmer va plus loin en expliquant que lutter pour la biodiversité, c’est lutter pour notre propre approvisionnement en nourriture saine. « La nourriture et la santé sont des enjeux qui résonnent avec les gens parce que ça nous affecte directement », dit-elle, se disant optimiste que cela incitera à bouger.

EN CHIFFRES

•1 des 8 millions d’espèces végétales et animales de la Terre sont menacées d’extinction.

•75 % des milieux terrestres et 66 % des milieux marins sont « sévèrement altérés ».

•60 milliards de tonnes de ressources sont extraites dans le monde chaque année, soit le double qu’en 1980.

•87 % des zones humides présentes au XVIIIe siècle étaient disparues en 2000.

•500 000 espèces terrestres ont un habitat insuffisant pour assurer leur survie à long terme.

•Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu depuis le XIVe siècle.