Dix cadavres, plusieurs pistes, une course contre la montre pour élucider le mystère. On ignore toujours pourquoi les baleines noires meurent dans le golfe du Saint-Laurent depuis le début de l'été. Mais un suspect commence à émerger : l'homme.

La première carcasse a été découverte, flottant à la dérive, le 7 juin. La deuxième, 12 jours plus tard. Puis sont venues la troisième, la quatrième... et ainsi de suite.

En deux mois seulement, au moins 10 baleines noires, une espèce en voie de disparition, ont été trouvées mortes dans les eaux du golfe du Saint-Laurent. Le bilan pourrait grimper à 12, car les scientifiques n'ont pas encore établi si deux animaux échoués à Terre-Neuve dans les derniers jours sont les mêmes qui avaient été aperçus flottant à la dérive auparavant.

L'hécatombe est sans précédent en eaux canadiennes. Et les experts sont incapables de l'expliquer avec certitude.

« Certains animaux étaient morts depuis plus longtemps que d'autres, observe Tonya Wimmer, biologiste à la Marine Animal Response Society (MARS), à Halifax. Donc, ce n'est pas seulement un événement ponctuel à un moment précis qui a tué huit ou neuf baleines. On dirait que quelque chose a un effet néfaste sur elles depuis un certain temps. »

Un deuxième mystère

Le mystère qui entoure la mort des baleines noires comporte, en fait, deux mystères. Pourquoi ces mammifères marins se trouvent-ils en si grand nombre dans le golfe du Saint-Laurent ? Et pourquoi meurent-ils en cascade ?

Bien que les baleines noires aient toujours fréquenté le golfe, il n'est pas considéré comme leur habitat « essentiel » par le ministère des Pêches et des Océans. Celui-ci est plutôt situé dans l'océan Atlantique, au sud de la Nouvelle-Écosse, et dans la baie de Fundy.

On observe depuis des années des baleines noires dans le golfe, mais jamais les autorités n'ont mis en place des mesures de protection, déplore Tonya Wimmer.

« C'était une bombe à retardement. On savait qu'il y avait un grand nombre d'animaux dans ce secteur et on savait que c'est l'un des endroits les plus utilisés au Canada pour le transport maritime, la pêche et la navigation de plaisance. Il y a beaucoup de gens sur l'eau à cet endroit. »

Pour Mme Wimmer, qui travaille étroitement avec les autorités, tout indique que l'activité humaine est en cause. Sur les six nécropsies pratiquées sur des carcasses, quatre ont livré des résultats préliminaires. Dans deux cas, les animaux semblaient avoir subi un traumatisme. Dans un troisième cas, la bête portait les signes d'empêtrement chronique, possiblement dans des engins de pêche.

TROIS PISTES ÉTUDIÉES PAR LES EXPERTS

La pêche

• L'une des baleines noires tuées portait des signes d'empêtrement. Une autre a été libérée d'un engin de pêche dans une opération qui a coûté la vie à un secouriste. Une troisième a été aperçue vivante, mais emmêlée dans des cordages, par un avion de recensement. On a perdu sa trace depuis.

Les biotoxines

• Des algues toxiques qui se retrouvent dans la chaîne alimentaire ont déjà causé la mort de dizaines de baleines aux États-Unis. Mais les examens n'ont pas révélé la présence de biotoxines dans le golfe du Saint-Laurent entre la mi-juin et la mi-juillet. « Ça semble être une hypothèse moins probable », dit le vétérinaire pathologiste Pierre-Yves Daoust.

La navigation

• Au moins deux animaux tués portaient la marque d'un traumatisme. Mais il est difficile d'établir avec certitude s'ils ont été percutés par un navire. « Nous basons cette hypothèse sur certaines observations dans les carcasses qui nous portent à croire qu'il y avait des hémorragies internes, dit le Dr Daoust. Mais personnellement, je trouve que c'est très difficile de l'interpréter de manière certaine. »

Malgré les soupçons, aucune hypothèse ne peut être confirmée hors de tout doute. Car les scientifiques se butent à de « grosses difficultés », reconnaît le vétérinaire pathologiste Pierre-Yves Daoust, de l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard, qui a participé à toutes les nécropsies pratiquées jusqu'ici.

Les carcasses étudiées

Lorsqu'une baleine meurt, les bactéries qui se trouvent dans son système digestif commencent à consommer la chair. Comme les organes sont recouverts d'une épaisse couche de graisse, les gaz et la chaleur restent emprisonnés à l'intérieur. En quelques heures à peine, les cadavres deviennent de véritables « chaudrons sous pression », illustre le Dr Daoust.

« En moins d'une semaine, les carcasses sont déjà très décomposées à l'intérieur, résume-t-il. Je dirais même qu'en dedans de 3-4 jours, il y a déjà beaucoup de décomposition qui survient. »

Les organes vitaux des animaux recèlent normalement des indices précieux quant aux causes de la mort. Mais dans les carcasses des baleines noires trouvées jusqu'ici, ils avaient pratiquement disparu. Les résultats finaux des nécropsies seront connus à la mi-septembre. Dans l'intervalle, le gouvernement fédéral envisage une série de mesures pour mitiger l'effet des activités humaines sur la baleine noire (voir autre texte).

Comment procède-t-on à la nécropsie?

Les carcasses découvertes dans le golfe du Saint-Laurent sont remorquées jusqu'à la rive la plus proche, tantôt aux Îles-de-la-Madeleine, tantôt à l'Île-du-Prince-Édouard, tantôt à l'île Miscou, au large de la péninsule acadienne. On dépêche de la machinerie lourde sur place pour les hisser sur la terre ferme, soulever la pellicule de gras et couper la chair en morceaux. L'opération dure en tout une douzaine d'heures. À la fin, les tissus sont enterrés sur place. Trois squelettes ont été prélevés à des fins de conservation.

Photo d'archives

Une huitieme baleine noire a ete trouvee morte dans les eaux du golfe du Saint-Laurent. Le mammifere geant est en voie d'exctinction. Il n'en resterait qu'environ 500 dans le monde. Acadie Nouvelle : David Caron. 21 juillet 2017.

524 : Nombre d'individus estimé en 2015. Inscrite comme espèce en voie de disparition dès 1980, la baleine noire est considérée comme l'une des plus menacées parmi les grandes baleines.

100 : De 80 à 100 baleines noires se trouveraient actuellement dans le golfe du Saint-Laurent, selon Pêche et Océans Canada. C'est un nombre trois fois plus élevé que d'habitude.