L'élection de Donald Trump - et surtout les décisions de sa première semaine au pouvoir - ont suscité une forte mobilisation des scientifiques américains.

En effet, c'est la consternation chez les scientifiques au gouvernement et ailleurs. La science est bafouée par la plupart des membres du gouvernement Trump.

Encore hier, une dépêche d'Associated Press citait Myron Ebell, chef de l'équipe de transition de Trump à l'agence de protection environnementale (EPA), qui promettait des coupes d'au moins 50 % dans le personnel de l'agence, surtout dans les postes de scientifiques.

« La chaleur, c'est bon, tant qu'on a l'air climatisé », a aussi déclaré M. Ebell, niant la menace des changements climatiques.

La réaction est venue rapidement depuis une semaine.

Une manifestation de scientifiques est en préparation, un organisme a été créé pour aider les scientifiques à se faire élire, et les médias sociaux pullulent de comptes anonymes de « résistance » animés par des scientifiques ou leurs alliés.

Et les scientifiques américains s'inspirent d'une campagne lancée en 2012 au Canada contre les politiques anti-science du gouvernement de Stephen Harper.

Docteure en biologie, Katie Biggs est la directrice d'Evidence for Democracy, un organisme qu'elle a fondé avec d'autres scientifiques canadiens.

Elle est en contact avec des collègues aux États-Unis qui sont en train d'organiser la manifestation des scientifiques à Washington. Des collègues qui gardent l'anonymat pour le moment.

« Au cours des derniers jours, via les réseaux sociaux, il y a beaucoup de gens qui ont voulu nous mettre en contact, dit Mme Biggs en entrevue avec La Presse. J'ai parlé [jeudi] avec leur principale organisatrice. Elle est en sciences de la santé, et les gens de son équipe sont surtout des étudiants postdoctoraux en biologie. Elle a été très claire : ils agissent rapidement parce qu'ils ont vu ce qui s'est passé au Canada.»

Tout a commencé en 2012. Alors qu'elle terminait son doctorat en biologie à l'Université d'Ottawa, Katie Biggs a organisé une manifestation de scientifiques en sarrau sur la colline du Parlement.

« Le gouvernement Harper venait d'abolir le formulaire long du recensement, dit-elle. Les scientifiques ne sont pas habituellement des militants ou des fauteurs de troubles. Il a fallu que les choses tournent vraiment mal pour que les gens se mobilisent. »

La manifestation de 2012 s'est transformée en mouvement qui a eu de l'influence sur la dernière élection fédérale, affirme Mme Biggs.

« Jamais il n'avait été autant question de science pendant une campagne électorale, et un gouvernement a été élu qui est assez fort dans le domaine scientifique », dit-elle. Elle note le rétablissement du formulaire long du recensement, la libre parole redonnée aux scientifiques gouvernementaux et la nomination prochaine d'un scientifique en chef du gouvernement fédéral.

Aux États-Unis, la mobilisation est beaucoup plus rapide, constate-t-elle. « Le premier ministre Harper a avancé ses politiques peu à peu, mais Trump agit très vite. »

Ces derniers jours, une quarantaine de comptes Twitter ont été créés apparemment par des scientifiques gouvernementaux ou des gens qui les appuient. Hier, ils comptaient déjà au total 4,3 millions d'abonnés, dont 1,3 million pour le compte alternatif du Service national des parcs américains. C'est, bien sûr, moins que les 22 millions d'abonnés de Donald Trump.

Engagement politique

Les scientifiques à l'extérieur du gouvernement ont aussi tendu la main à leurs collègues gouvernementaux. Certains ont ouvert une boîte de courriel permettant aux scientifiques de communiquer des résultats de recherche que le gouvernement voudrait garder secrets.

Et l'organisme 314 Action, créé en octobre 2015 pour susciter l'engagement politique des scientifiques, va intensifier son action. «Rien dans notre constitution n'indique qu'il faut laisser le gouvernement aux avocats», a affirmé cette semaine en entrevue au Washington Post Shaughnessy Naughton, fondateur de l'organisme. 

«Surtout maintenant, on a besoin de gens avec une formation en science qui sont habitués à examiner des faits et se faire une opinion basée sur des faits», a-t-il dit.

Là aussi, l'expérience canadienne pourrait inspirer les États-Unis.

Andrew Weaver est un climatologue de renommée mondiale qui a contribué aux quatre premiers rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

Quand il s'est porté candidat pour le Parti vert aux élections provinciales de Colombie-Britannique, il y a quatre ans, M. Weaver comptait 15 personnes dans son laboratoire de l'Université de Victoria et sa carrière scientifique était à son pinacle.

Joint hier par La Presse, M. Weaver est en pleine campagne de recrutement pour le Parti vert en vue des prochaines élections provinciales, en mai. Et il a convaincu deux titulaires de doctorat - un en chimie et un autre en physique - de faire le saut.

«Comme scientifique, on peut rester assis à se plaindre ou on peut s'impliquer, et c'est en s'impliquant qu'on peut faire changer la politique», dit-il.

Il affirme que même s'il est l'unique représentant de son parti à l'Assemblée législative, il a accompli plus qu'il ne l'espérait comme député. «Les gens en général font confiance aux scientifiques, dit-il. On est plutôt habitués aux avocats, qui gagnent s'ils ont les plus beaux arguments, mais les scientifiques gagnent en ayant les meilleurs faits. Pour ma part, j'ai réussi à faire adopter des lois parce que je ne fais pas le jeu de la politique. Je n'attaque pas les gens personnellement, et cela me permet parfois de bien travailler avec le gouvernement.»