La majorité des marais, plages et autres éléments du paysage côtier du Québec pourraient disparaître au cours des prochaines décennies, coincés entre la mer qui monte et les obstacles souvent artificiels comme les routes et les bâtiments.

Pour préserver ces habitats importants, il faudra renoncer à des pans du littoral qui sont convoités pour l'expansion urbaine, que ce soit la villégiature, le commerce ou l'industrie.

C'est ce que conclut la première étude au Québec sur le phénomène du coastal squeeze, ou « compression côtière », d'abord décrit par des chercheurs britanniques dans les années 90. Le rapport a été remis en mars aux deux ordres de gouvernement et La Presse en a obtenu copie.

Selon Jean-Pierre Savard, un des responsables de l'étude, c'est un problème méconnu.

La hausse des océans s'accélère actuellement sur la planète, avec le réchauffement du climat. Les glaciers fondent et l'eau prend de l'expansion en se réchauffant.

C'est un phénomène bien connu et prédit depuis longtemps.

Mais les répercussions locales - et multiples - de la hausse des océans font l'objet de recherches plus intenses ces derniers temps.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la recherche sur le costal squeeze financée par Ressources naturelles Canada et Ouranos, le consortium de recherche québécois sur l'impact des changements climatiques.

Elle a réuni une quinzaine de chercheurs et elle comporte aussi un volet sur le Nouveau-Brunswick.

PERDRE DES TERRAINS

Ses recommandations ne manqueront pas d'attiser les discussions déjà vives au sein des nombreuses collectivités québécoises aux prises avec l'érosion côtière accélérée ces dernières années.

En effet, le rapport recommande de restreindre la construction en zone côtière, « ce qui consiste le plus souvent à accepter de perdre des terrains au profit des écosystèmes ».

Il faudra aussi réserver, par réglementation et par la création de réserves naturelles, des endroits pour les futurs écosystèmes côtiers.

Ces lieux sont des terrains actuellement secs - et souvent très convoités - où plantes et animaux pourront battre en retraite.

Ces mesures de protection impliqueront « des fonds importants ».

Pour y arriver, il faudra « améliorer la sensibilité des décideurs, des populations côtières et de la population en général » au phénomène du coastal squeeze, qu'on pourrait traduire par « compression côtière » ou « étranglement côtier ».

Si rien n'est fait, il y aura des « pertes irréversibles » d'écosystèmes importants, tant pour la faune marine ou les oiseaux que pour les communautés riveraines.

DÉJÀ OBSERVABLE

Françoise Bruaux est directrice du Comité ZIP du Sud-de-l'Estuaire, une région qui s'étend sur 380 km de Berthier-sur-Mer jusqu'aux Méchins.

Elle constate que la hausse du niveau de la mer compromet déjà les travaux de restauration que son organisme pilote.

« Quand il y a des fortes marées, la mer monte plus haut qu'avant, dit-elle. Par exemple, on a fait des plantations d'élyme des sables, une plante qui pousse en haut de plages, mais il y a des endroits où nos plantations ont été enterrées par des sédiments et du gravier. Ce n'est pas encore répandu, mais ça montre que ça commence. »

Mme Bruaux déplore que les autorités et les collectivités se préoccupent peu de la préservation des écosystèmes côtiers.

« On a des problèmes d'érosion des berges depuis nombre d'années, mais ce qui prime, c'est le sort des infrastructures, des habitations, des routes, etc., dit-elle. Avec les grandes tempêtes de 2010, il y a eu des impacts considérables sur les habitats et personne n'en a parlé. »

« C'est important de prendre conscience de ces enjeux-là. Les municipalités demandent des aides financières pour protéger les infrastructures, mais personne ne se préoccupe des habitats. Ils ont une importance pour les paysages et pour le tourisme, mais ils nous protègent aussi des assauts des vagues. »

Il est urgent de saisir l'importance de la menace que fait planer l'étranglement côtier, affirme Jean-Pierre Savard. « Dans notre étude, on présume que l'enrochement et le patrimoine bâti demeurent tels qu'actuellement. Alors si on ne prend pas des mesures dès aujourd'hui pour protéger les zones qui sont résilientes, celles-ci aussi vont devenir sensibles à leur tour. »