Un sport en vogue qui se pratique sur une vague d'un mètre de haut soulevée par un bateau puissant. Des petits lacs qui n'ont jamais connu une eau aussi agitée. Des citoyens qui apprennent à cohabiter autour de leur plan d'eau de plus en plus sollicité. Plusieurs municipalités sont aux prises avec un débat épineux, depuis que la vague des wakeboats - les «bateaux à fort sillage» - déferle sur les plans d'eau québécois. Pour la première fois, la science s'invite dans le débat. Et elle donne des arguments aux opposants aux wakeboats.

«On ne veut plus de ces monstres qui font des vagues gigantesques sur un lac qui n'est pas fait pour les recevoir», dit Michel Thériault.

M. Thériault, biologiste à la retraite, se plaint que son terrain fond à vue d'oeil depuis l'apparition des wakeboats sur le lac Sainte-Marie.

«Les vagues viennent se briser par-dessus mon quai, dit-il. On peut avoir cinq ou six bateaux en même temps sur un lac de 300 mètres sur 700.»

À l'instar de M. Thériault, plusieurs riverains de lacs au Québec veulent que leur municipalité réglemente les wakeboats afin de protéger les berges.

Ils disposent maintenant d'un argument supplémentaire pour convaincre les élus.

Une étude cosignée par le professeur Yves Prairie, de l'Université du Québec à Montréal, une sommité mondiale de la limnologie - la science des lacs - conclut qu'il faut éloigner les wakeboats à 300 mètres des rives.

«Les bateaux de type wakeboat causent un impact considérable sur le rivage lorsqu'ils passent à 100 mètres de la rive, et [...] tous les passages à moins de 300 mètres ajoutent significativement de l'énergie aux vagues naturellement présentes», concluent les chercheurs.

«L'énergie présente dans le train de vagues créé par les wakeboats entraîne une remise en suspension des sédiments et probablement aussi une érosion accélérée des berges.»

La recherche a été réalisée sur le terrain, en faisant passer un bateau à différentes distances devant des berges de pente et de nature différentes.

«À ma connaissance, très peu d'études ont quantifié à quelle distance l'énergie produite par les vagues est complètement dissipée», a affirmé M. Prairie en entrevue.

«C'est une étude préliminaire de six ou sept sites dans seulement deux lacs, ajoute-t-il. Mais le 250 à 300 mètres, c'est la chose la plus claire qui ressort de l'étude. Maintenant, on a une base scientifique pour dire qu'au-delà de cette limite, l'impact serait très minime.»

L'étude a été réalisée pour le compte de deux associations de protection de lacs, celle du lac Memphrémagog et celle du lac Lovering, tous deux en Estrie.

Mais elle pourrait avoir un impact partout au Québec.

«Cette étude va faire comprendre aux élus qu'il y a un impact réel», affirme Jean-Claude Thibault, géomorphologue et cofondateur du RAPPEL, le regroupement des associations de riverains.

Lucie Borne, de la Société de conservation du lac Lovering, affirme que l'étude qu'elle a fait réaliser par M. Prairie a créé le «début d'un mouvement dont nous souhaitons qu'il s'étende à l'échelle de la province».

En effet, le débat est bien engagé autour de plusieurs autres lacs.

«On a été trop complaisants par le passé par rapport aux dommages faits sur les rives par les wakeboats, dit Yvan Leclerc, membre de l'Association de protection du lac Bowker, en Estrie. J'ai un arbre qui s'est retrouvé à porte-à-faux par-dessus l'eau. Évidemment, il n'a pas poussé là.»

M. Leclerc dit que le lac Bowker, qui fait 6 kilomètres de long sur 400 mètres de large au maximum, peut accueillir jusqu'à une douzaine de wakeboats par une belle journée d'été.

Au lac Masson, la ville de L'Estérel a adopté un règlement qui a aussitôt été contesté par certains résidants.

Ce règlement impose une distance de 150 mètres entre la zone de wakesurf et les berges, et interdit ce sport-là où il y a moins de 5 mètres de profondeur. «Ça fait 60 ans qu'on a du ski nautique et on n'a jamais eu de problème, dit le maire de L'Estérel, Jean-Pierre Neveu. Et là, j'avais une plage naturelle depuis 42 ans et elle a disparu en 6 ans.»

Craintes confirmées

L'étude de M. Prairie «confirme toutes les craintes de beaucoup de personnes qui s'intéressent à la protection des lacs», affirme la mairesse de Saint-Adolphe-d'Howard, Lisette Lapointe.

Dans cette municipalité des Laurentides, la réglementation nautique est une pomme de discorde depuis une dizaine d'années.

Un premier règlement a été annulé par la Cour d'appel au motif qu'il interdisait les bateaux appartenant à des non-résidants.

Le nouveau règlement impose un tarif très élevé aux bateaux «étrangers», mais cela n'empêche pas les wakeboats d'être très populaires chez des riverains, qui doivent acheter une vignette annuelle pour leurs embarcations.

«Il y a prolifération de ces sortes de bateaux, dit Mme Lapointe. Il y a 600 vignettes sur nos lacs et il y a peut-être 150 ou 200 wakeboats. Plusieurs s'en servent de façon très correcte. Mais quand il y a des gens qui ne font de la vague que pour faire de la vague. C'est extrêmement nocif. On n'aura pas le choix de réglementer.»

Cependant, elle reconnaît qu'une marge de 300 mètres équivaudrait à une interdiction pure et simple, les lacs Saint-Joseph et Sainte-Marie étant trop petits. «Il n'y aurait plus de bateaux», dit-elle.

Elle penche plutôt pour le modèle de l'Estérel. «À notre avis, 150 mètres avec 5 mètres de profondeur, ça semble raisonnable», dit-elle.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Des bouées marquent l'emplacement d'îlots qui ont disparu depuis quelques années sur le lac Saint-Joseph, à Saint-Adolphe-d'Howard. Les riverains affirment que les vagues de wakeboats les ont érodés. 

Tests sur la qualité de l'eau

Le professeur Prairie a aussi voulu évaluer l'impact des vagues géantes des wakeboats sur la qualité de l'eau, mais sa recherche pour l'instant n'est pas concluante. «Il faut vérifier si les sédiments remis en suspension, qui sont très riches en éléments nutritifs comme le phosphore, catalysent le vieillissement des lacs. Mais je ne suis pas convaincu que cela aurait un grand impact biologique. Il y a des éléments naturels qui, bien que moins fréquents, remettent aussi ces sédiments en circulation. Et il y a des sédiments qui sont riches en hydroxydes de fer qui se lient avec le phosphore, de sorte que le phosphore ne sera pas nécessairement relâché.» Il faudrait poursuivre les recherches, dit-il.

Le pouvoir municipal sur les lacs contesté

Les villes qui ont voulu réglementer le nautisme ont fait face à de l'opposition ces dernières années, en vertu du pouvoir sur la navigation conféré au gouvernement fédéral par la Constitution canadienne.

Dernier jugement à ce jour: celui de la Cour d'appel du Québec annulant le règlement nautique de Saint-Adolphe-d'Howard, en 2009.

Ce règlement interdisait l'accès au lac Saint-Joseph aux bateaux appartenant aux non-résidants.

Cependant, selon Me Jean-François Girard, spécialiste du droit de l'environnement et biologiste de formation, ce jugement a en même temps ouvert une porte à une certaine compétence municipale sur les plans d'eau.

« La Cour d'appel a dit que des considérations environnementales étaient la raison de la réglementation, mais que ça ne tenait pas la route d'interdire les bateaux qui viennent de l'extérieur de la municipalité, dit Me Girard. Ça nous laisse croire qu'une réglementation environnementale qui serait liée à des considérations scientifiques et environnementales pourrait être valide. »

Mécanisme de consultation

Selon Me Girard, la Cour suprême s'est en outre prononcée pour le « fédéralisme coopératif » où les divers paliers de gouvernement peuvent coopérer pour réglementer un secteur.

Mais c'est justement ce qu'a voulu appliquer le gouvernement fédéral dans sa réglementation nautique, affirme MPatrick Garon-Sayegh.

Me Garon-Sayegh représente des résidants de l'Estérel dans leur contestation d'un nouveau règlement municipal restreignant la pratique du wakesurf dans cette municipalité installée sur les rives du lac Masson.

« La réglementation fédérale prévoit un mécanisme de consultation qui peut être enclenché par la municipalité, dit Me Garon-Sayegh. Il y a un processus qui s'enclenche où tout le monde est entendu. »

Ce processus n'est pas populaire auprès des municipalités, qui le trouvent trop ardu. « Passer à travers la procédure, ça prend cinq ans, sans garantie de succès », dit Me Girard.

Directives sur les rives

En attendant, les municipalités peuvent être très strictes au sujet des rives, une zone sur laquelle elles ont compétence et où les directives provinciales se sont faites de plus en plus exigeantes ces dernières années.

Des citoyennes comme Holly O'Connor, à Saint-Adolphe, trouvent la situation injuste, alors que leur terrain est grugé par les vagues de bateau. « Nous avons dépensé 10 000 $ pour stabiliser notre rive, il a fallu un plan d'ingénieur, dit-elle. Et pendant ce temps, on se fait dire que notre partie du lac est une zone écologiquement sensible et que les bateaux doivent ralentir, mais il n'y a aucune surveillance. »

PHOTO SIMON GIROUX, LA PRESSE

Les wakeboats sont spécifiquement conçus pour soulever une vague parfaite sur laquelle surfe le planchiste. 

De l'équipement très spécialisé

La planche nautique (wakeboard) est comparable au ski nautique en ce sens que les pieds sont fixés sur la planche et que le planchiste est tiré par le bateau avec une corde. Le wakesurf, qui gagne en popularité, ressemble davantage au surf, mais la planche est plus petite. «On ne se fait pas tirer par le bateau puisque l'idée de départ, c'est de glisser sur la vague produite par le bateau, comme sur celles de l'océan», explique François-Pierre Poirier, propriétaire de l'école de sports nautiques waketime.ca. Les bateaux de type wakeboat sont conçus pour soulever une vague parfaite pour ce sport. Un système de ballasts est intégré à l'arrière et au centre de l'embarcation. Ces réservoirs peuvent être remplis à même l'eau du lac. «Il faut comprendre que le bateau ne donne pas une vague immense en tout temps, précise M. Poirier. Si je me déplace sur le lac, je ne vais pas remplir les ballasts.» 

- Audrey Ruel-Manseau

PHOTO SIMON GIROUX, ARCHIVES LA PRESSE

Un wakeboard (à gauche)

Baliser la pratique des sports nautiques

Une entente de courtoisie au lac Massawippi, dans les Cantons-de-l'Est, prouve qu'il y a moyen de baliser la pratique de ces sports nautiques sans y renoncer. En 2008, en plein coeur d'un débat contre la pratique du wakeboard et du wakesurf sur le lac, un code de conduite a été rédigé. « Il y avait des préoccupations bien fondées pour protéger les rives, explique le maire d'Ayer's Cliff, Alec Van Zuiden. Mais on a aussi un lac, du tourisme, et il y a des personnes qui habitent au bord de l'eau et qui veulent s'amuser. Il fallait donc trouver un juste milieu. » Les maires des cinq municipalités riveraines, l'Association nautique Massawippi et Bleu Massawippi ont convenu que le wakeboard et le wakesurf devaient être pratiqués à un endroit précis. Des bouées ont été installées à 250 m des berges. Le lac a une superficie de 18 km2. « Il y a une bonne entente, mais il y a des irritants qui proviennent surtout des gens qui sont de passage », explique Michèle Gérin, directrice générale de Bleu Massawippi. L'organisme multiplie ses efforts pour sensibiliser les usagers du plan d'eau.

- Audrey Ruel-Manseau