Un réseau de bouées scientifiques récemment déployé à la grandeur des océans permet aux climatologues de mieux comprendre pourquoi le réchauffement de l'atmosphère ne progresse pas en ligne droite et marque parfois un plateau de plusieurs années.

Et ce, en dépit de la hausse continue des taux de gaz à effet de serre (GES) qu'on observe depuis des décennies.

Trois recherches publiées ces derniers jours permettent en effet de confirmer ce qu'on soupçonnait: les couches profondes des océans ont connu plus que leur part de réchauffement ces dernières années.

Un résultat peu surprenant, sachant que les océans absorbent plus de 90% de la chaleur solaire, alors que l'atmosphère n'en retient qu'un ou deux pourcent.

Mais il a fallu attendre que le réseau de 3000 bouées Argos, déployé entre 2001 et 2007, commence à fournir des données sur la température de profondeurs océaniques.

«Historiquement, on a très peu d'observations sur l'océan en profondeur, même si on a en de plus en plus», dit Jacques Derome, professeur émérite au département des sciences atmosphériques et océaniques de l'Université McGill.

La chaleur augmente dans les profondeurs

Une recherche parue cette semaine dans le journal Review of Geophysics montre que, depuis le milieu des années 2000, la couche supérieure des océans, jusqu'à 700 mètres de profondeur, marque une pause dans son réchauffement, tout comme l'atmosphère.

Mais plus en profondeur, jusqu'à 2000 mètres, le réchauffement est très marqué.

Ces nouvelles données, une fois introduites dans les modèles de simulation climatiques, permettent de reproduire assez fidèlement la «plateau» dans le réchauffement de l'atmosphère qu'on observe depuis une douzaine d'années.

C'est le résultat des travaux de Yu Kosaka et Shang-Ping Xie, du Scripps Institution of Oceanography, à l'Université de Californie à San Diego, publié cette semaine dans Nature.

Selon cette recherche, les températures terrestres dans l'hémisphère nord sont liées à un phénomène récurrent dans le Pacifique apparenté à El Nino. Dans ce cycle, la surface de l'océan absorbe plus ou moins de chaleur et en redonne plus ou moins à l'atmosphère. Cela influence les températures ailleurs sur la planète.

«Ça me semble un article bien construit et crédible, dit M. Derome. Dans l'atmosphère, il y a un ralentissement du réchauffement par rapport aux modèles climatiques, surtout l'hiver dans l'hémisphère nord. Cette étude donne une explication crédible de ce qui se passe.»

Encore la faute à El Nino

«Depuis quelques années, la température de la basse atmosphère n'augmente pas autant que ne le prévoient les modèles et on essaie de comprendre pourquoi, note Dominique Paquin, spécialiste des simulations et analyses climatiques au consortium Ouranos. Et finalement c'est attribuable au cycle El-Nino / La Nina.» 

Selon Mme Paquin, ce n'est qu'une question de temps avant que le réchauffement de l'atmosphère ne reparte de plus belle. «On va retomber dans une phase positive et la température va se remettre à augmenter à des rythmes qu'on observait dans les années 1980-90», dit-elle.

Mais pourquoi l'absorption de chaleur varie-t-elle dans le Pacifique? «La recherche de Nature est un pas en avant, mais elle ne fournit pas une explication», signale Jaime Palter, océanographe à McGill.

Elle note qu'un début de réponse est apparu cette semaine dans le Journal of Climate, sous la plume de G. A. Meehl, du Centre national de recherche atmosphérique, aux États-Unis.

Dans cette autre recherche, dit-elle, huit périodes de pause et sept périodes d'accélération du réchauffement du passé ont été scrutée. Conclusion : tout est liée à ce qui se passe dans le Pacifique. «Et ils arrivent en gros à la même explication en utilisant un modèle climatique différent de Kosaka», se réjouit Mme Palter, qui devrait publier sous peu une recherche sur le même sujet.

En gros, explique Mme Palter, la vitesse du réchauffement dépend de la force des courants de convection sous les tropiques. La convection est un phénomène qui anime tout fluide qui est soumis à une différence de température. Dans l'océan, la différence provoque des mouvements dans la colonne d'eau pour rééquilibre la température.

«C'est une explication qui tombe sous le sens, dit Mme Palter. S'il y a moins de convection, l'océan emmagasine plus de chaleur.»

Une explication attendue

Les scientifiques se réjouissent de ces progrès scientifique, d'autant plus que la «pause» du réchauffement de l'atmosphère est interprétée à tort comme un signe que les changements climatiques ont cessé.

«Le danger, c'est que les gens, y compris les décideurs, tirent des conclusions erronées basées sur des observations à une échelle trop petite qui n'a rien à voir avec les tendances à long terme», dit M. Derome.

D'autant plus, souligne Mme Palter, que plusieurs autres indicateurs continuent de témoigner de façon très éloquente de la réalité du réchauffement. «La pause, même si j'hésite à l'appeler ainsi, est observable seulement pour les températures hivernales, dit-elle. Les températures estivales ont continué d'augmenter. La dernière décennie est quand même la plus chaude jamais observée. La banquise arctique est toujours sur la même tendance: elle fond. Les océans continuent de se réchauffer et leur niveau continue de s'élever.»