Les entreprises polluantes ont peu à craindre du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), lequel, trop souvent, n'arrive pas à faire respecter sa propre réglementation et ses propres permis.

C'est en résumé le constat dévastateur que fait le Commissaire au développement durable dans un rapport rendu public hier. L'équipe du Commissaire a analysé 280 dossiers du secteur industriel gérés par le MDDEP.

Par exemple, parmi 70 avis d'infraction choisis au hasard par les enquêteurs, 29 n'avaient toujours pas fait l'objet de mesures correctives. Et les «retours à la conformité» sont souvent longs. Dans 4 cas, il a fallu plus de 3 ans - jusqu'à 12, voire 17 ans dans un cas.

«Chaque fois qu'une situation de non-conformité perdure, c'est la capacité d'intervention du Ministère et, ultimement, sa crédibilité même qui sont remises en cause», affirme le Commissaire.

Des entreprises peuvent sans conséquence passer outre à des avis d'infraction, note le rapport, qui cite une entreprise qui avait démarré sans certificat d'autorisation (CA) et rejetait des substances polluantes dans l'environnement. «Malgré deux avis d'infraction et l'envoi du dossier aux enquêtes, elle était toujours en exploitation sans CA au moment de notre vérification, et ce, depuis plus de 5 ans.»

Le Commissaire estime par ailleurs que le MDDEP se fie trop aux citoyens et aux médias et n'établit pas ses propres priorités en fonction des risques, alors que «les citoyens sont incapables de détecter certaines situations dangereuses pour l'environnement et la santé».

Dans la même veine, le Commissaire critique aussi l'opacité du MDDEP, qui ne diffuse pas systématiquement «les renseignements de première importance», tels que les polluants rejetés par les entreprises détenant un CA ou les cas de non-conformité, contrairement à ce qui se fait ailleurs, notamment aux États-Unis et en Ontario.

Failles majeures

«On s'aperçoit que l'État et le marché ne protègent pas efficacement l'environnement et l'intérêt public, alors il faut que les citoyens et les médias aient accès à toutes les données relatives à l'environnement afin de jouer leur rôle de chien de garde», note Me Jean Baril, du Centre québécois du droit de l'environnement.

Le Commissaire note aussi des failles majeures dans la façon dont on autorise les projets industriels. Des 70 dossiers de certificats d'autorisation étudiés, près du tiers, soit 23, ne contenaient pas les renseignements exacts sur la nature des polluants rejetés ou sur la quantité maximale permise de ces rejets.

Même quand ces normes sont claires, rien ne garantit qu'elles sont respectées. Des 70 certificats d'autorisation étudiés, 45 nécessitaient une inspection, mais 19 entreprises n'avaient pas été inspectées. Des 27 entreprises dont le certificat d'autorisation exigeait de l'information supplémentaire, 10 ne l'avaient pas transmise.

Pire encore, même quand les normes sont respectées, l'environnement et la santé ne sont pas protégés pour autant, constate enfin le Commissaire: «Selon le fonctionnement actuel, le Ministère délivre un CA s'il y a respect des normes prévues au règlement, et ce, peu importe le degré de fragilité du milieu récepteur. En l'absence d'une véritable évaluation des effets cumulatifs des pressions sur l'environnement, il y a risque de porter atteinte à la santé humaine, à la qualité de l'environnement et à la pérennité des écosystèmes.»

«Il y a un problème juridique, a précisé en entrevue le commissaire Jean Cinq-Mars. Je donne souvent cet exemple: s'il y a le long d'une rivière cinq usines de papier qui sont conformes, ça va peut-être. Si on en ajoute une sixième, même si elle est conforme, on pourra traverser la rivière sans se mouiller les pieds. C'est pour ça qu'il faut absolument tenir compte de la capacité des écosystèmes.»