Dans le centre du Portugal, Manuel Coimbra observe en silence le bûcheron en train d'abattre un de ses arbres, contaminé par la «maladie du pin»: cette épidémie parasitaire qui ravage les pinèdes du pays menace selon les experts de s'étendre au reste de l'Europe, après avoir frappé l'Asie.

«Les générations futures ne sauront sans doute même pas de quoi nous parlons quand nous évoquerons les forêts de pins», soupire Manuel Coimbra, dont les huit hectares de pinède sont en plein sur la ligne de front des efforts européens de lutte contre le parasite. Car la maladie, devenue incontrôlable au Portugal, risque de s'étendre au reste du continent.

De ce fait, la Commission européenne a interdit en juillet les exportations de pins portugais non traités et désinfectés, détenteurs d'un certificat de bonne santé.

Deux espèces de pins sont victimes du «nématode du pin»: le pin maritime, qui représente le quart des pinèdes portugaises, et le pin sylvestre, l'espèce la plus répandue en Europe.

Ce vers microscopique est capable de tuer un arbre en quelques semaines, l'étouffant en bloquant la circulation de la sève. Une fois malade, le pin se déssèche totalement: ses aiguilles brunissent, puis tombent. Le nématode se propage en s'installant à bord des voies respiratoires d'un scarabée volant aux allures de cafard.

On soupçonne ce scarabée d'être arrivé au Portugal caché dans les palettes en bois d'un navire venu d'Extrême-Orient, où dans les années 70 le nématode a quasiment réduit à néant les immenses forêts de pins du Japon. Dans la décennie qui suivit, la Chine, Taïwan et la péninsule coréenne ont subi des épidémies majeures de la «maladie du pin».

Si elle est endémique en Amérique du Nord, la maladie n'y fait en revanche pas tant de dégâts, en raison des conditions climatiques différentes et de conifères d'autres espèces. Car le nématode aime la chaleur du sud de l'Europe: les pays plus au nord de l'Europe seraient donc moins menacés, estiment les experts.

Jusque-là inconnu en Europe, le «nématode du pin» a frappé pour la première fois en 1999, dans la région de Setubal, un des principaux ports portugais, au sud de Lisbonne. En deux ans, il y a causé la mort de 340 000 arbres.

Les experts pensent que le scarabée vecteur du parasite serait arrivé à Setubal sur un navire en provenance de Macao, où le Portugal avait cette même année rendu son ancienne colonie à la Chine.

Dans la région, plus de 130.000 hectares de pinède ont été abattus, une ceinture sanitaire de trois kilomètres de large et plus de 100 km de long a été établie. En vain.

En avril dernier, la «maladie du pin» faisait son apparition dans le centre du Portugal, plus de 200 km au nord du foyer épidémique initial. Et la seule solution pour tenter de bloquer sa progression, c'est d'abattre et de brûler... Alors que de nouveaux arbres contaminés sont repérés chaque jour.

Selon les experts, la contamination pourrait être due à des transporteurs indélicats ayant amené illégalement du bois infecté depuis la région de Setubal. Et les habitants se plaignent du non-respect des lois régissant le transport forestier et de l'absence des autorités.

Roddie Burgess, responsable du service sanitaire de la Commission forestière britannique, qui étudie la «maladie du pin» depuis plus de 20 ans, s'inquiète de la rapide progression de l'épidémie. «Etant donné l'échelle du problème (...), ça va être très difficile à surmonter», juge-t-il. «Si j'étais en Espagne, je serais extrêmement inquiet».

L'inquiétude est environnementale, mais également économique: l'Europe est le principal importateur et exportateur mondial de produits forestiers, représentant plus de 3% du commerce mondial pour un volume dépassant le 200 milliards de dollars, selon l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO).

Pour Manuel Mota, de l'Université d'Evora, co-auteur d'un ouvrage intitulé: «La maladie du pin: une menace mondiale sur les écosystèmes forestiers», ce parasite est un ennemi terrifiant.

«La maladie est dévastatrice. Dans les milieux scientifiques, nous disons que 'les nématodes sont immortels'. C'est totalement impossible à éradiquer».