Vedette internationale du bien-être et du développement personnel, l’« influenceur spirituel » Jay Shetty s’amène au Québec à l’occasion de la conférence C2 Montréal, ce mercredi après-midi. L’ancien « moine » converti en lucratif « coach de vie » suscite autant l’admiration que la méfiance.

Il fait copain-copain avec Oprah Winfrey et Ellen DeGeneres. A célébré le mariage de Jennifer Lopez et Ben Affleck. Accueilli Alicia Keys, Kobe Bryant, Khloé Kardashian ou encore Kendall Jenner à son émission balado, On Purpose, la plus populaire au monde dans le domaine de la « santé ».

Sur les réseaux sociaux, le « coach de vie » Jay Shetty, 35 ans, fait la pluie et le beau temps pour des millions de millénariaux. Son mantra : « rendre la sagesse virale ». Ses plateformes autour de la croissance personnelle rejoignent quelque 50 millions d’abonnés, tandis que ses vidéos ont accumulé plus de 8 milliards de vues.

La clé du succès ? Une parfaite adéquation entre spiritualité et marketing.

Jay Shetty le répète : il étudiait en science du comportement dans une école de commerce de Londres lorsqu’il a fait la rencontre du moine Gauranga Das, qui deviendra son mentor. Quelques années plus tard, l’étudiant troque son veston contre une robe au seuil de l’âge adulte : il prie, voyage, étudie et médite pendant trois ans, en Europe et en Inde.

Après avoir défroqué, le Britannique est recruté par le site d’information Huffington Post, à New York, où il réalisera des capsules vidéo virales à partir de ses enseignements. En 2017, le magazine Forbes le classe parmi les 30 personnalités de moins de 30 ans les plus influentes d’Europe.

Il a depuis lancé ses propres services et produits en ligne – balado, cours, conférences, production, application, école de coaching, livres, commerce de thés –, constituant un empire de plusieurs dizaines de millions de dollars.

L’habit ne fait pas le moine

« Aujourd’hui, je me considère toujours comme un moine, bien que je me qualifie généralement d’ancien moine, puisque je suis marié et que les moines n’ont pas le droit de se marier », écrit Jay Shetty dans l’essai Think Like a Monk, qui se glisse en 2020 en tête de la liste des livres les plus vendus du New York Times.

La crédibilité et la stratégie marketing de Jay Shetty misent beaucoup sur son passé monacal. La Presse a pu confirmer auprès de l’organisation internationale Hare Krishna (ISKCON) qu’il avait au minimum fréquenté le Manoir de Bhaktivedanta, en banlieue de Londres.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE JAY SHETTY

Jay Shetty (à gauche) lorsqu’il était moine

Mais la chronologie de son cheminement spirituel porte à confusion, a-t-on constaté. Entre autres exemples, Jay Shetty affirme être arrivé dans un ashram indien au début du mois de septembre 2010. Or, selon son profil LinkedIn, le récent diplômé a travaillé pour Ernst & Young pendant quatre mois, de juin à septembre 2010. Difficile, dans ce calendrier, de caser ses « quelques mois de formation » au Manoir de Bhaktivedanta tout juste avant son départ vers l’Inde, comme il le raconte dans Think Like a Monk.

  • Certains détails biographiques diffèrent d’une plateforme de Jay Shetty à l’autre.

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  • Certaines informations diffèrent d’une biographie officielle à l’autre.

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Même si Jay Shetty a été dévot pendant trois ans, il ne peut pas parler du monachisme avec autorité, souligne Lara Braitstein, professeure à l’École des études religieuses de l’Université McGill.

Dans le contexte d’une démarche religieuse ou spirituelle, trois ans est une période très courte. Au sein d’une communauté monastique, n’importe qui sera encore considéré comme un débutant.

Lara Braitstein, professeure à l’École des études religieuses de l’Université McGill

Cas de plagiat

À l’été 2019, de nombreuses voix ont émis des doutes sur l’authenticité des réflexions que Jay Shetty diffusait à titre d’auteur. Les allégations les plus crédibles sont venues de la chanteuse, comédienne et influenceuse canadienne Nicole Arbour.

De nombreuses citations partagées par le « gourou » dans les réseaux sociaux ou YouTube provenaient en fait de penseurs historiques ou d’autres créateurs de contenu. La Presse a pu valider plusieurs cas de plagiat.

« Une relation sans confiance est comme une voiture sans essence. Tu peux rester dedans autant que tu veux, mais elle n’ira nulle part » (traduction libre), a-t-il écrit dans une publication Instagram supprimée en 2019 où il signait Jay Shetty. La citation, qui circulait depuis plusieurs années, est souvent attribuée au producteur Michael J. Hebert.

Voyez la vidéo de Nicole Arbour (en anglais)

Deux jours après la sortie de Mme Arbour, l’influenceur a supprimé 113 publications Instagram, nous a confirmé le directeur général de Social Blade, site américain d’analyse des réseaux sociaux.

« Je suis reconnaissant pour cette leçon », a réagi Jay Shetty au quotidien néerlandais de Volkskrant en janvier 2021. « J’aime partager la sagesse des autres et leur donner le crédit qui convient, mais je ne publie pas tout moi-même. J’ai donc examiné cela de manière critique avec mon équipe et j’en ai tiré des leçons. »

Depuis, M. Shetty crédite la plupart des pensées qu’il publie ; celles qu’il signe se sont nettement raréfiées.

En août dernier, une psychothérapeute britannique a accusé Jay Shetty d’avoir plagié ses conseils pour le compte de la populaire application de méditation Calm.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE SEERUT K. CHAWLA

Steve Olsher, rédacteur en chef de Podcast Magazine, a quant à lui expliqué avoir refusé de mettre Jay Shetty en couverture « en raison de problèmes de plagiat ».

Que des idées se ressemblent, que des textes se ressemblent, c’est très possible, indique la psychologue et conférencière Geneviève Beaulieu-Pelletier. « Par contre, quand on voit que ça se répète, c’est très questionnant. Est-ce que la personne est capable de générer ses propres idées ? »

En échange de 400 $ US, Jay Shetty offre une formation en ligne sur la croissance dans les réseaux sociaux. Il fait miroiter un salaire mensuel de 4000 $ US contre cinq heures de travail par semaine. Le plus important, selon l’influenceur ? « Sachez que si votre travail est authentique et puissant, vous deviendrez viral. »

Un recrutement permissif

« Suis-je prêt à devenir un coach professionnel ? » Voilà la question de départ d’un quiz mis en évidence sur les plateformes de Jay Shetty, qui offre un programme de certification.

Aux fins de ce reportage, nous avons répondu avec le plus de mauvaise foi possible aux 40 questions. « J’ai une bonne intuition ? » Non. « Je suis une personne responsable ? » Non. « Je prends des décisions selon mes valeurs ? » Non. « J’apprends dans mes erreurs ? » Non. Etc.

Un rapport reçu par courriel nous a attribué une note de 41 %. Malgré certaines conclusions défavorables, le dernier paragraphe permet à l’auteur de ces lignes d’espérer : « Vos résultats démontrent que vous avez de grandes chances de faire un excellent candidat. »

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Il s’agira ensuite de planifier un appel et de payer 6480 $ US pour suivre une formation en ligne de 120 heures et recevoir la certification Jay Shetty, revendiquée par quelque 2000 coachs partout dans le monde.

Austérité relative

En quittant ses études en gestion pour le monachisme, Jay Shetty, explique son équipe, « voulait désormais une vie de service, d’impact et de passion plutôt que d’argent, de gloire et de pouvoir ».

PHOTO TIRÉE DU SITE REALTOR.COM

Maison de Jay Shetty à Los Angeles

L’an dernier, Jay Shetty a acheté la maison de l’acteur Balthazar Getty à Hollywood Hills pour 8,4 millions US, rapportait le site de nouvelles immobilières Dirt.com.

Ce mercredi, la présence de Jay Shetty à Montréal coûtera de 100 000 à 200 000 $, selon les tarifs affichés par son agence, Chartwell Speakers.

C2 n’a pas voulu dévoiler la somme déboursée pour sa présence. « Les cachets donnés aux conférenciers sont confidentiels afin de respecter les clauses contractuelles », explique Patricia Larivière, directrice des relations publiques de C2.

Pas une profession reconnue

Sans vouloir discréditer tous les coachs, la Dre Beaulieu-Pelletier souligne que la pandémie et la pénurie de ressources psychologiques ont constitué un appât lucratif pour les acteurs de l’industrie de la croissance personnelle.

« Le coaching n’est pas une profession reconnue ou contrôlée, rappelle la psychologue. N’importe qui peut s’approprier ce titre-là. Il n’y a pas de garantie ni de protection du public. Il faut se fier au parcours et aux formations du coach, et non à sa popularité. »

Jay Shetty n’avait pas répondu à nos demandes d’entrevue au moment de publier.

« Nous avons reçu une tonne de commentaires positifs suite à l’annonce de la présence de Jay Shetty à titre de conférencier pour cette édition », a simplement commenté la porte-parole de C2 par courriel. « Les participants sont enthousiastes d’assister à sa prestation. »

Avec Frédérik-Xavier Duhamel, La Presse

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  • 13,2 milliards US
    Estimation de la valeur de l’industrie du développement personnel aux États-Unis en 2022
    Source : Market Research