Le drame survenu le soir de l’Halloween à Québec a relancé le débat sur l’accès aux soins en santé mentale. Au cours des trois prochains jours, nos journalistes vous racontent les tragédies que vivent les patients et leurs familles, qui tournent souvent en rond pendant des années avant d’accéder à des soins.

Automutilation, contentions quotidiennes et crises violentes : une fillette de la région de Saint-Jérôme hébergée par la DPJ en raison de graves troubles de comportement a dû attendre plus de deux ans avant d’être évaluée par un psychiatre, malgré une ordonnance de justice.

Choqué, le tribunal de la jeunesse a ouvert la porte à la consultation de médecins du privé pour les enfants sous la responsabilité de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) si le réseau public n’est pas à la hauteur.

Cassandre* avait seulement 7 ans lorsqu’un juge a exceptionnellement autorisé son placement dans un centre de services sociaux des Laurentides en raison de la lourdeur de ses problèmes. Elle entrait dans des crises incontrôlables, s’étouffait volontairement, frappait et mordait des adultes, par exemple. Un diagnostic devait toutefois être obtenu rapidement afin d’éviter qu’elle ne s’éternise dans cette installation sans figure parentale à un moment critique de son développement.

Mais il s’est finalement écoulé « un peu plus de deux ans » avant que l’ordonnance d’évaluation par un pédopsychiatre ne soit respectée, a déploré le juge Pierre Hamel, dans une décision de la fin du mois d’octobre, en concluant que la DPJ avait violé les droits de l’enfant.

« De tels délais sont tout à fait inacceptables et, vu la condition de cette enfant, ils sont d’autant plus déplorables, a ajouté le magistrat. En août 2018, [Cassandre] venait tout juste d’avoir 7 ans. Elle a aujourd’hui un peu plus de 9 ans. Une telle période est très longue si l’on considère son jeune âge. »

Il apparaît clairement que la Directrice et le Centre jeunesse ont failli à leur devoir de fournir à cette enfant un soin de santé qu’elle était en droit de recevoir dans un délai raisonnable.

Extrait de la décision rendue par le juge Pierre Hamel

Dans l’évaluation que la DPJ a finalement reçue en septembre dernier, Cassandre a de multiples diagnostics : trouble du déficit de l’attention, trouble de l’attachement, trouble développemental et difficultés d’apprentissage. Il est aussi possible qu’elle souffre du syndrome de Gilles de la Tourette.

Mais jusque-là, les services sociaux avaient avancé dans le noir quant au mal qui faisait souffrir Cassandre. Encore l’été dernier, sur une période de 40 jours, « 103 mesures contraignantes sont employées envers l’enfant, soit 31 contentions physiques et 72 isolements sécuritaires » parce que son comportement demeure incontrôlé.

« Ça nous bouleverse »

En prenant connaissance de son dossier, l’avocate nommée pour représenter les intérêts de la fillette a été surprise. C’est elle qui a demandé au juge Hamel de déclarer que les droits de Cassandre avaient été violés.

« C’est le genre de cas qui ne devrait pas arriver. Ç’a un impact et ça nous bouleverse, a expliqué MMikhaelle Bernard. C’est très grave, dans le sens où si on avait apporté les services avant, dans les temps, peut-être qu’on n’en serait pas arrivés jusque-là. C’est vraiment dommage et inacceptable. »

La décision du juge Hamel relate que Cassandre a été placée sur la liste d’attente pour une consultation en pédopsychiatrie après l’ordonnance de 2018. Des tentatives de la DPJ pour faire mettre son dossier en priorité, étant donné sa gravité, ont échoué. Son dossier est finalement arrivé entre les mains d’un pédopsychiatre à l’été 2019, mais celui-ci a préféré que l’enfant soit d’abord évaluée par un psychologue. Cassandre a ainsi « perdu sa place pour le service pédopsychiatrique et une nouvelle demande de service a dû être logée », a déploré le juge Hamel. Elle n’a été vue qu’en juin dernier, avec un rapport trois mois plus tard.

« J’étais fâchée. Peut-être que ça aurait eu un impact pour le retour de [Cassandre] à la maison. Là, on est deux ans plus tard… », a déploré la mère de la fillette, par l’entremise de son avocat, MJustin Chagnon.

« Le fait que les délais se sont accumulés pour avoir accès au spécialiste, ç’a peut-être occasionné une complication au niveau de la possibilité d’un retour au niveau familial. C’est cet aspect-là qui déçoit le plus ma cliente », a ajouté MChagnon, qui croit que les enfants « écopent » pour le manque criant d’accès aux services dans les Laurentides.

Ça faisait longtemps qu’on demandait une évaluation et on ne l’obtenait pas.

MJustin Chagnon, avocat de la mère de Cassandre

En plus de ses problèmes de comportement, Cassandre a été prise en charge par la DPJ parce qu’elle vivait de la négligence éducative à la maison et faisait les frais d’un conflit parental.

« Beaucoup trop long »

Cassandre réside toujours dans un centre de réadaptation du Centre jeunesse des Laurentides. Elle est sous la responsabilité de la DPJ locale, dirigée par Myriam Briand. Devant la justice, sa représentante n’a pas contesté que les droits de la fillette avaient été lésés par l’attente.

« J’ai été mise au fait de cette situation vraiment trop tard, au cours de l’été [dernier] », a-t-elle affirmé. Mme Briand explique qu’une telle situation aurait dû être signalée plus rapidement aux niveaux supérieurs de l’organisation : lorsqu’un cadre intervient, on parvient généralement à convaincre un médecin spécialiste de mettre en priorité un enfant qui fait l’objet d’une ordonnance de justice.

Entre-temps « l’enfant n’est pas laissé à lui-même, mais une évaluation nous aiguille généralement sur le bon soin, le bon service à donner à l’enfant », a-t-elle dit. « Deux ans, c’est beaucoup trop long. Je ne saurais l’expliquer. »

Myriam Briand a affirmé que des instructions plus claires seront données pour que chaque ordonnance non respectée soit rapidement signalée à un cadre. Elle n’entend toutefois pas sévir sur le plan disciplinaire dans ce dossier. « C’est à bien plus grande échelle qu’un employé en particulier : c’est l’organisation qui doit respecter une ordonnance comme celle-ci », a-t-elle dit.

* Prénom fictif