Des enseignants en naturopathie ont été faussement dépeints comme médecins ou comme ex-directeur d'un service d'oncologie, a découvert La Presse en consultant les sites de leur école. Ils ont aussi donné des conférences sur le traitement du cancer ou de l'alzheimer.

D'après nos recherches, le tiers des 13 « professeurs de sciences bio-médicales » décrits sur le site de l'École d'enseignement supérieur de naturopathie du Québec (EESNQ) - l'une des plus anciennes et des plus connues - s'y sont vus présentés de façon trompeuse ou contrevenant à la Loi médicale.

La biographie d'un professeur de « pathologie » indiquait qu'il avait dirigé le service d'oncologie de l'hôpital Paul-Brousse, près de Paris, alors qu'il y avait effectué un simple échange d'un mois à l'époque où il exerçait la médecine en Algérie, il y a plus de 10 ans.

La biographie d'un professeur de « pharmacologie » affirmait par ailleurs que ce dernier avait « fait reconnaître entièrement » un diplôme de docteur en médecine obtenu en France. Le Montréalais - qui a quitté l'EESNQ, mais s'affiche maintenant comme directeur pédagogique d'une école d'homéopathie - se dit aussi « Dr » sur son compte LinkedIn.

« Aucune de ces deux personnes n'a jamais fait reconnaître de diplôme au Québec ni détenu de permis d'exercice. »

- Le Dr Charles Bernard, président du Collège des médecins (CMQ)

Dans un tel contexte, il est illégal d'associer les lettres « MD » à leurs noms, comme c'est le cas sur le site de l'école, précise-t-il.

Les deux hommes ont aussi été identifiés comme « MD » lors de conférences, constate-t-on sur le site d'une école de massothérapie ou sur leurs comptes Facebook et LinkedIn. L'un avait été invité à parler de « la stratégie thérapeutique à adopter face [au cancer du sein] ». Et le second, du traitement des « pathologies du sein » et de « la maladie d'Alzheimer ».

À QUI LA FAUTE ?

« Ça me semble délicat, si je puis dire », admet le directeur actuel de l'EESNQ, Dominic Touboul, qui a rapidement fait retirer les mentions problématiques, que La Presse avait repérées dans quatre biographies différentes (dont les deux biographies décrites ci-dessus) et dans certains intitulés du site.

Lorsqu'il a pris les rênes de l'école en août 2016, M. Touboul avait déjà grandement modifié le site web de l'établissement, entre autres pour préciser que le naturopathe n'est pas médecin. Il a aussi piloté une refonte des programmes (qui peuvent compter 1500 heures de cours, dont certaines portant sur les lois), afin de « rehausser la qualité de l'enseignement en naturopathie au Québec », dit-il.

« Peut-être qu'on a moins regardé certaines pages, mais les pages essentielles, les plus visibles, sont bien en phase avec les exigences du Collège des médecins du Québec. »

- Dominic Touboul, directeur actuel de l'EESNQ

L'enseignant erronément présenté comme chef d'oncologie n'a jamais fait de présentations mensongères ; il est « extrêmement sérieux, humble et honnête » et ne doit pas porter le blâme, prend soin d'ajouter son directeur (voir les explications de chacun ci-contre).

UNE ASSOCIATION DANS LA TOURMENTE

Chose certaine, la confusion règne au sujet des règles régissant les naturopathes.

Ils peuvent aider leurs clients à rester en santé en améliorant leurs habitudes de vie, trop souvent négligées par la médecine. Mais ils vont trop loin lorsqu'ils prétendent diagnostiquer des maladies et les traiter, prévient le Dr Charles Bernard.

« Le Collège procède à des interventions quotidiennes auprès de naturopathes pour qu'ils corrigent leurs sites ou leurs annonces », rapporte-t-il.

Fait rarissime, une enquête a tout récemment été déclenchée au sujet d'une association - celle des naturopathes agréés du Québec (ou ANAQ) - après la publication d'un billet signé par la journaliste scientifique du magazine L'actualité, il y a deux semaines. Celle-ci y reprochait à l'ANAQ de dire que les naturopathes identifient les « symptômes des maladies ».

« Le directeur des enquêtes a pris ça très au sérieux », affirme le Dr Bernard.

Le site de l'ANAQ est en train d'être revu en profondeur et sera corrigé d'ici lundi, promet en entrevue sa vice-présidente, Chantal Ann Dumas. Le regroupement prépare aussi un document pour aider ses 200 membres à réviser leurs propres sites et outils de marketing, afin qu'ils respectent la loi, dit-elle.

Ces derniers sont toutefois inoffensifs et n'ont jamais envoyé un client à l'hôpital, ajoute Mme Dumas. « Les dérapages surviennent parce que n'importe qui, à l'heure actuelle, peut se dire naturopathe sans avoir fait un minimum de formation, contrairement à nos membres qui étudient quatre ans dans l'une des deux seules écoles qu'on reconnaît [dont l'EESNQ]. »

Injecter des substances, faire des manipulations dangereuses, « c'est quelque chose que nous n'endossons absolument pas, dit-elle. Des membres qui se sont mis à faire de l'irrigation côlonique ou de la psychothérapie ont dû quitter notre association ».

« Nous, on ne touche pas au patient. Ceux qui le font sont ceux qui adhèrent à des associations bidon pour avoir le privilège d'émettre des reçus d'assurances ! »

- Chantal Ann Dumas, vice-présidente de l'ANAQ

Pour l'ANAQ, le public serait mieux servi si le Québec imitait les cinq provinces qui encadrent la naturopathie par une loi. « Avec les 10 minutes qu'ils accordent à chaque patient, dit-elle, peut-être que les médecins pourraient nous laisser faire notre travail. »

L'ANAQ et l'EESNQ disent toutes deux que les irrégularités sur leurs sites s'expliquent en grande partie par le fait qu'ils sont alimentés par des bénévoles.

> Lisez le billet publié sur le site de L'actualité

CHACUN BLÂME L'AUTRE

LES EXPLICATIONS DU DIRECTEUR ACTUEL DE L'EESNQ

« Il semblerait que l'erreur vienne de nos services..., nous a écrit Dominic Touboul après avoir vérifié le curriculum vitae du chargé de cours faussement présenté comme chef d'un service d'oncologie. Erreur intentionnelle ou maladresse : je ne saurais vous aiguiller vers la réalité, n'ayant pris mes fonctions qu'en 2016. Je peux néanmoins vous assurer que mon équipe actuelle est vraiment honnête, responsable, n'améliore pas la réalité pour convaincre. »

LES EXPLICATIONS DE L'ANCIEN DIRECTEUR 

Jean-Claude Magny, qui a dirigé l'EESNQ de 1991 à août 2016, soutient qu'il n'a pas déterminé le contenu des biographies, que les enseignants étaient invités à les corriger, qu'il ne les a jamais affichées sur le site lorsqu'il était directeur et qu'elles devaient plutôt appuyer une demande d'accréditation. Le site Wayback Machine, qui garde toutes les pages web en mémoire, permet toutefois de constater qu'elles avaient été mises en ligne au moins un an avant son départ. « Moi, je ne voulais pas mettre de "MD" après son nom et ça a été [sa] requête », dit-il par ailleurs au sujet d'un ex-enseignant qui n'a pas rappelé La Presse.

LES EXPLICATIONS D'UN ENSEIGNANT DE PATHOLOGIE

« J'ignorais que je ne pouvais pas utiliser les lettres "MD", puisque je suis médecin de formation et que j'ai eu mon diplôme et ma spécialité en Algérie, dit l'enseignant Abdelkader Belgacem en entrevue. Je n'exerce pas. Je fais juste l'enseignement de la pathologie comme médecin. [Les étudiants de l'école] font une formation de naturopathes, mais vu l'engouement des gens par rapport à cette spécialité, ils doivent avoir une formation scientifique. »

LES EXPLICATIONS D'UN ENSEIGNANT D'« INTRODUCTION AU JEÛNE »

L'homéopathe André Saine est présenté comme « Dr » sur plusieurs sites (dont celui de l'EESNQ jusqu'à avant-hier) et son nom y est aussi associé aux lettres « CD », réservées aux chiropraticiens inscrits au tableau de l'Ordre. « Ce n'est pas moi qui ai fait ça, dit-il. Ce sont les autres qui les utilisent, ces lettres-là, pour moi quand ils lisent mon curriculum vitae et voient que j'ai gradué d'une école de chiropratique en bonne et due forme. Ils ne savent pas si je suis licencié ou non, ils le mettent automatiquement. »