Dès le milieu des années 90, le conseil exécutif et le conseil d'administration de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) ont été informés à de nombreuses reprises de l'attitude de Charles Dutoit à l'endroit des musiciens et du personnel de l'orchestre.

« On en a parlé abondamment à l'exécutif. Ils l'ont vu. Ils ont parfois été témoins. Mais à l'époque, on n'était pas conscients de la portée de ces gestes-là », dit une source proche de l'OSM. Et surtout, le conseil d'administration voulait à tout prix éviter que Dutoit quitte l'orchestre.

L'OSM était, dans les années 90 et 2000, dans une situation précaire sur le plan financier. « Pour eux, Dutoit, c'était la fin du monde. L'OSM était le seul porte-étendard de Montréal. Ça avait une grande valeur pour tout le monde. »

La directrice générale de l'Orchestre symphonique de Montréal, Madeleine Careau, était « bien consciente » du climat de tension qui régnait entre les musiciens et Charles Dutoit lorsqu'elle est arrivée en poste en 2000, reconnaît l'OSM.

La direction de l'OSM, qui a refusé d'accorder une entrevue à La Presse, a aussi confirmé par écrit avoir reçu la lettre envoyée par l'ex-président de la Guilde des musiciens Émile Subirana, à l'automne 2001. Le document dénonçait la conduite « inacceptable » et « intolérable » de M. Dutoit envers l'orchestre.

La missive a « renforcé les convictions » de la directrice générale « qu'il fallait lancer les négociations pour le renouvellement de l'entente collective le plus rapidement possible », écrit l'OSM. Mme Careau a ainsi « pris l'initiative » de faire la proposition au syndicat des musiciens, « de façon à dissiper le climat de tension qui régnait à ce moment-là », en décembre 2001.

L'OSM ne précise pas pourquoi la directrice générale n'a pas répondu à la lettre de M. Subirana. L'organisation n'a pas non plus souhaité commenter les faits allégués par les musiciens interrogés par La Presse ni les événements avant l'arrivée de la présente direction, dont le dépôt de la pétition en 1997. Mme Careau confirme néanmoins avoir pris connaissance de la pétition « pour la première fois » en 2016 « dans le contexte du retour de Charles Dutoit ».

L'OSM soutient par ailleurs qu'un « certain nombre de musiciens étaient réticents » à rejouer sous la direction du chef d'orchestre et que la direction « a exprimé clairement qu'elle respecterait le choix de ceux qui s'abstiendraient, précisant qu'ils toucheraient quand même leurs honoraires ».

UNE NOTION DE HARCÈLEMENT « PAS AUSSI DÉFINIE »

L'ex-ministre Michelle Courchesne, qui a occupé la direction générale de l'OSM de 1995 à 1999, a aussi décliné nos demandes d'entrevue. Mme Courchesne, par l'entremise de l'OSM, a fait parvenir à La Presse une déclaration officielle assurant que la pétition de 1997 « a été prise au sérieux et traitée en fonction des obligations et des paramètres de l'époque ».

Mme Courchesne écrit que la « notion de harcèlement psychologique » n'était pas « à l'époque aussi définie et précise qu'elle l'est aujourd'hui ». L'OSM et Mme Courchesne soulignent que des dispositions relatives au harcèlement psychologique au travail ont été ajoutées en 2004 dans la Loi sur les normes du travail. L'entente collective des musiciens les intègre depuis 2005.

Pour sa part, Charles Dutoit n'a pas donné suite aux courriels envoyés par La Presse.

ENQUÊTE INDÉPENDANTE

L'Orchestre symphonique de Montréal n'accorde aucune entrevue depuis le déclenchement, en décembre, d'une enquête externe indépendante relativement au harcèlement sexuel. Cette enquête a été déclenchée dans la foulée de la publication par l'agence Associated Press du témoignage de dix femmes, dont deux Montréalaises, qui allèguent avoir été victimes d'inconduite sexuelle de la part de M. Dutoit.

Le chef d'orchestre a nié en bloc ces allégations qui n'ont pas été prouvées en cour. Huit orchestres ont rompu depuis décembre leurs liens avec M. Dutoit. D'une décision commune, il s'est aussi retiré plus tôt que prévu de ses fonctions de directeur artistique et chef d'orchestre principal du Royal Philharmonic Orchestra de Londres, en janvier.