L'automne précédant le départ du maestro, le comité des musiciens de l'OSM demande à l'ex-président de la Guilde des musiciens du Québec Émile Subirana de s'en mêler. « Les musiciens voulaient que la Guilde fasse quelque chose pour mettre fin au harcèlement et changer le comportement de Dutoit », raconte Émile Subirana, rencontré par La Presse il y a quelques jours.

« Les musiciens, en majorité, étaient d'accord pour qu'on fasse quelque chose », poursuit celui qui a été président de la Guilde de 1997 à 2003. M. Subirana écrit alors une lettre à Madeleine Careau, chef de la direction de l'OSM depuis 2000. La lettre, que La Presse a obtenue, remet en question « la conduite » de Charles Dutoit, « qui a pris une tournure aussi inacceptable qu'intolérable ». On y affirme que les musiciens « éprouvent un stress important ».

Émile Subirana réclame sans délai une rencontre avec Mme Careau. Mais il assure que sa missive est demeurée lettre morte.

« Ces musiciens-là avaient tellement peur, ils étaient tellement sous l'influence néfaste de Dutoit qu'ils avaient peur d'agir. »

- Émile Subirana

M. Subirana rend l'affaire publique le 8 avril 2002, lorsqu'il apprend que deux musiciens de l'OSM sont visés par des procédures de congédiement. Deux jours plus tard, Charles Dutoit, qui allait célébrer cette même année ses 25 ans à la barre de l'orchestre, envoie sa lettre de démission des États-Unis, citant « les propos hostiles » de M. Subirana.

L'histoire fait l'effet d'une bombe. L'ex-premier ministre du Québec Lucien Bouchard (qui deviendra président du conseil d'administration de l'OSM en 2004) réclame même, dans une lettre publiée dans La Presse, que Charles Dutoit soit réintégré. Certains musiciens déplorent également la sortie médiatique fracassante d'Émile Subirana.

« D'autres pensaient peut-être qu'on exagérait, que ce n'était pas la bonne façon de faire. Mais on a essayé d'autres manières et il y avait deux musiciens qui allaient payer de leur carrière. Pour moi, c'était le temps de rendre ça public pour qu'on puisse en discuter, justifie encore aujourd'hui M. Subirana. En un sens, ça a réglé le problème. C'est dommage que ça se soit déroulé ainsi. »

RETOUR CONTROVERSÉ EN 2016

En 2016, le retour de Charles Dutoit à Montréal fait la manchette. Le chef d'orchestre suisse dirigera deux concerts de l'Orchestre symphonique de Montréal à l'initiative du festival Montréal en lumière. Si, publiquement, l'on salue ce retour, dans les coulisses, il suscite un malaise chez certains musiciens.

La direction exprime clairement qu'elle respectera le choix de ceux qui décideront de ne pas jouer et qu'ils pourront toucher leur salaire malgré leur absence. Ils seront finalement six à s'abstenir, dont Marc Béliveau, Jean Fortin, Jean-Luc Gagnon et Myriam Pellerin. Violoniste à l'OSM depuis 1982, cette dernière explique avoir choisi de ne pas jouer par solidarité avec les musiciens et musiciennes qui s'étaient plaints de harcèlement de la part de Charles Dutoit. « Il s'acharnait sur des musiciens en répétition. Il leur disait qu'ils n'étaient pas bons et il nous demandait de recommencer et recommencer à cause d'eux. Il leur disait que nos enregistrements n'étaient pas bons à cause d'eux. Quand ça fait six mois ou un an qu'il s'acharne comme ça sur une personne devant tout l'orchestre, tout le temps, et bien la personne devient dépressive, insécure et incapable de jouer », lance-t-elle.

À LA DÉFENSE DE DUTOIT

Si les dernières années de Charles Dutoit aux commandes de l'OSM ont été particulièrement éprouvantes pour des musiciens, certains d'entre eux, interrogés par La Presse, ont aussi tenu à souligner l'apport du directeur musical, qui a contribué à placer l'orchestre montréalais sur la carte du monde en le faisait jouer partout sur la planète.

« Les colères du maestro ne m'ont jamais dérangé », a assuré l'altiste Charles Meinen.

« Ce n'est pas bien, ce qu'il a fait subir à quelques personnes, mais pour bien des musiciens, ses colères ne nous dérangeaient pas. »

L'Orchestre symphonique de Montréal a fait un grand nombre de tournées nationales et internationales sous la direction de Charles Dutoit, dont sept en Europe, autant en Asie et quatre en Amérique du Sud. C'est aussi avec le maestro suisse que l'Orchestre a réalisé plus de 75 enregistrements sous l'étiquette Decca/London. Ces disques ont remporté plus de 40 grands prix.

Même si Louis Charbonneau a donné sa démission en partie en raison du comportement du chef d'orchestre, il reconnaît qu'il avait aussi de bons côtés. « Dutoit est arrivé ici avec un projet de faire des disques, des tournées, de faire ceci, de faire cela. Je dois dire qu'il a réalisé ses promesses et ses projets », a précisé le musicien.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Émile Subirana