Dans le dernier débat des chefs, Philippe Couillard et François Legault ont repris le combat là où ils l'avaient laissé la semaine dernière sur le thème de l'identité. Le chef caquiste a fait un mea culpa, reconnaissant qu'il a commis des « erreurs » dans la présentation de son plan en immigration. Or, il a refusé de dire qu'il n'y aurait aucune expulsion d'immigrants sous un gouvernement caquiste.

De son côté, Jean-François Lisée s'en est pris à la première occasion - quitte à être hors sujet - à Manon Massé, qui est parvenue à tirer son épingle du jeu jeudi soir.

Le Face-à-Face diffusé à TVA a été le théâtre d'un nouvel affrontement au sujet de l'immigration. L'animateur Pierre Bruneau a interpellé le chef caquiste sur son plan en la matière avec une remarque assassine : « Personne ne s'y retrouve. »

« Je sais que M. Couillard essaie de faire peur au monde avec l'immigration », a répondu M. Legault, affirmant que la position de la Coalition avenir Québec (CAQ) est « pourtant assez simple ».

« On va exiger deux choses : un test de français et un test de valeurs. Il n'est pas question d'expulser. [...] Ce qu'on dit, les seuls qu'on veut expulser, c'est le Parti libéral », a-t-il lancé.

« Il n'est pas question d'expulser une personne. On dit que nous n'allons pas les accepter. » - François Legault

Le chef libéral lui a reproché de changer de discours par rapport aux propos qu'il tenait au premier débat. « Je vous cite en toutes lettres : "On veut expulser des gens." Alors, ne faites pas croire aux Québécois que vous avez soudainement changé d'idée là-dessus ! »

« JE NE SUIS PAS PARFAIT »

C'est alors que François Legault a fait un mea culpa au sujet des réponses erronées qu'il a données au sujet du système d'immigration dans les derniers jours. « Je ne suis pas parfait, ça m'arrive de faire des erreurs quand j'ai répondu à certaines questions sur l'immigration. J'écoute les gens et je corrige mes erreurs. »

Puis, il a fait une diatribe - l'une des plus longues de la soirée - contre M. Couillard, qui n'a pas cherché à l'interrompre. « Vous, ce que vous aimez faire, c'est donner des leçons. Vous devriez moins donner de leçons et écouter la population », qui « n'aime pas Gaétan Barrette » et « veut plus d'argent dans ses poches ». « Vous essayez de faire de l'immigration la question de l'urne parce que vous êtes habitué de faire ça avec la souveraineté. Les Québécois n'embarqueront pas là-dedans », a-t-il poursuivi.

Lors de son point de presse à la fin du débat, François Legault a refusé à maintes reprises de dire qu'il n'y aurait aucune expulsion sous un gouvernement caquiste. Le chef a laissé entendre qu'il n'avait pas assez parlé jusqu'ici de son désir de bien intégrer les nouveaux arrivants. Il veut « tout faire » pour atteindre cet objectif. Il ne paraît donc pas avoir changé de plan sur le fond.

BRAS DE FER SUR LES SIGNES RELIGIEUX

MM. Legault et Couillard ont eu maille à partir à une autre occasion sur le thème de l'identité. François Legault a rappelé sa position en faveur de l'interdiction du port de signes religieux chez les agents de l'État ayant un pouvoir de coercition (policiers, procureurs, juges et gardiens de prison). « Pourquoi, M. Couillard, vous voulez permettre à une policière de porter le hijab ? », a-t-il lancé, estimant que le chef libéral est « contre la majorité des Québécois » dans ce dossier.

« On ne dispose pas » des droits des minorités sur la base de sondages, a répliqué M. Couillard. Il a accusé son adversaire de s'exprimer dans ce dossier « avec un mépris à peine voilé ». Il a défendu sa loi, contestée devant les tribunaux, prévoyant que les services publics doivent être donnés et reçus à « visage découvert ».

Les deux hommes se sont cherché noise toute la soirée. « Je pense que vous avez beaucoup plus aidé la famille libérale que les familles du Québec », a asséné M. Legault. Pour le chef libéral, son « gouvernement n'a rien à se reprocher sur le plan de l'éthique ».

ATTAQUE-SURPRISE CONTRE MASSÉ

De son côté, le chef péquiste Jean-François Lisée a lancé une attaque-surprise contre la co-porte-parole de Québec solidaire dès les premières minutes du débat. « Il y a beaucoup de gens qui ont dit : "Ne pose pas des questions trop difficiles à Mme Massé." Moi je dis : Ma mère est féministe et elle a toujours demandé à ce qu'on soit traité à égalité », a-t-il déclaré en guise de préambule.

« C'est vrai que vous êtes la co-porte-parole, mais vous n'êtes pas le chef de Québec solidaire. Qui est le chef de Québec solidaire et pourquoi il n'est pas au débat des chefs ? » - Jean-François Lisée

Il ciblait le comité de direction de Québec solidaire, à qui il reproche d'avoir « renié » une entente de convergence des forces souverainistes. « Pourquoi est-ce que personne ne connaît le chef de Québec solidaire ? »

« Nous, on a appris à partager le pouvoir et cette pratique-là, c'est une pratique démocratique nécessaire quand on veut changer le monde », a répliqué Mme Massé.

RAPPEL À L'ORDRE

Jean-François Lisée a cherché à revenir sur le sujet, mais Pierre Bruneau l'a interrompu - comme il l'a fait à quelques reprises durant le débat d'ailleurs. L'animateur l'a rappelé à l'ordre et souligné que le débat portait alors sur... la santé. « Je viens de me faire bouffer du temps en torrieux pour parler de santé ! », a relevé Mme Massé. Elle a rendu la pareille à M. Lisée à quelques occasions : « Sous le gouvernement de Mme Marois, vous le savez, on a été forer à Anticosti. On a donné des millions de dollars pour [la cimenterie de] Port-Daniel. Moi, je veux savoir : est-ce que vous vous êtes levé pour dire que ça n'avait pas de bon sens, ces projets polluants ? » M. Lisée lui a reproché de vouloir retirer le Québec du marché du carbone « comme Doug Ford le fait pour l'Ontario ».

Le sujet des relations Québec-Ottawa a provoqué des flammèches, surtout entre François Legault et Jean-François Lisée. Le chef péquiste a affirmé que le plan de son adversaire pour obtenir plus de pouvoirs est voué à l'échec. À Ottawa, « ils s'en fichent quand il y a des fédéralistes qui sont au pouvoir. Ils n'aiment pas le Québec, ils ne le respectent pas. Et quand les indépendantistes sont au pouvoir, on est craints. » M. Legault lui a répondu en reprenant le slogan péquiste : « Pensez-vous qu'il y a un rapport de force avec le faible appui qu'il y a pour la souveraineté, sérieusement ? »

- Avec la collaboration de Martin Croteau et de Hugo Pilon-Larose, La Presse

Capture d'écran du débat diffusé sur le site de TVA

Philippe Couillard (Parti libéral du Québec), François Legault (Coalition avenir Québec), Jean-François Lisée (Parti québécois) et Manon Massé (Québec solidaire) s'affrontaient jeudi lors du Face-à-Face animé par Pierre Bruneau sur les ondes de TVA.

Réactions d'après débat

PHILIPPE COUILLARD: LA POSITION DE LEGAULT « EST INCOMPRÉHENSIBLE »

Philippe Couillard doute que François Legault comprenne lui-même la position qu'il défend désormais sur l'immigration. « C'est incompréhensible, sa position là-dessus », a-t-il laissé tomber hier en conclusion du débat. Pour le chef libéral, son adversaire caquiste joue à la victime lorsque ce dernier l'accuse d'être un « donneur de leçons ». « J'exprime mes principes et mes valeurs. C'est ça qu'on fait en politique », a affirmé M. Couillard. Attaqué pendant le débat sur les conséquences de la rigueur budgétaire sur les Québécois, il a répliqué qu'il avait pris les décisions nécessaires. « Il fallait la réaliser [la rigueur budgétaire] parce que sinon, on se condamnait à faire couler nos services publics et à être tout le temps sur la carte de crédit pour nos enfants », a-t-il conclu.

FRANÇOIS LEGAULT: « JE N'AI PAS ASSEZ PARLÉ D'INTÉGRATION »

François Legault dit avoir fait un mea culpa dans l'espoir de communiquer aux Québécois l'aspect positif de sa politique en matière d'immigration. « Je n'ai pas assez parlé de l'importance que je veux accorder à l'intégration », a-t-il expliqué au terme des échanges. « Je veux qu'ils apprennent le français, je veux qu'ils apprennent nos valeurs, je veux qu'ils se trouvent un emploi, je veux qu'ils soient bien au Québec », a-t-il ajouté. Mais malgré des questions répétées des journalistes, il n'a pas nié qu'un gouvernement caquiste pourrait expulser des immigrants qui échoueraient à un examen de français ou à un « test des valeurs ».

JEAN-FRANÇOIS LISÉE: QUI DIRIGE VRAIMENT QUÉBEC SOLIDAIRE ?

Maintenant que Québec solidaire est un « joueur important » dans la campagne électorale, il faut s'interroger sur la manière dont ce parti fonctionne, a affirmé Jean-François Lisée au terme de la soirée. Le chef du Parti québécois a causé la surprise en demandant à Manon Massé d'expliquer qui est le véritable chef de Québec solidaire. Mme Massé et Gabriel Nadeau-Dubois sont en effet des porte-parole du parti. « Les gens détestent les cachotteries, les gens qui tirent les ficelles dans l'ombre, a expliqué M. Lisée. Et là, à mesure qu'on s'approche d'une popularité certaine de Québec solidaire, des questions doivent être posées. »

MANON MASSÉ: « IL N'Y A PAS DE CHEF À QUÉBEC SOLIDAIRE »

« Je ne peux pas croire ! », s'est écriée Manon Massé, hier. « Ça fait 12 ans que je suis dans ce parti-là, ça fait 12 ans que nous le répétons constamment : il n'y a pas de chef à Québec solidaire », a-t-elle martelé. Questionnée au début du débat hier par Jean-François Lisée, qui lui demandait qui était le chef de sa formation politique, Manon Massé s'est dite renversée par ces interrogations. « Il y a deux co-porte-parole qui partagent le pouvoir, on est ben fiers de ça », a dit Mme Massé en fin de soirée. Si Québec solidaire prenait le pouvoir, c'est Manon Massé qui assumerait le rôle de première ministre, mais celle-ci déléguerait aussi des pouvoirs à Gabriel Nadeau-Dubois, son co-porte-parole, qui deviendrait vice-premier ministre et responsable de l'agenda législatif.

- Réactions recueillies par Hugo Pilon-Larose et Martin Croteau, La Presse