Au cours d'un autre point de presse monopolisé par ses propositions sur l'immigration, le chef caquiste François Legault a déclaré que, contrairement aux journalistes, les « personnes normales » lui parlent plus de Gaétan Barrette que de cet enjeu.

« Je pense que les gens tous les jours parlent beaucoup plus de l'argent qu'ils ont dans leur poche et à propos de Gaétan Barrette qu'ils ne parlent d'immigration. Honnêtement. Vous parlez beaucoup d'immigration, mais pas les personnes normales », a-t-il répondu en anglais à la question d'une journaliste anglophone, samedi, de passage à Cap-Santé, dans Portneuf.

M. Legault avait déjà paru agacé, la veille, en suggérant que les questions d'une journaliste au sujet de l'immigration étaient téléguidées de la caravane d'un autre chef. Ce jour-là, il assouplissait sa position en déclarant que des immigrants démontrant de la bonne foi dans l'apprentissage de la langue pourraient rester au Québec même s'ils échouaient le test de français qu'il veut leur imposer trois ans après leur arrivée.

François Legault a pourtant suggéré lui-même aux journalistes une question à poser au chef libéral, samedi. « Si j'étais journaliste avec M. Couillard, chaque fois je dirais : "oui mais M. Couillard, comment ça se fait que vous en perdez 26 % [immigrants qui viennent au Québec et qui finissent par partir] alors que vous dites que c'est la solution à la pénurie de main-d'oeuvre ?" » a-t-il dit. La situation n'est pas très différente dans les autres provinces canadiennes, puisque la moyenne s'élève à 24 %.

M. Legault ne croit pas que la « question de l'urne », l'enjeu central de l'élection, porte sur l'immigration.

« Il y a plusieurs questions de l'urne, a-t-il plaidé. Je sais que M. Couillard aimerait revenir avec la souveraineté du Québec, les valeurs, le français. Il y a plusieurs questions de l'urne. Il y a l'éducation, il y a l'économie, il y a la santé, il y a aussi défendre notre identité. »

Malgré tout, il a lui-même lancé une attaque contre Philippe Couillard précisément sur le thème de l'immigration. Il l'accuse de laisser entendre que le Québec devrait avoir l'aval du fédéral pour réduire le nombre de nouveaux arrivants accueillis chaque année comme veut le faire la CAQ.

Toute cette histoire a débuté avec un article publié dans Le Devoir intitulé « Ottawa aura le dernier mot sur l'immigration ». Ce texte repose sur l'avis de « sources gouvernementales ». On y rappelle que, selon le libellé de l'Accord Canada-Québec sur l'immigration, « le Canada établit chaque année les niveaux d'immigration pour l'ensemble du pays, en prenant en considération l'avis du Québec sur le nombre d'immigrants que ce dernier désire recevoir ».

En conférence de presse à Québec, Philippe Couillard a affirmé que l'entente qui permet au gouvernement provincial de choisir ses immigrants économiques laisse à Ottawa le soin de fixer les seuils.

« C'est ce qui est inscrit dans l'entente, [mais] ce que ça veut dire, en fait, c'est qu'il faut que ça soit fait en collaboration. Jamais jusqu'à maintenant le fédéral n'a émis d'autres directives que celles choisies par Québec », a dit le chef libéral.  

Souhaiterait-il rapatrier à Québec le pouvoir d'encadrer entièrement le seuil d'immigrants à accueillir chaque année ? « Le débat ne se pose pour que ceux qui veulent le baisser. (...) On a une entente sur l'immigration qui est très bonne. Je pense que l'endroit où il faut avoir des discussions avec le gouvernement fédéral, c'est sur le programme de travailleurs temporaires », a affirmé le premier ministre sortant. 

François Legaut s'est montré catastrophé par ces propos. « Je n'en reviens pas. Sincèrement, je suis sous le choc d'entendre Philippe Couillard. C'est la première fois que j'entends un premier ministre du Québec dire qu'il faudrait avoir l'accord du gouvernement fédéral pour réduire le nombre d'immigrants au Québec. C'est quand même incroyable d'entendre ça de la part de celui qui est supposé défendre la nation québécoise, défendre le français, défendre nos valeurs, défendre ce qu'on est. Dire que c'est à Ottawa de dire le nombre d'immigrants au Québec qu'on prend... Selon moi, c'est un moment fort de la campagne électorale qu'on vit. »

François Legault admet cependant que s'il est élu, il y aurait « peut-être une négociation à avoir » avec Ottawa au sujet d'un nouveau « certificat temporaire » qu'un gouvernement caquiste voudrait créer et remettre aux nouveaux arrivants. Rappelons que ceux-ci n'auraient leur certificat de sélection du Québec que s'ils réussissaient un « test de base » de français et un « test de connaissance » des valeurs trois ans après leur arrivée.

M. Legault reconnaît également qu'il devrait négocier avec Ottawa pour réduire de 20 % le nombre d'immigrants accueillis en vertu du programme fédéral de réunification familiale.

Le chef caquiste considère qu'Ottawa n'aurait d'autres choix que d'accepter ses demandes s'il obtient un « mandat clair » des Québécois. Comme il y aura des élections fédérales en 2019, « Justin Trudeau devra tenir compte de ce que les Québécois souhaitent », selon lui.

François Legault croit qu'il pourrait abaisser le seuil d'immigration de 52 000 à 40 000 nouveaux arrivants par année même s'il se retrouvait à la tête d'un gouvernement minoritaire. « M. Lisée, il est rendu qu'il dit qu'il veut entre 35 000 et 40 000 immigrants. On aurait peut-être des appuis de ce côté-là », a-t-il fait valoir.

François Legault a paru hésitant lorsqu'il a été questionné sur le processus menant à l'obtention de la citoyenneté canadienne. Il a entre autres répondu qu'un résident permanent doit avoir été « quelques mois » au pays pour devenir citoyen. C'est en fait au moins trois ans au cours des cinq ans qui précèdent la demande.

- Avec la collaboration de Hugo Pilon-Larose