«Il y aura des conséquences politiques sérieuses» si Ottawa signe une entente avec les États-Unis prévoyant des concessions sur la gestion de l'offre en agriculture, prévient Philippe Couillard. Jusqu'où serait-il prêt à aller? «Just watch me!»

Le premier ministre a ainsi repris, mercredi, la célèbre déclaration de Pierre Elliott Trudeau lors de la crise d'octobre 70 au Québec, quelques jours avant d'adopter la Loi sur les mesures de guerre. C'est selon lui important d' «envoyer un signal clair» pour que tous soient «bien prévenus» qu'une telle entente serait « politiquement un désastre», comme il l'a dit en anglais.

Sa sortie survient au moment où le Globe and Mail rapporte que le Canada serait prêt à faire des concessions sur la gestion de l'offre, le lait plus précisément, pour parvenir à un accord avec les États-Unis. L'objectif serait en retour de conserver le mécanisme de règlement de différends actuellement prévu à l'ALENA.

Philippe Couillard a déclaré qu'il n'a aucune indication à cet effet et que Justin Trudeau ne lui a donné «aucun signal» qu'il s'apprêterait à faire un compromis sur la gestion de l'offre.

Il a toutefois cru bon de hausser le ton pour faire passer son message, lui qui répète depuis trois jours son opposition à toute concession.

«S'il y en a qui pensent qu'ils peuvent passer à travers le Québec, j'insiste juste pour dire que oui, ils tiennent le crayon, mais il y aura des conséquences politiques sérieuses à poser un geste semblable.»

C'est quand on lui a demandé jusqu'où il serait prêt à aller qu'il a lâché son «Just watch me!» à la toute fin de sa conférence de presse. Il n'a pas révélé ses intentions.

Quelques minutes plus tôt, il reconnaissait que le Québec n'a pas le pouvoir de bloquer une entente; l'accord des provinces n'est pas nécessaire. Mais «on peut exprimer notre désapprobation. C'est en soi un message politique très puissant.» 

De son côté, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, croit fermement le contraire. Mardi, il a dit que sans l'accord de l'Assemblée nationale, Ottawa ne pourrait pas ratifier le nouvel ALENA. 

Menace pour l'unité canadienne? 

Est-ce qu'une entente portant atteinte à la gestion de l'offre nuirait à l'unité canadienne? «Non, écoutez, je rappelle en passant que la gestion de l'offre n'existe pas sans unité canadienne.» Le Québec produit 50% du lait canadien mais en consomme 25%, donc le marché canadien est indispensable pour écouler le produit, a-t-il fait valoir.

Il a fait valoir que «le Québec est la deuxième plus grande province canadienne» et que «la gestion de l'offre au Canada, c'est le Québec en grande partie». «Nous sommes opposés, pas juste mon parti, la population du Québec en majorité est opposée à une concession sur la gestion de l'offre».

Des compensations d'Ottawa pour pallier une atteinte éventuelle à la gestion de l'offre ne rendraient pas la situation plus acceptable à ses yeux. Dans les accords avec l'Europe et la zone pacifique, les producteurs laitiers «ont déjà fait des sacrifices. Le prix du quota diminué, le prix du lait a diminué. (...) Il y a une limite à leur capacité d'absorber de la pression financière de plus».

Pour une déclaration commune

Par ailleurs, M. Couillard a fait volte-face et s'est montré ouvert à une proposition faite par son adversaire péquiste Jean-François Lisée pour que les chefs de parti s'unissent pour défendre la gestion de l'offre. Il n'est pas question pour lui d'accepter de faire une pause dans la campagne électorale pour tenir une rencontre de tous les chefs, mais une déclaration commune serait une bonne option. 

«Faire un événement commun, je ne vois pas vraiment la valeur ajoutée. Mais je vois que M. Lisée fait circuler une lettre. Moi, je serais disposé à signer une lettre avec mes collègues des autres partis politiques, je n'ai aucune difficulté avec ça», a-t-il dit, s'empressant d'ajouter qu'il n'a «pas confiance en la Coalition avenir Québec» dans ce dossier.

«Il a fallu attendre à hier (mardi) pour que, du bout des lèvres, de façon tardive, et je dois dire de façon un peu molle, pour que M. Legault dise: "non non, on va défendre la gestion de l'offre". J'ai de la difficulté à trouver ça crédible.»

Lisée veut tracer une ligne rouge

Dans la caravane péquiste de passage à Nicolet, Jean-François Lisée s'est dit encouragé que l'équipe de Philippe Couillard envisage désormais de signer une déclaration commune. 

«[M. Couillard] n'a pas pris le temps de réfléchir correctement hier» quand il a dit qu'il n'était pas intéressé par la proposition péquiste, a dit mercredi Jean-François Lisée.

«Quand tu négocies, tu sais qu'il y a des gens qui ont des lignes rouges [et] que ça ne sert à rien d'aller là. (...) Notre rôle, c'est de dire que même si le Canada cède, le Québec ne cédera pas», a-t-il martelé.

«C'est notre position absolue, on a déjà donné. Si vous voulez des concessions, que Justin Trudeau se tourne ailleurs, vers ceux qui ont bénéficié des concessions québécoises [faites dans d'autres accords de libre-échange]», a-t-il conclu.     

De son côté, Philippe Couillard fait «appel au ralliement» des Québécois pour appuyer les agriculteurs et «l'idée d'une agriculture à taille humaine, à taille familiale, l'idée qu'un peuple, qu'un pays, a le droit tout à fait légitime de structurer son agriculture comme il l'entend».

Legault rassure l'UPA

Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, s'est entretenu avec le président de l'Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, mercredi. Il l'a assuré que son appui à la gestion de l'offre est «non-négociable», a indiqué l'entourage du chef caquiste.

Les deux hommes se rencontreront à Longueuil le 5 septembre.

En conférence de presse, M. Legault a assuré qu'il est hors de question que son parti accepte un quelconque compromis sur cette question. Certes, le candidat caquiste Youri Chassin a déjà qualifié cette politique de «néfaste» dans une publication en 2015, mais l'économiste s'est rallié à la position de la CAQ, a assuré le chef.

M. Legault entend «débarquer physiquement» à Ottawa pour faire entendre raison à Justin Trudeau si celui-ci devait faire des concessions sur cet enjeu.

«Ça aurait des répercussions catastrophiques pour nos producteurs laitiers», a-t-il dit.

- Avec Hugo Pilon-Larose et Martin Croteau, La Presse